Mayuri, une japonaise (IV)
Le Stupa de la Paix.Pour ma part ce stupa ne m'a pas laissé un grand souvenir et, à vrai dire, je l'aurais déjà oublié si Mayuri ne m'avait accompagné et rendu ainsi cette randonnée fort agréable. En revanche, pour elle, ce n'était pas la même vision puisque se sont des japonais qui ont financé ce monument, sans doute pour se faire pardonner toutes leurs exactions en Asie lors de la deuxième guerre mondiale. Comme les tiges à selfie n'existaient pas en 2014, Mayuri demanda à un touriste indien de nous photographier. J'oubliais... Mayuri utilisait un smartphone...
Ensuite, elle visita consciencieusement le site, lu toutes les inscriptions sur des pierres et des plaques commémoratives, les pries même en photos... ouh ! je reconnaissais bien là une japonaise, ou un japonais d'ailleurs, ils sont tous extrêmement curieux, attentifs à ne rien rater d'un lieu qu'ils visitent. Je trouve cela très sympathique, mais sans moi si ma motivation n'est pas au rendez-vous, comme ce fut le cas ce jour-là, et c'est pourquoi je montai les dernières marches seul pour aller voir de plus près le stupa. Là haut, je tournai à gauche. Je croisai la famille française qui avait entrepris la visite en tournant à droite. Je dis au père qu'ils tournaient dans le mauvais sens. Il me demanda pourquoi, je lui répondis en posant cette question qui le décontenança :
- Vous n'avez pas lu "Tintin au Tibet" et ce qui est arrivé au capitaine Haddock qui, emporté par son élan, dévalait une pente à toute vitesse tandis qu'un sherpa lui criait de passer à gauche du stupa vers lequel il se dirigeait?
- Heu... non, me dit-il, gêné et souriant à la fois .
Mon Dieu ! Quelle inculture !
Sur ce, Mayuri se pointa. Elle arrivait dans le bon sens, cela va de soi. Lorsque nous redescendîmes, elle tint à me montrer les inscriptions qui l'avaient tant intéressée, et cela l'était... mais j'ai vite oublié ce qu'elles racontaient.
Mayuri, une nurse japonaise.A côté, il y avait une boutique de souvenirs très sommaire, et une terrasse de café avec une carte très succincte. Nous pûmes alors discuter tranquillement, se raconter.
Que fais-tu dans la vie, Mayuri? Elle est nurse, elle gagne 200 dollars américains par jour. Oh? Elle est diplômée, elle est engagée par des familles riches, et on devine ce que ça peut représenter une famille riche au Japon. Mais, tout de même, 200 $... Après tout, pourquoi pas? Quand elle revient de voyage, elle se branche sur un site spécialisé où elle est inscrite et regarde les propositions. Elle n'a aucune difficulté pour retrouver du travail. Mais la vie au Japon n'est pas si féérique que ça, beaucoup de gens ont des problèmes psychologiques liés au stress, au "burn out". Elle me cite des membres de sa famille, des amies. On est loin des cerisiers en fleurs, des kimonos chatoyants et des geishas aux gestes hiératiques, bref, de la vie sans sushis. Elle est complexée, elle ne le dit pas mais je le sens bien, elle ne se trouve pas jolie. Il suffit de quelques petits changements, des détails...
... d'ailleurs, le soir où je la vis vraiment pour la dernière fois, elle m'a beaucoup troublé mon honorable sœur cadette du Japon ! J'étais attablé dans un restaurant, elle descendait la rue qui va au lac. Elle semblait me chercher, alors dès qu'elle m'aperçut elle entra, ne s'assit pas en face de moi, se décala un peu, ce que j'apprécie beaucoup car j'ai horreur de manger avec quelqu'un en face de moi. Ce soir là, je la trouvais vraiment charmante, elle avait dénoué sa queue de cheval, ses cheveux noirs effleuraient ses épaules, et elle ne portait pas ses lunettes mais des lentilles de contact. Et comme pour toutes les asiatiques, ce fut pour moi un gracieux spectacle de la voir manger, manier des baguettes d'une main, et de l'autre retenir ses cheveux quand elle se penchait sur son assiette, un spectacle bien troublant lorsque ses lèvres aspiraient prudemment les "momos" chauds.
Le lendemain, elle quittait donc définitivement Pokhara avec son ami danois.
L'ami de Mayuri, un danois.
Dès notre première rencontre, au petit déjeuner, elle m'avait dit qu'elle attendait son ami danois. Elle le fréquentait depuis quelques mois, ils s'étaient rencontrés au Japon, et elle lui avait rendu visite au Danemark. Visiblement, elle se sentait gratifiée par cette relation, et j'eus d'emblée de la compassion pour elle car j'avais vite compris, et cela se corrobora au cours des conversions qui suivirent au fil des jours, qu'elle n'était pas sure d'elle, complexée. J'eusse aimé lui insufflé l'idée qu'elle était une belle personne, qu'elle n'avait pas à se tourmenter sur son physique, mais la flemme terrassa rapidement mon envie de me lancer dans un discours alambiqué, et qui plus est dans une langue que je maitrise toujours mal, l'anglais - elle aussi, d'ailleurs, c'est sans doute pourquoi on arrivait tout de même à converser, et lorsque j'avais du mal à comprendre elle sortait son smartphone pour "google translate".
En descendant du Stupa de la Paix, elle pensa à me dire qu'elle avait reçu ce matin un mail de son ami qui lui annonçait sa visite pour dans trois jours, ensuite, après deux jours de repos, ils envisageaient de faire un trek dans les Himalayas si proches. La veille de son arrivée, Mayuri se proposa gentiment de me présenter son ami, ce à quoi je répondis aussitôt qu'il n'en était pas question, et je lui souhaitai par la même occasion bonne chance pour sa ballade dans les neiges éternelles.
Et je ne la revit plus dans Pokhara, du moins pendant environ deux semaines...
Brève rencontre avec l'ami danois de Mayuri.
... Et un soir, tandis que j'attendais ma commande dans un restaurant, je regardais les passants comme une vache qui regarde passer les trains, sans être perturbé par quelques pensées inutiles car, au fond, ce n'étaient pour moi que des silhouettes incertaines, des fantômes égarés dans la nuit de Pokhara. Soudain, je la vis, habillée et coiffée comme lors de notre première rencontre. Je ne encore pas pourquoi, mais ce soir là je me suis dis pourvu qu'elle ne me voit pas. Et elle me vit, elle leva le bras, et ça me fit plaisir. Oui, je sais, c'est contradictoire... ma complexité me laisse perplexe. Alors je levai à mon tour le bras pour lui exprimer mon contentement de la revoir.
Mayuri s'assit à mes côtés, et elle se comporta d'emblée avec une rare décontraction, comme si nous nous étions jamais quittés. Avec son ami danois, ils étaient arrivés hier soir à Pokhara. Je savais qu'elle dormait dans un dortoir de son hôtel, je lui demandai donc s'ils avaient pris une chambre - cela me paraissait d'une telle évidence. Eh non ! Tous les deux dormaient dans le dortoir de six lits. Non, cela ne la gênait pas, ils étaient les seuls clients, ce qui l'embêtait surtout c'est que son ami ne discutait pas beaucoup avec elle, qu'il s'endormait très tôt et elle, les yeux fixés sur le plafond du dortoir, elle s'interrogeait durant ses heures d'insomnie sur la pertinence de continuer cette relation. Je préfère être avec toi, j'aime bien parler avec toi me dit-elle, en ce moment il discute avec son copain italien qui est dans le même hôtel. Il va venir, ajouta-t-elle. Oh merde ! Vite ! L'addition ! L'ami de Mayuri était le cadet de mes soucis, je restais assis parce que je n'avais fini de manger, j'allais tout de même pas la planter comme ça. Tiens, le voilà, il arrive, me signala-t-elle. En effet, je vis un type d'une trentaine d'années, blond, large d'épaule, portant des lunettes d'écailles. Avec un costume-cravate, il passerait facilement pour un cadre d'une société. L'escogriffe qui l'accompagnait, coiffé comme un rasta, mais un rasta méditerranéen car il avait vraiment l'air d'un gars du sud de l'Europe. Ils s'approchèrent de nous, le danois me serra la main, échangea quelques mots avec Mayuri, du genre je vais discuter et boire des bières avec Gianni, on se voit plus tard. Parfait ! dit Mayuri, parfaitement à l'aise. La maligne ! Elle était bien contente d'avoir montré à son ami qu'elle aussi pouvait discuter avec quelqu'un, qu'elle n'était pas seule au monde.
Au fond, Mayuri, nous étions toujours bien contents de nous revoir dans Pokhara pour une raison très simple : nos deux solitudes se tenaient compagnie...
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Une japonaise, ça tient parole.Bien entendu, nous avions échangé nos e-mails, et elle m'avait promis de m'envoyer quelques photos. J'étais revenu en France en avril 2014. Les semaines passèrent, toujours pas de photos. Bon, me suis-je dis, moi le premier, au cours de mes voyages, il m'est arrivé de ne pas tenir parole en n'écrivant pas, j'avoue même avoir jeté des adresses mails que l'on m'avait donné et que j'avais pourtant accepté... par politesse. Au bout de cinq mois, j'ai craqué. C'est bête, mais j'ai toujours la naïveté de croire aux promesses que l'on me fait, c'est pourquoi je préfère les rencontres éphémères, les "... belles passantes que l'on connait à peine/qu'un destin différent entraine/ et qu'on ne retrouve jamais..."
Alors j'ai envoyé un message Mayuri. Quoi? Tu m'as oublié? Ensuite, je me suis senti libéré, j'avais exprimé mon émotion, je l'avais expulsé hors de moi, et je finis par sourire ironiquement de ma colère infantile. Finis Mayuri, une rencontre parmi d'autres. Deux semaines plus tard, énorme surprise : un message de Mayuri !
山川まゆり
Je suppose que c'est son nom en japonais ! Et cela commençait ainsi :
Hi George !
No, I never forget it!
Elle s'excusait, elle avait des problèmes avec son p.c. Elle allait m'envoyer les photos, ainsi qu'à... son ex-boy friend ! Oh merde ! La pauvre ! Mais je ne fus pas surpris, elle avait donc tourner la page du Danemark ! Lorsque qu'elle m'envoya les photos, début 2015, elle m'annonça qu'elle partait crapahuter en Amérique du Sud. Et je me suis dis pourvu qu'elle trouve un compagnon, ou une amie, pour voyager avec elle, car l'Amérique du Sud, enfin ça dépend les pays bien sûr, ce n'est pas très recommandé pour les femmes seules.
Je me rends compte que si Mayuri ne m'avait pas envoyé ces photos, elle n'aurait pas tenu une telle place dans ma mémoire.
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En 1982, au Sénégal, je ne connaissais que l'adresse postale de Ndeye Djemberi, l'internet n'existait pas, on ne s'échangeait pas nos mails, et je n'avais fait aucune photo. Pourtant, malgré les années qui passent, j'ai toujours le rire de Ndeye Djembery en moi.[/b]