Sur les traces de Pullö (ou le nouveau conte de Noël 2014)

Comme tous les matins depuis qu’il a intégré les rangs lutins, le voilà réveillé pile sur le coup des sept heures par il ne sait quelle baguette magique.
Ce matin est cependant un jour exceptionnel. Nous sommes le 24 décembre ! C’est LE grand jour ! L’excitation le submerge instantanément, les yeux à peine entrouverts. Il bondit sur ses deux pieds en bousculant sa table de nuit, en oubliant presque Djerk qui n’était heureusement pas encore sorti de sa boîte d’allumettes protectrice.

Il est cependant arrêté dans son élan par un paquet souple joliment emballé, surmonté d’une belle enveloppe et déposé sur ses chaussons de lutin. Son cadeau de Noël ?!

Délicatement il le soulève, vérifie quand-même que son nom est inscrit dessus, en lettres d’argent : Pullö.
Il se rassoit sur sa banquette et avec d’infinies précautions et tout le sérieux d’un cérémonial de Noël, il dépose l’enveloppe sur son lit et commence par ouvrir précautionneusement le paquet souple en retenant son souffle. Un observateur extérieur verrait en cette scène un petit garçon de moins de dix ans émerveillé par la magie de Noël.
Il découvre sous le papier cadeau ce qui ressemble à une très grande et chaude cape toute noire. Le voilà bien étonné et désappointé. Mais que signifie ce cadeau ? A quoi cette cape peut-elle bien lui servir ? A quoi Santaclaö a-t-il pensé en lui offrant ceci ? Il doit y avoir une méprise, une erreur de destinataire, ce n’est pas possible…
C’est à ce moment qu’il repense à l’enveloppe. Un vague espoir renaît, il se reconcentre et la décachète précautionneusement. Il y trouve une jolie petite carte de Noël sur laquelle est inscrit en lettres d’argent, dans une belle écriture ronde de pleins et déliés : « Bon pour participer à la distribution des cadeaux de Noël en traineau le 24 décembre 2014. »
Il n’en croit pas ses yeux ! Il est invité à monter dans le traineau du Père-Noël pour participer à la distribution des cadeaux ! Quelle chance fantastique ! Quel cadeau extraordinaire compte tenu de son jeune âge ! Il a bien compris que seuls les Maitres Lutins participent à cette grande distribution, jamais les apprentis, encore moins les tout jeunes comme lui.
Il se félicite de n’avoir finalement rien demandé. Cette belle surprise dépasse de loin tout ce qu’il aurait pu imaginer ! Il ne sait pas vraiment pourquoi la cape noire lui a été offerte, mais ce bon d’envol, wouhaou…

Si l’agitation matinale autour de lui ne l’avait pas ramené sur terre, il serait resté longtemps rêveur à contempler les belles lettres d’argent qui dansent devant ses yeux embués d’émotion…
Il reprend vie et excitation instantanément, range son lit et son espace, fait signe à Djerk de l’attendre quelques minutes et file à la salle d’eaux se débarbouiller et s’habiller, en prenant soin d’enfiler sa combinaison magique qui lui sera bien utile ce soir. Il enfile sa tenue rouge de lutin par-dessus. Il glisse dans sa poche intérieure le masque translucide souple.
C’est le 24 décembre et le voilà bien équipé pour résister aux affres de la force accélératrice et participer à la distribution de Noël ! A lui les derniers mystères de Noël !

Comme tous les 24 décembre, une effervescence particulière anime cette grande bulle magique sous Groenland. L’atmosphère est positivement électrique, tous les lutins sont surexcités. Les « grandes manœuvres » se concluent aujourd’hui. Les vingt-quatre heures à venir sont les instants clés qu’ils préparent tous depuis des mois.

Il a à peine terminé son copieux petit-déjeuner qu’il apprend que la distribution des cadeaux a déjà commencé. Il a un sursaut effrayé.
Quoi, le Père-Noël est déjà parti, sans lui ?! Mais non, ce n’est pas possible puisqu’il n’a trouvé son cadeau qu’au réveil ce matin !...

Il court jusqu’au Secrétariat Principal où il arrive essoufflé et déconfit, se faufilant sans peine jusque dans la fabuleuse pièce de commandement qu’il appelle désormais « l’Âme de Noël ».
Il reprend là son souffle en remarquant de suite que Santaclaö et Niclö sont toujours là, et comme tous ici, concentrés sur la mappemonde qui s’étale sur l’écran géant translucide qui couvre tout le mur nord de la salle. Il découvre cette atmosphère particulière du grand jour en ces lieux sacrés où tout semble ronronner avec plus de fluidité, plus de tension encore, mais plus de magie festive aussi que d'habitude.
Il se concentre enfin sur ce que Maître Niclö qui l’a rejoint lui chuchote en français à l’oreille, Djerk ayant glissé dans la pochette de son costume, le menton posé sur ses longues mains pour admirer lui aussi le planisphère translucide qui s’anime à chaque seconde un peu plus.
Il apprend ainsi que le Père-Noël ne pouvant faire la livraison seul sur une planète aussi peuplée avec une population aussi nombreuse convertie à la magie de Noël, il est assisté d’une escouade de Maîtres Lutins responsables de plusieurs traineaux magiquement surchargés et de zones géographiques précises. Ainsi, avec le décalage horaire, la distribution a-t-elle commencé dès 07h30 (heure de Noël) ce matin, depuis les ateliers les plus à l’est du méridien principal et se terminera à 07h demain matin lorsque le dernier traineau parti des ateliers les plus à l’ouest reviendra enfin vide, mission accomplie. A chaque livraison effectuée, à chaque maison visitée, une microscopique lumière verte s’allume à sa bonne place sur le planisphère, et devant les yeux de notre ami, c’est une onde verte qui s’intensifie à chaque seconde qui passe et qui s’étend progressivement du nord au sud et de l’est vers l’ouest.

Santaclaö, comme tous les Maîtres Lutins ici présents, y compris lui-même Niclö, décollera en son heure, vers 20 heures, pour prendre le relais des livraisons, du côté des continents européen, africain et américain. D’ailleurs, cette année, c’est Niclö lui-même qui s’occupera de la France, et c’est donc avec lui que le jeune apprenti Pullö pourra embarquer.
Le sourire bienheureux que notre jeune apprenti lui renvoie déclenche le rire caractéristique du Maître Lutin.

Il est hypnotisant ce planisphère translucide, mieux qu’un bon feu qui crépite dans la cheminée.
Il reste des heures à observer la progression lente mais régulière de la marée verte, avec cette micro-loupiote jaune qui clignote au centre de la bande la plus haute de l’écran et représente leur position actuelle à eux, les lutins du « Village du Père-Noël ».
Ils sont vraiment magiques, ces lieux, tout particulièrement en cette « belle nuit de Noël » qui dure vingt-quatre heures.

Maître Niclö lui ayant soufflé à l’oreille qu’il ne pouvait décemment pas passer cette fabuleuse et longue journée devant le grand écran, au milieu de cette pièce si fébrilement affairée, il a fini par décoller et aller fureter ailleurs, profiter de cette ambiance encore plus magique que les jours précédents, observer les derniers préparatifs du côté des ateliers où le rythme de travail semble avoir encore accéléré, du côtés des rennes volants que les Poromies bichonnent tout particulièrement, et sur les quais surchargés de chargement des traineaux.

Sur les quais, il s’étonne un peu. Il s’attendait à y trouver de beaux traineaux de rouge et vert décorés, de larges hottes de bois brun ou de rouge peintes, tels que l’imagerie populaire les représente. A la vue des traineaux noirs alignés, prêts au départ, d’épaisses fourrures noires équipés et lourdement chargés de sacs de toile noire, il comprend mieux la cape noire reçue en cadeau ce matin même. Même les rennes semblent brossés à la cire noire par leurs Poromies, leurs harnachements également tout de noir et simplement préparés, prêts à être enfilés.
Mais bien sûr ! Comment, à part en cette couleur noire qui absorbe tout rayon lumineux, passer le plus inaperçu dans la nuit de Noël ? C’est lutinement bien réfléchi se dit-il.

A dix-sept heures, il va prendre son goûter, pantagruélique et bien arrosé d’une bonne bière lutine. Il se goinfre, mais il a une excuse, comme beaucoup de ses camarades qui font de même, celle de vouloir pleinement profiter de la soirée et de la nuit, le ventre plein.

Au Secrétariat Principal qui bourdonne comme une énorme ruche agitée et où l’on peut entrer et sortir sans se faire remarquer, il se faufile à nouveau dans « l’âme de Noël ». Il constate que sur l’écran géant translucide la tâche verte a bien grignoté le monde et atteint l’est de l’Europe, se rapprochant franchement d’eux. Il se dit que ceux restés au Svalbard ont déjà dû décoller et commencer leur tournée…
C’est alors qu’il remarque dans un coin reculé de la salle Niclö qui lui fait signe d’approcher. Il est temps pour eux de se préparer. Comme le Maitre Lutin lui a demandé ce matin, il a apporté la tenue moulante noire qui était dans son sac lutin et la chaude cape. Il s’équipe donc aux côtés de Niclö, Santaclaö et les autres Maîtres Lutins. L’heure approche.
Il est aux anges. Lui, le jeune apprenti lutin qui semble n’être né qu’il y a 2 mois à peine, en train de se préparer pour la distribution des cadeaux avec les plus grands et prestigieux Maitres Lutins. Il va participer à la distribution des cadeaux ! Il doit s’avouer qu’il a quand-même l’estomac serré, malgré cette joie immense qui lui fait bondir le coeur et afficher un indécrottable sourire lutin.

En ressortant, il tombe nez à nez avec Mère-Noëlle qui en profite pour le prendre dans ses bras pour un gros câlin maternel dont elle seule a le secret. Il est un peu gêné par tant d’affectation mais se dit que c’est bien là la Mère-Noëlle qu’il a appris à connaître ces derniers jours : au plus fort de l’activité de Noël elle a encore du temps et de l’affection à distribuer personnellement à chacun de « ses » lutins. Comme elle sait que la nuit sera longue, elle lui glisse dans les mains quantité de chocolateries, de biscuits secs et de belles tranches de pain d’épice. Il se débarrasse très vite de ces provisions dans ses larges poches de la chaude cape lutine, glisse un énorme bisou sur la joue de Mère-Noëlle avec un « merci » chuchoté en Noëlli (un des premiers mots qu’il a su retenir), et file rapidement rejoindre Maitre Niclö

Maintenant, c’est parti ! Il est plus que temps de rejoindre les quais.

Voilà, ils sont prêts.
Les traineaux sont chargés, les rennes attelés et impatients, tous sont prêts à décoller.
D’ailleurs, les premiers Maîtres Lutins et traineaux du Groenland ont déjà décollé. Le traineau de Niclö est positionné au milieu, juste après celui de Santaclaö.

Voilà, le Père Noël est prêt.
Il va être l’heure de décoller. On s’affaire et s’agite autour des deux traineaux.
C’est à la fois une machinerie qui semble bien rôdée et un capharnaüm improvisé.
Il observe Santaclaö qui grimpe dans son traineau, se calfeutre dans les fourrures, fait les vérifications d’usage, s’adresse à son petit passager, interpelle ses rennes et démarre dans un « Ho ! Ho ! Ho ! Joyeux Noël à tous ! » de rigueur.

Voilà, ils sont prêts.
C’est leur tour.
Notre ami se dit que leur traineau parait quand-même bien moins chargé que les autres... mais en même temps, avec un passager en plus, lui, c'est probablement logique, juste une question d'équilibre spatio-dynamique.
Niclö grimpe à son tour dans son traineau, l’invite à le suivre et s’enfouir dans les fourrures, lui demandant de laisser suffisamment de place à leur passager. Il retient son souffle.
- Ho Ho Ho ! Il est l’heure de décoller l’Ami Marchand… ! 
Il devine plus qu’il ne voit vraiment un petit lutin d’une cinquantaine de centimètres grimper à ses côtés en se demandant bien pourquoi le Père-Noël accepte un marchand avec lui dans sa tournée… Il fait le taxi au passage ? Pour un marchand en plus ! Un marchand de quoi au fait ? De soleil, c’est ça qu’il a entendu, non, avant que Djerk ne glisse dans son cou ? C’est quoi un marchand de soleil ?
Mais résonne maintenant le « Ho ! Ho ! Ho ! Joyeux Noël à tous ! » et s’ébranle le traineau, alors il lâche prestement cette pensée et ajuste vite sa capuche de combinaison magique et le masque translucide qui épousent parfaitement ses formes…

Le traîneau glisse dans la tiédeur de la grotte magique, puis dans l’air glacé groenlandais, neiges et glaces giclent sous les patins… Un vent fort semble se lever dans leur dos, le traîneau prend de la vitesse, encore de la vitesse, une telle vitesse qu’il décolle et que notre faux-lutin est congelé malgré les épaisseurs, de plus en plus écrasé, au bord de l’asphyxie tant l’air est glacé et l’oxygène rare… mais… mais il jubile intérieurement : la combinaison fonctionne, il ne s’évanouit pas !
Bon, le froid glacial et les sensations à la limite de la syncope ne sont pas des plus agréables, et comme la dernière fois il ne voit pas grand-chose…  Il ne voit pas les rennes volants, ne sait pas s’ils galopent des pieds dans les airs, si des ailes leur ont poussé ou s’ils flottent simplement… Le regard brouillé par le froid, la pression et la vitesse, il aperçoit surtout une aura verte très floue qui les entoure, probablement créée par l’agitation moléculaire de leur déplacement supersonique...

Le voyage dure à peine quelques minutes qu’il ressent la décélération du traineau, respire soudain plus aisément et appréhende bien mieux le cotonneux qui les entoure maintenant. Temps nuageux sur l’Europe occidentale semble-t-il… Entendant vaguement Niclö parler en Noëlli, il dégrafe rapidement son masque et sa capuche, réinstalle Djerk qui traduit instantanément :
- Ho Ho Ho !  Regarde Pullö ce petit village sympathique là en bas, n’est-il pas beau ? C’est ici que nous déposerons les premiers cadeaux !
Il jubile. Il est à bout de souffle tellement il jubile. Il va distribuer les cadeaux avec un Père-Noël. Il va enfin savoir comment cela se passe…
- Ho Ho Ho ! Allez, à toi de jouer, Marchand de Sommeil ! Endors-moi tout ce petit monde…
Marchand de SOMMEIL ?! Mais bien sûr c’est évident pour travailler tranquillement ! Il éclate de rire, en espérant que les lutins ne sont pas sensibles à …
…la poussière d’étoiles aux senteurs de souffre secouée par le marchand l’a atteint en premier, bien avant les êtres vivants, animaux et humains, petits et grands, installés dans leurs intérieurs douillets quelques centaines de mètres plus bas sous la couverture nuageuse.

Il émerge doucement des nimbes du sommeil. Il est bien, confortablement lové dans la chaleur de sa couette. Alentours, tout est calme, reposé, pas même une clochette pour tintinnabuler…
La pâleur du petit matin perce à travers les persiennes et peine à lui faire ouvrir les yeux.
Un « CôCoôt ! » parvient à son oreille…
Quoi ?! « CôCoôt » ??!! Une poulette ? Mais que fait une poulette dans son dortoir ?!
Il ouvre un œil et… Mais où est-il ?

Le voilà debout à côté de son lit à regarder de toute part. Il constate qu’il est dans une chambre qui n’a rien à voir avec un dortoir lutin.
Il se regarde, se palpe, se pince. Il a l’air bien vivant et réveillé, mais il n’a plus ni cape noire, ni tenue moulante noire, ni combinaison magique sur lui. Il est juste dans un pyjama de Noël, vous savez, celui en modèle grenouillère pour adulte, rouge avec des lutins et des bonshommes de neige dessinés… A ses pieds attendent des chaussons rouges à pompon blanc.
Mais que fait-il dans ce lit et ainsi vêtu ? Comment est-il arrivé là ? Qui a osé le déshabiller et le rhabiller ainsi ?! Comment ? Qui ? Quoi ? Quelle est la dernière chose dont il se rappelle avec précision ? Il a du mal, c’est flou, cela s’embrouille, s’embue… C’est le sable du marchand de sommeil qui lui a fait perdre la mémoire ou quoi ? Rêvait-il ? N’a-t-il que rêvé tout cela ?...
Il secoue énergiquement la tête en tout sens et instinctivement porte la main à son oreille… Djerk n’est pas là ! Un regard vers sa table de nuit… aucune boîte d’allumettes !

C’est à cet instant que son regard s’arrête sur un grand zig à la physionomie qui lui rappelle vaguement quelqu’un de sa connaissance, en tenue rouge de jeune apprenti lutin, tranquillement assis en tailleur au bout de son lit, caressant tendrement une poulette lovée dans ses bras.
Il se frotte violemment les yeux de ses deux poings serrés puis les écarquille, la bouche grande ouverte, secoue énergiquement la tête de gauche à droite (et porte à nouveau la main à son oreille), mais rien n’y fait, l’apparition ne s’efface pas. Balbutiant, il ose :
- Mais… Mais où suis-je ?
Le grand zig lui répond tranquillement dans un sourire lutin :
- Chez toi, dans ton lit, dans ta maisonnette du Village.
- Chez moi ?!... Et toi, qui… Qui es-tu ?
- De mon vrai nom : Pitkä Pöllöpää Paha Pula, fils de Pitkä Pässinpää Pitkä Kurkku. Je suis l'apprenti lutin Pullö.
- Mais ?! Mais… Mais c’est moi Pullö !
- Non, toi tu es Lahaut.

A l’énoncé de cette vérité simple, tout s’est arrêté. Ou plutôt tout s’est emballé…
Un arrêt sur image d’un dixième de seconde, le temps d’un silence, d’une inspiration, puis un tourbillon phénoménal dans un bourdonnement assourdissant.
Le film est reparti en sens inverse, à toute vitesse, de plus en plus vite... Le dernier vol magique en traineau avec le Père-Noël, le 24 décembre fantastique, les jours précédents passés au Village du Père-Noël, les semaines d’avant vécues à l’ENA, la grotte des Lutins Bleus, l’accident de traîneau suprasonique, les premiers mois de cette année lutine, le voyage mouvementé en Spitzberg, l’été précédent, la rencontre avec Pullö, l’année précédente, Noël dernier, son premier séjour en terres lutines groenlandaises et norvégiennes, ses premières découvertes lutines, sa quête précédente derrière sa lettre au Père-Noël, Korvatunturi, Rovaniemi, Sólweig... la postière de Libourne, FannedeLahaut... et toutes les femmes qu’il a aimées avant… jusqu’à la toute première femme de sa vie…

Les larmes coulent sans qu’il puisse les contrôler. Il sait. Il se souvient de tout. Il sait tout.
Face à lui Pullö attend patiemment qu’il reprenne ses esprits. Il sait. Il sait qu’il sait tout… ou presque.
Niclö et Santaclaö… ils savent. Il sait qu’ils savaient tout. Tout... ou presque.

Pullö sait à quel point ce flash-back mémoriel peut être délicat et douloureux, Niclö l’a bien prévenu.
Il attend donc patiemment que son ami reprenne ses esprits pour le délivrer du lien magique qui le retient sur ce lit depuis le milieu de la nuit. Seul le Lahaut revenu le peut.

Quand enfin Lahaut, qui s'est rassi sur son lit pour éviter de tomber de plus haut, semble plus serein après sa tempête de cerveau et le regarde à nouveau, Pullö ose :
- Lahaut, ça va ?
- Je... je crois.
- Alors pourrais-tu t'approcher et dénouer ce lacet s'il te plaît ?
Il s'approche et découvre un lacet argenté entourant les pieds du lutin. Un simple nœud de plein-poing, très facile à dénouer, semble le retenir.
- Mais comment, toi le magicien, tu ne peux pas te défaire d'un nœud aussi simple ?!
- Crois-moi, depuis le milieu de la nuit qu'ils m'ont ligoté ici, j'ai bien essayé à maintes reprises toutes mes magies ! Même Colette y a tenté son bec mais rien n'y fit. Il y a de la magie de Maître Lutin dans ceci, soupire-t-il. Avant de partir ils m'ont annoncé que seul un Lahaut revenu à son passé peut ce nœud dénouer.
- Et si je n'avais pas retrouvé la mémoire ? Tu serais resté attaché là à vie ?
- Une vie de lutin, c'est sacrément long ! J'espère donc bien que non. J'imagine que nous sommes lutinement surveillés, sans que nous le voyons...
Après avoir jeté un regard dans tous les recoins de sa chambre et constaté que rien ne semblait les observer, Lahaut délace en un tour de main et sans difficulté le nœud retenant Pullö. A peine celui-ci libéré que le lacet semble se désagréger.
Pullö saute alors sur ses pieds, bien heureux de se dégourdir enfin les jambes, et claironne :
- C'est Noël ! C'est Noël ! Le Père-Noël est passé ! Nos cadeaux sous le sapin ont été déposés !
Et il file à toute vitesse, suivi d'une Colette dandinante, sans entendre Lahaut lui demander :
- Et tu crois vraiment qu'on a des cadeaux ?... Après ce qu'on a fait ?... Alors qu'ils nous ont piégés ?...

A la suite de Pullö, Lahaut dégringole l’escalier et glisse sur le carrelage plus qu’il ne marche jusqu’au salon.

Au milieu du salon, ils s’arrêtent tous deux net et sourient béatement.
Sur la table trône une corbeille emplie de ce qui ressemble bien à toutes les gourmandises que Mère-Noëlle lui a données et qu’il a fourrées dans ses poches avant de décoller hier soir.
Dans son coin habituel, le sapin est dressé, décoré, exactement de la même façon que d’habitude à Noël. A son pied sont délicatement rangés les chaussons bleus, comme d’habitude à Noël. Et sur les chaussons, un beau paquet cadeau surmonté d’une enveloppe au nom de Lahaut inscrit en belles lettres d’argent.
La nouveauté cette année, ce sont ces chaussons verts posés à côté, sur lesquels trône le même paquet cadeau surmonté d'une enveloppe au nom de Pullö inscrit en belles lettres d'argent.

Comme l'an passé, il aimerait savoir... Qui a dressé au bon endroit son sapin de Noël ? Comment « on » a pu savoir où se trouvaient les boîtes de déco de Noël à la cave ? Et comment il fallait positionner et décorer l’ensemble pour que ce soit exactement comme d’habitude ?  Niclö qui était avec lui dans le traîneau ? Et pourtant il n'avait pas de temps à perdre cette nuit avec la distribution de cadeaux... Qui d’autre ?... Décidément, il n'a pas encore découvert tout le potentiel de la magie lutine...

Ils se regardent tous deux. L’instant est solennel.
Même d'un Pullö accompagné, il hors de question qu'il ne respecte pas le même cérémonial, comme chaque année au même instant.
Il va donc prestement enclencher le CD « Spécial Noël » dans son lecteur, règle le son juste comme il faut, ni trop faible, ni trop fort.
Dans une synchronisation parfaite, ils s’assoient tous deux en tailleur devant le sapin, face à leurs chaussons, cadeaux et enveloppes respectifs. Ils sourient pareillement. Ils sont tous deux identiquement impatients. Un dernier regard complice et chacun se lance dans l'action.

Un observateur extérieur verrait en cette scène deux petits garçons de moins de dix ans, jumeaux et émerveillés par la magie de Noël.

Pullö prend une grande inspiration… et époussète d’un geste vif l'enveloppe qui atterrit à ses côtés : priorité au cadeau !
Après un bref instant de pause contemplative, il se jette avec frénésie sur l'emballage qui vole rapidement en petits morceaux verts, rouges et ors. Avec des yeux avides et émerveillés, il déballe... une belle housse de couette et un presse-orange. Il est juste ravi, il a eu tout ce qu'il désirait !

Au même moment, de son côté, Lahaut, prend une grande inspiration, partagé entre  l'impatience de savoir s'il aura le cadeau qu'il avait commandé et la crainte de découvrir à nouveau des livres ou autre chose de moins réjouissant. Après tout, il n'a pas su ce que le Père-Noël avait décidé pour lui après lecture de sa lettre…
Délicatement il soulève, contemple un instant puis dépose religieusement à ses côté l'enveloppe : priorité au cadeau !
Avec d’infinies précautions et tout le sérieux d’un cérémonial de Noël, en retenant son souffle, il s’attaque délicatement au papier vert et rouge bordé d'or enveloppant son cadeau.
Un premier soupir d'aise accompagne la découverte d'une multitude de copeaux de bois et mousse qui cache une boîte bien plus petite... et très légère. Ouf ! Ce ne sera pas cette année encore une collection de livres !
La boîte est bien fermée et il fait preuve de beaucoup de délicatesse et d'insistance pour trouver son mode d'ouverture. Dedans, à nouveau une flopée de confettis papiers aux couleurs lutines au milieu desquels il cherche désespérément un objet. Mais d'objet il n'y a point et ses doigts finissent par ne rencontrer que le papier d'une enveloppe.
Est-ce vraiment bon signe ? En même temps, si c'est ce qu'il a commandé, une enveloppe suffit bien à le contenir... C'est donc plein d'espoir qu'il décachette précautionneusement ce pli.
Il en sort... un billet d'Euromillions accompagné d'un petit mot épinglé.
Il pourrait crier et trépigner de joie tellement il est heureux : il a eu ce qu'il demandait au Père-Noël !

Tout ému, il détaille plus attentivement le billet et découvre qu'il est déjà rempli... de tous ses numéros fétiches qu'il joue systématiquement ! Il s'inquiète alors du contenu du petit mot associé :

Ce billet de loterie est bien sûr un billet gagnant, foi de Père-Noël ! En écoutant ton âme, tu sauras trouver le jour où ce billet il faudra valider pour gagner le gros lot. Joyeux Noël ! P.N.

Mais pourquoi a-t-il soudainement l'impression de s'être fait un peu avoir ? Il a ce qu'il a commandé et en même temps...
Il jette un œil curieux vers Pullö, qui, à cet instant, le regarde pareillement.
C'est que, de son côté, après avoir jubilé de satisfaction aux premiers regards, il a observé de plus près ses présents et s'est rendu compte qu'ils n'ont ni l'une ni l'autre les caractéristiques lutines attendues. Il a ce qu'il a commandé et en même temps...


Au même instant, ils repensent tous deux à l'enveloppe précédemment écartée.
Après une grande inspiration à la Padméou, ils se reconcentrent, reprennent leur enveloppe, la contemplent à nouveau. Allez, il faut l’ouvrir…

Dedans, chacun découvre une belle lettre de Noêl et ce qui ressemble à un coupon blanc encadré d’un joli entrelacement vert et rouge de saison.
Que signifie cette page blanche ? Il faut probablement lire la lettre, se disent-ils. Ainsi, Lahaut déplie-t-il la sienne.
Sur le papier gaufré s'étale une belle écriture argentée en pleins et déliés, probablement tracés à la plume d’oie de belle qualité.

Mon Petit Lahaut, Cette année encore la nuit de Noël ne s'est pas classiquement déroulée pour toi, n’est-ce pas ? Cette année encore, tu as vécu de drôles d’aventures que tu n’aurais jamais pu espérer ni dû vivre… Mais le principal est que tu sois aujourd’hui revenu chez toi, en bonne santé, en ce matin de Noël. Il ne faudrait néanmoins pas que tes excursions lutines deviennent une habitude. Et crois-moi, Maitre Lutin Niclö y veillera personnellement dans les mois et années à venir. Par ailleurs, si en zone lutine tu entrais, comme le petit renne, ton nez de rouge clignotera et chacun le saura. Par égard pour ton âme d’enfant, nous ne pouvions te priver de cadeaux cette année, même si sage tu n’as pas été, tu peux en convenir certainement. Tu trouveras donc cette année dans tes chaussons deux cadeaux. Le premier, dans le paquet… que tu as sûrement déjà ouvert, petit coquin ! C’était bien ce que tu me demandais dans ta lettre, non ? Le second, sur le coupon joint, que je te laisse découvrir. J’espère sincèrement que sage tu sauras rester l’année prochaine. Souviens-toi : le Père-Noël voit tout et sait tout. Une dernière chose, jeune ami : est-il besoin de te dire qu’il ne sert à rien de parler de ce que tu as pu voir et vivre, car personne ne voudra te croire, n’est-ce pas ? Ho Ho Ho ! Joyeux Noël ! M.L. Santaclaö