Nous avons chevauché le long de la côte Nord de l’ile, Tio m’a montré des cavernes introuvables pour ceux qui se baladent sans guide. La grotte-caverne aux deux fenêtres, par exemple, à laquelle on accède en marche arrière par un trou qui s’enfonce sous le sol à cent cinquante mètres environ des falaises. Sombre et bas, le couloir débouche sur une vaste grotte qui se divise ensuite en deux corridors, lesquels vous mènent après quelques dizaines de mètres, directement au bord des falaises, au trois-quart de leur hauteur ! Le soleil baissant et la marée montante vous offrent ici un spectacle merveilleux.
On a regardé le soleil se coucher au pied d’une autre grotte débouchant sur les falaises, avec notre rhum-coca en main : le pied !
C’est de nuit et au galop que nous sommes rentrés. Le lendemain, j’étais de nouveau à arpenter les trésors de l’Ile de Pâques, en compagnie de Tio toujours. Mais moins fun que la veille, et pour cause : mon corps n’était qu’un tas de douleurs, aux épaules, au fessier ; les tibias aussi, sur lesquels avaient frotté les sangles en cuir des étriers, toute la journée de la veille. Nous sommes allés plus loin pourtant, mais nous avons passé moins de temps sur nos équidés. On s’est posé sur des rochers, bien isolés de tout, sauf des poissons, que nous avons pêchés pendant trois heures.
Un fil, un hameçon, du pain et une cuisse de poulet, voici l’attirail du pêcheur local ! Au total, plus d’une trentaine de poissons, surtout sortis de l’eau par Tio, j’avoue. J’aime bien pêcher mais de là à toucher la bestiole et lui retirer l’hameçon de la bouche, ou bien de lancer le fil suffisamment loin, faut pas pousser non plus ! Et Tio avait pensé à tout : du citron pour agrémenter les deux poissons frais et crus qu’il nous a vidés et découpés ! Avec un peu de pain et du pisco à trente-cinq degrés pour faire passer ça, un délice ! Là aussi, nous sommes rentrés de nuit après avoir eu tout le temps d’admirer, sur le dos de nos chevaux, le baisser de rideau sur l’océan.
Tio m’a invitée à manger le reste de poissons chez sa maman. Une vraie maison familiale où l’on vous accueille sans grandes pompes, sans embrassades, comme si vous étiez déjà un vieil ami de la famille. Il y a plein de mômes dehors et tout juste descendue de la selle, l’un d’eux m’offre une noix de coco fraiche cueillie. Quelques gamins s’amusent à grimper le cocotier justement, pieds et mains nus. Tio me dit d’avancer dans la cuisine.
- Tiens assieds toi là, il y a du café, du sucre et de l’eau chaude dans le thermos. Prends du pain aussi si tu veux.
Sa maman est assise au coin de la table, il y a quelques adultes et adolescents aussi qui vont et viennent dans la pièce, prennent à peine note de moi. Ça parle en Rapa Nui, je ne comprends rien mais j’aime bien la bonne ambiance familiale qui règne dans cette maison. Bon, puisqu’il semble qu’il faut que je fasse comme chez moi, et bien je prends mes aises. J’aime ces endroits et ces gens, simples et sans froufrous ; je suis toujours plus à l’aise parmi eux qu’avec ceux qui me demandent de me laver les mains avant de me mettre à table.
Une femme arrive, c’est Rosa, la soeur de Tio... qui parle français ! C’est elle qui m’expliquera ce soir-là, et le lendemain aussi, toute l’histoire de la famille : comment MVP., Brestois, est arrivé sur l’ile au début du XXe siècle, comment il a donné naissance à MP., son fils unique marié à LH., fille unique d’un Irlandais, elle-même qui donna naissance à treize enfants, dont RP., marié à une Rapa Nui et père de Rosa et de Tio et de toute une progéniture.
Dans cette maison vit la mère de Tio et l’un de ses frères seulement. Pourtant, ce soir-là, comme tous les soirs, nous étions une quinzaine.
Hier, mon petit corps endolori me demandait du repos, je suis donc restée tranquille. Et lorsque je suis allée à Tahai pour admirer le soleil se coucher derrière les Géants, c’est Tio qu’est venu me trouver, comme le premier jour. Il m’a emmené faire un tour à cheval et m’a invitée à prendre le café ensuite chez sa mère. Les mêmes visages, la même bonne humeur. Et un bon repas arrive sous mon nez sans même que je m’en aperçoive !
Qu’ils sont gentils les gens ici ! Simples et généreux, ils accueillent l’étranger naturellement. Peut-être ai-je de la chance tout simplement. Mais c’est mon impression jusqu’à présent. Et maintenant, je pose mon crayon pour profiter de mon cinquième coucher de soleil flamboyant, en faisant causette à ce grand Moaï, pas aveugle celui-ci, qui se dresse tout droit avec son chapeau, face à moi, et dos à l’océan.
[...]
Tous les prénoms relatifs à mon séjour sur l'Ile de Pâques ont été modifiés.
Lilie