Journal d'un curiste ou vingt ans après
Cela m'a pris comme ça, j'en avais marre de faire mon lit, faire des courses, me faire à manger, faire, faire, faire, oh secours ! je n'en pouvais plus de faire, oh ne rien faire, se tourner les pouces, attendre qu'on vous serve à manger, et le soir dormir dans un lit avec des draps changés tous les jours, comme les serviettes de bain d'ailleurs, enfin, bref, continuer de vivre aux marges de la société. Alors le 19 octobre, j'ai débarqué à Gréoux-les-bains pour une cure thermale, ma dernière remontait en 2000, et j'ai repris le même médecin. Ma secrétaire m'a dit que vous étiez déjà venu, il y a vingt ans de cela m'a-t-il dit. J'ai confirmé, soudain, comme saisit d'une soudaine illumination, il m'a lancé :
- Vous êtes pas le gars qui faisait de la moto en Thaïlande et au Laos?
- Mais oui !
Merde ! Il s'est souvenu de moi ! Par contre, moi je ne l'ai pas gardé en mémoire, je ne l'ai pas reconnu : tous ses cheveux sont blancs ! Il m'a raconté ses voyages en Thaïlande, enfin deux voyages, et sur une étagère, au milieu d'une rangée de livres, trône une tête de Bouddha. En somme, je lui avais bien vendu la Thaïlande.
Gréoux, 20 octobre.
Je suis toujours étourdi. Hier, j'avais oublié ma carte vitale pour régler le docteur. Ce matin je suis allé le payer en déposant un chèque, puis une heure après j'y suis retourné pour prendre un deuxième rdv auprès des secrétaires. On s'est revu avec le docteur, il était en dehors de son cabinet pour accueillir un nouveau client, on s'est salué et il a lancé à la cantonade :
- Merci pour le chèque !
Les secrétaires se sont marrées.
Vers 11H30, début des soins, piscine, trombes d'eau, bain de boue, et j'ai vu la France profonde en maillot de bain. Bon, au début ça fait un choc, mais on s'habitue et on relativise ses petits problèmes de toutes catégories.
Gréoux-les-Bains est toujours un joli village...
avec des gens bien sympathiques. Ainsi, vers midi, je me suis attablé avec une curiste à la terrasse d'un bar... à l'ombre. Le patron du café, avec l'accent du héros fou amoureux de Manon des Sources, nous a demandé si on voulait qu'il mette une table au soleil dans la ruelle qui est derrière le café. Ouh là ! Un peu décontenancé par cette proposition si gentille, il nous a dit que ce n'était pas un problème car ici on est hospitalier et on sait accueillir les gens. Aussitôt dit, aussitôt fait, il a empoigné une table et l'a déposé une dizaine de mètres plus loin, devant l'entrée d'un petit immeuble ancien, puis il a amené deux chaises. Alors on s'est dit une scène pareille est inimaginable à Paris.