L’Australie, c’etait surtout un point strategique dans ce voyage: l’endroit entre Amerique du Sud et Asie du Sud Est ou je me poserais, ou je travaillerais aussi surtout, pour remonter la cagnotte et continuer le voyage. Mais l’autre interet de ce pays-continent pour moi, outre de voir enfin tout ces decors et animaux exotiques qui me faisaient rever depuis toute petite, c’etait surtout de me faire ma propre idee de la situation des aborigenes en Australie. Je voulais essayer de comprendre un peu mieux comment ils vivaient au vingt et unieme siecle, comment ils etaient percus par les Blancs, comment se passaient la co-habitation entre la population indigene et la population descendente des colons.
C’est a Alice Springs et dans l’Outback que j’y ai trouve le plus de reponses. Alice Springs, ville de western, de cow-boys, situee en plein milieu du continent, a mille six cent kilometres d’Adelaide au Sud, et mille cinq cent de Darwin au Nord, les deux villes les plus proches si on elimine les quelques towns ne depassant guere la poignee de milliers d’habitants.
Quand on parle des Aborigenes, on peut avoir l'image d'un peuple retranche, vivant en tribu et chassant le kangourou, habilles seulement des quelques traits de peinture jaune, rouge et blanche. Il y a quelques decennies, c'etait peut-etre encore le cas effectivement... Aujourd'hui, ceux qui choisissent de perpetuer ces traditions sont marginaux, peut-etre dix pour cent d'entre-eux seulement, et encore... Pour le reste, on les voit dans les rues, assis, sales, a boire ou non, a pleurer de leur Terre d'antant, perdus dans un monde qui n'est pas le leur, qui ne l'a jamais ete et qui ne le sera jamais. Le gouvernement australien peut infiltrer des milliers et des milliers de dollars pour ces communautes, l'argent ne leur ramenera ce qu'ils ont perdu pour toujours, incapables qu'ils semblent de s'integrer dans une culture de Blancs.
L’Ayers Rock, par exemple, me laisse un sentiment amere. Autant j’ai ete emerveillee par la beaute de la nature, autant je n’ai pas reussi a faire abstraction du fait que ce ne soit plus qu’une attraction pour touriste, defaite de tout son cote culturel. Je n’ai pas aime les pancartes interdisant de prendre des photos de peintures sur roche, je n’ai pas aime les panneaux explicatifs purement geologiques et en rien en rapport avec ce que ca representait autrefois pour les aborigenes. Et puis, il faut situer ce Gros Rocher: il est a quatre cent cinquantes kilometres d’Alice Springs, c’est a dire au milieu de nulle-part. Alors pour loger les hordes de touristes qu’on fait venir, on a construit un semblant de “town”, une sorte de village vacances, avec toute sorte d’option d’hebergement, pour tout budget. Tres peu d’Aborigenes ici donc, et nous trouvions bizarre que le personnel des magasins, de l’office de tourisme, etait compose de blancs uniquement. Apres tout, le gouvernement australien ne clame-t-il pas avoir “redonne” le Rocher et sa terre a son peuple d’origine?
Combien d'Aborigenes ai-je vu travailler jusqu'a present? Un seul: le receptionniste d'un hotel a Cairns. Pour le reste, ceux avec qui nous avons parle, c'etait autour d'un verre dans un bar, ou dans la rue. Et les enfants, combien sont scolarises? en semaine, jour d'ecole, on les voit jouer dans les parcs, pieds nus la plupart du temps... et les Blancs australiens, qu'en pensent-ils? Pour la plupart, ce que j'en ai percu, ils les traitent comme une "sous-race", pas pour rien que ces quelques bars purement aborigenes d'Alice sont appeles "animals’ bars" et que ceux ou les Blancs vont sont appeles "humans’ bars"... Ca veut dire beaucoup sur la maniere dont les blancs percoivent les indigenes australiens. Peut-etre ces deux expressions sont la reponse a mes interrogations...
On s’est retrouve a dix heures le matin avec F., par hasard, par ignorance surtout, dans l’un de ces “animals’bars”, une sorte d’endroit anarchique pour aborigenes, qu’on leur octroye et ou ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Une sorte de guetto, cache derriere les murs d’un bar, ou le reste du monde ne veut rien savoir de ce qu’il s’y passe. Cannettes par-terre, c’est enfume, on crache, on crit, on rit et... on boit beaucoup, surtout. A dix heures le matin, surpris et surtout sans comprendre ou on mettait les pieds, on est ressorti rapidement.
L’alcool est un fleau pour les aborigenes, leur metabolisme n’ayant jamais ete habitue a l’alcool, cela les devastent plus que n’importe quelle autre communaute. Voila ce que l’homme occidental a fait de l’une des plus vieilles civilisations du monde: elle les a transformes en alcooliques, perdus dans les villes, passant leur temps assis sur le trottoir, a regarder les Blancs passes, et a pleurer... Triste realite pour la majorite d’entre eux, loin de la chasse au kangourou et de la cueillette, quelque part dans le desert australien, qui resonne encore de ses habitants aux ames desormais perdues.
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Lilie