"Je l'aurai un jour, je l'aurai !" (ou le nouveau conte de Noël 2015)

Voilà, il est prêt.
L’éternel bob vissé sur la tête, jeans et t-shirt des plus banaux, les godillots au pied, le sac à dos paré juste de l’essentiel :
la loupe à indices prêtée par Sherlock,
le kit anti-ronflements (indispensable pour ne pas se faire prendre lors d’une sieste !),
une bonne réserve de Pépitos et de saucisses (indispensable pour reprendre des forces pendant le voyage… surtout en territoire lutin !),
les appâts à rennes volants et les douceurs ensorcelleuses pour lutins (il espère qu’ils ne sont pas périmés et qu’ils sont toujours actifs, depuis le temps qu’il les promène…),
le Petit Manuel Illustré des Êtres Magiques (indispensable oreiller de voyage !),
un petit miroir de poche dont il ne sépare plus depuis Noël dernier,
en tenues de rechange, un vieux pardessus beige et son carton d’emballage de tête, et surtout un ensemble moulant pantalon et pull vert mousse prêtés par son ami, ainsi qu’une cagoule assortie,
le guide touristique et la carte topographique au plus précis de la région ciblée et l’ensemble des notes qu’il a griffonnées sur son petit carnet de voyage (véritable road-book, mode d’emploi des peuplades qu’il devrait rencontrer et descriptif technique de ce qu’il doit rapporter),
un grappin, un baudrier, quelques sangles et mousquetons, une longue et solide corde, de la ficelle, quelques sacs à fermeture hermétique, un petit piolet et une petite pelle, une lampe frontale, un sifflet d’urgence, une boîte d’allumettes, un vieux journal, un couteau suisse, les lunettes de soleil, son appareil photos,
et pour finir, sa chasuble fluo et son triangle de signalisation dont il ne saurait se séparer.

Voilà, il est prêt.
Cette année, il n’a prévenu personne.
Pour tout dire, il y a déjà plusieurs mois qu’il fait le mort, volontairement. Il a besoin de se faire oublier.
Se faire oublier du monde des humains, pour que son absence ne se remarque pas.
Se faire oublier du monde des lutins aussi… pour que sa venue ne se pressente pas… si cela est possible.

Au Village, dans sa maison, depuis plusieurs mois déjà les plantes, la maisonnée et la ménagerie (Colette, Joséphine et Napoléon) sont confiées aux bons soins de la femme de ménage... Il n’en aura pas beaucoup profité cette année… à peine 3 mois.
Dans le studio secret quasi vide sans meuble ni placard qu’il a beaucoup fréquenté ces derniers mois, le petit ordinateur récemment acquis est éteint depuis plusieurs jours. Ses quelques affaires ont été rapidement rangées, empilées dans un coin de la pièce à côté du matelas et du gros carton plein. Les volets sont fermés… comme toujours.
Dans cet appartement de la Grande Ville qu’il habite actuellement, son ordinateur est aussi éteint maintenant, rangement et ménage ont été faits, les stores sont baissés… comme à chaque fois qu’il part « normalement » en voyage.

Il prend sur la table les deux enveloppes.
La première, en laquelle il vérifie la présence de son cadeau de Noël dernier… on ne sait jamais que son âme lui indique pendant son voyage qu’il est temps de valider son billet gagnant de l’Euromillions !
La deuxième, dont il vérifie qu’elle contient bien sa courte lettre parfaitement pliée en quatre. Point de pastille ni de GPS cette année, il sait exactement le cheminement que prendra ce courrier… Libourne, Rovaniemi et enfin le « vrai » Village du Père-Noël sous Groenland. Enveloppe cachetée. Il la postera en temps voulu, normalement après son retour... on ne sait jamais s’il restait coincé loin de chez lui plus longtemps que prévu !
Il glisse ces deux éléments précieux dans la ceinture secrète qu’il porte à même la peau, sous ses vêtements ; c’est qu’il ne s’agit pas de les perdre !

Voilà, il est prêt.
Il lance un « Je pars en voyage ! » à destination des éventuels squatteurs magiques cachés dans son appartement, avant d’en fermer la porte et glisser la clé sous le paillasson… pour personne. Et peu importe que quelqu’un vienne fouiner, il ne trouvera rien ici d’intéressant, il a bien veillé à n’émietter aucune trace de son enquête et de ses préparatifs, ni ici ni ailleurs.

Le sac sur le dos, une grande inspiration et en tête cette ritournelle qui ne le quitte plus depuis des mois :
« Le Père-Noël, je l’aurai un jour, je l’aurai ! »

Oui, bin, heu... je ne sais pas trop où ça va nous mener tout cela... parce que Fée Inspiration a quelque peu déserté les lieux depuis une semaine...
Alors, j'ai relancé la machine parce que je trouvais qu'on avait bien besoin d'un peu de magie en ce moment (et avec un petit espoir de rappeler Fée)... mais les bribes à ma disposition actuellement me paraissent bien moins aventureuses et magiques que les années précédentes...
Il y a un grand risque me semble-t-il que, comme nombre de séries, le 3ème épisode n'arrive pas à la cheville du 2ème, qui déjà lui-même était bien en dessous du 1er...
Je m'excuse d'avance pour tous les fan(ne)s déçus... et les lutins que je pourrais froisser ou vexer...

Passeport et billets en poche, il part en voyage, comme d’habitude… Presque comme d’habitude.
Officiellement, il part juste en voyage. Deux voyages par an, c’est son habitude.
Intérieurement, il sait bien que ce n’est pas vraiment un voyage « comme d’habitude » puisqu’il a une mission à remplir. La destination n’a pas été choisie au hasard… hooo non !

Dans les transports qui l’emmènent à l’aéroport, il essaie juste d’agir comme d’habitude.
Surtout ne pas éveiller les soupçons de ceux qui l’espionnent depuis Noël dernier… hooo non !
Savent-ils seulement dans quel pays il se rend ? Sûrement. De toute évidence, il était bien surveillé. En tout cas, c’est ainsi qu’il a vécu tous ces derniers mois : en liberté surveillée.
Savent-ils pourquoi il se rend dans ce pays et ce qu’il compte y faire entre deux visites touristiques ? Il espère que non. Du reste, il a bien veillé à rester très discret et secret à propos de tout ceci. Moult précautions il a prises et a priori le studio secret a été une belle cachette sans yeux indiscrets… pense-t-il.

C’est que, dès le lendemain de Noël il s’était senti espionné, surtout en sa maisonnée villageoise.
Cette impression d’avoir toujours une paire d’yeux invisibles posée sur lui, c’est stressant, désagréable, usant. Et pourtant, il n’a jamais réussi à surprendre le ou les espions. Aucun tiroir, aucun coin de placard ou d’étagère, aucune boîte ou autre babiole, tous plusieurs fois retournés, scrutés, nettoyés… n’a révélé de présence lutine avérée. La seule paire d’yeux braquée sur lui qu’il pouvait croiser était celle de sa poulette Colette, souvent tête inclinée d’un air interrogateur « Côcôôôt ? ». C’est vrai que le voir fouiller ainsi, le voir tout retourner, et surtout le voir faire du ménage, ça devait l’étonner, Colette ! Son maître était décidément bizarre depuis qu’il était rentré, devait-elle penser… Cela ne devait pas paraitre normal, ce remue-ménage, sans parler des nuits agitées de rêves pendant lesquels il gémit ou appelle une certaine Arwen, son nouveau tic consistant à s’observer dans le miroir à tout moment en touchant son nez, comme pour vérifier qu’il est normal et bien en place et cette activité si inhabituelle pour lui mais qui semble être devenue son passe-temps favori…

Il n’avait tenu que trois mois dans cette maison qui lui semblait maintenant hantée de lutins veilleurs invisibles.
Même lors de ses sorties au Village il avait la sensation permanente d’être suivi et surveillé, sans qu’aucune âme inconnue ne soit repérable derrière les arbres, les haies, les coins de bâtiments ou les fenêtres.
Tout juste les habituels Villageoises et Villageois rencontrés dans les ruelles…
Se peut-il que la mairesse et les autres Villageoises ne soient que des lutines qui se sont mises au service du Père-Noël comme veilleuses ? Dans sa paranoïa, il en est maintenant persuadé.
Tout juste quelques félins et volatiles habituels qui se promenaient semble-t-il normalement…
Se peut-il qu’un lutin veilleur se cache sous l’apparence d’un pigeon, un moineau ou un chat ? Il a vite fini par le croire.

Il avait donc quitté la place au printemps, sans crier gare.
Il avait confié la maisonnée à la femme de ménage, et emporté ses affaires du quotidien et le gros carton dans son appartement de la Grande Ville d’en Face.
Mais même là, il n’avait pas trouvé un plein repos. Certes, en journée, à l’extérieur, il se fondait dans la foule et pouvait travailler, se promener et sortir sans avoir l’impression omniprésente d’être surveillé. Il respirait à nouveau, il vivait ! Mais dès qu’il rentrait dans son appartement, la tension montait, le doute s’installait, la sensation désagréable persistait… malgré toutes les vérifications également plusieurs fois faites ici.
Se peut-il qu’un lutin veilleur se cache sous l’apparence d’un objet du quotidien ou soit complètement et de façon permanente invisible ? Il a fini par le croire aussi…

Et il a fini par s’habituer à cette présence invisible, à cette « liberté surveillée ».
Aidé en cela par son « frère jumeau » comme il aimait à l’appeler maintenant, et par sa nouvelle quête qui devait se faire en grand secret.

Puisqu’il ne pouvait combattre ses espions, il fallait les bluffer, les contourner, les « enfumer » comme lui disait son nouvel ami, le lutin Pullö, avec lequel il était resté en contact étroit et qui savait si bien lui insuffler son insouciance, son espièglerie et son art de la manipulation et de l’illusion. Et la vie était alors devenue un jeu pour lui aussi. Un jeu d’espionnage où il était la cible espionnée qui devait agir à l’insu des espions. Il ne luttait pas contre « les forces du mal », mais contre « les forces lutines » s’amusaient-ils à proclamer quand ils étaient seuls en un territoire qu’ils estimaient « abrité ».

Il a fini par s’habituer à cette « liberté surveillée » et par agir comme s’il l’avait oubliée, comme s’il était passé à autre chose et qu’il avait définitivement renoncé à toute intrusion dans la vie, les espaces et la magie du Petit Peuple des Lutins et Associés, à toute quête pour comprendre les mystères de Noël ou pour retrouver son elfe saamie ou sa fée des neiges…
Sur les conseils de Pullö le magicien lutin, il avait arrêté de chercher les lutins veilleurs, il avait feint ne plus s’en préoccuper. Il avait également fait mine de recommencer à mener sa vie quotidienne comme avant, tranquillement, comme si de rien n’était. Il avait repris ses habitudes, chez lui et en dehors… à quelques exceptions près qui devaient passer, et passaient bien d’après lui, totalement inaperçues.

Il faisait semblant, il était dans le jeu total et permanent, avec une mission à accomplir.
Ils faisaient semblant, ils étaient tous deux dans le jeu entre vie d'humains et vie de lutins, avec une mission commune à accomplir.