Croisière Scandinave
DEUX
Göteborg
On m'avait dit tu verras, à Göteborg, il y a plein de femmes voilées. Ah bon? Il est vrai que la Suède a accueilli beaucoup de réfugiés mais, au centre ville, pas une femme voilée en vue, et pas beaucoup de monde à vrai dire : la Suède est en vacances de mi-juillet à mi-août, cela équivaut exactement au mois d’août en France.Le black-out estival ! Les seules femmes la tête recouverte d'un tissu que j'ai vues ce fut à chaque débarquement, après une nuit en ferry. A chaque fois c'est le même scénario : on voit une trentaine ou plus de travailleurs immigrés, vêtus tous d'un tee-shirt de la même couleur, monter à bord avant que tous les passagers n'aient fini de débarquer. Le nettoyage, c'est pas pour les autochtones !
Notre accompagnatrice avait téléphoné à notre guide pour Göteborg, elle lui donna rendez-vous sur le port. Une dame, si j'ai bien compris originaire de Suisse alémanique, monta dans le bus et, aussitôt, notre accompagnatrice lui mit entre les mains le micro pour qu'elle se présente, ce qu'elle fit avec cet humour de patronage toujours très apprécié dans les voyages en groupe. (voir internet)
Nous fîmes notre premier arrêt pour visiter Masthuggskyrkan (combien de points au scrabble?), une église luthérienne située sur une colline qui offre d'un point de vue magnifique sur toute la ville. Le bus s'arrêta, tout le monde se précipita dehors, et j'entendais déjà des dames qui demandaient s'il y avait des toilettes dans l'église. Je m'éloignai du groupe pour voir tout d'abord le panorama. Plus personne dehors, ouf ! Alors, avant de rejoindre tout le monde, je pris le temps de respirer l'air de Göteborg, de regarder le port, les quartiers, les toits, les murs... Mince alors ! Pas possible ! Je repérai deux tags soigneusement appliqués avec de la peinture blanche, précis, bien nets...
Je fis des clichés, puis je rejoignis le groupe dans l'église, me délectant à l'avance de l'effet que produiraient mes photos sur la guide - parce que j'avais bien l'intention de les lui mettre sous son nez car je pressentais chez elle une forme de rigidité morale, bien corsetée. Le groupe était devant l'autel aux fresques très colorées, attentif aux commentaires qu'elle prodiguait. Puis elle passa sur la gauche et s'arrêta près d'une petite armoire métallique devant laquelle trônait un petit cercueil. Elle ouvrit les portes et nous vîmes des vêtements sacerdotaux pour... enfants ! Alors ce qu'elle raconta m'agréa : ici, dit-elle, nous apprenons aux enfants la réalité de la vie, de la mort, nous les habituons, nous les préparons à tout ce qui peut advenir. Et dans le cercueil, il n'y a rien? demandai-je en restant le plus sérieux possible. Mon Dieu ! Non ! s'exclama-telle, complètement effarée par ma question. Pour ma part, j'approuvais cette façon d'éduquer les enfants : la vie, ce n'est pas un jeu vidéo sur des écrans numériques, il y a la réalité de chair et de sang, ainsi, sans conscience, concentré sur son seul plaisir, un enfant non éveillé au monde réel pourrait commettre un acte sans réaliser, ou sans imaginer un seul instant les éventuelles conséquences - tiens, jouer avec des allumettes, par exemple.
La guide ramena le groupe à l'entrée de l'église, en passant par l'aile gauche. Elle raconta je ne sais trop quoi sur le bateau qui flotte dans les airs...
... j'arrivai à la fin parce que je m'étais attardé, intrigué par un immense poster collé sur un mur du passage de l'aile : sur un fond d'une blancheur éternelle, une assemblée de jeunes gens photographiés tous de blanc vêtu, garçons et filles, alanguis comme après une nuit d'amour, vous regardent sereinement si vous prenez la peine de vous arrêter... or ce ne fut pas le cas du groupe qui suivait la guide, et nous ne fûmes que trois ou quatre à nous interroger sur ce poster incongru en ce lieu. Blancheur immaculée de l'innocence, peut importe votre orientation sexuelle, vous êtes les enfants de Dieu semblait nous dire ce poster ! Je ne l'ai pas photographié parce que entre le mur de l'église et le mur intérieur de l'aile il n'y a que deux à trois mètres de largeur, et donc pas assez de recul.
Lorsqu'il y eut juste quelques personnes, une nouvelle fois attentives aux dernières précisions de la guide, je pus lui parler enfin du poster. Tout de suite, son visage se ferma. C'est choquant, dit-elle, je passe toujours devant rapidement quand je suis avec des touristes, je ne veux pas en parler. Alors je pris mon appareil photo pour lui montrer les photographies des tags, à l'extérieur. Je lui demandai, d'un ton cauteleux, faussement naïf, si "merde" ça voulait dire quelque chose en suédois. Ah je vous jure ! elle resta pantois durant une poignée de secondes, sans pouvoir dire un mot ! Mais où avez vous pris ces photos? me demanda-t-elle, montrez moi !
Une fois sur le belvédère, je pointais l'endroit où se trouvaient les deux tags. Elle resta un moment interdite, et elle fit demi-tour en marmonnant sans doute en suédois. J'imaginai qu'elle préparait déjà dans sa tête une missive pour la mairie !
Le bus redémarra, direction l'opéra de Göteborg. La guide nous prépara à une surprise inattendue, quasiment inexplicable. Sur le fronton de l'opéra, il y a cette inscription vraiment mal venue pour un bâtiment de cette nature : PIZZERIA. Si cela ne tenait qu'à moi, nous dit-elle, je supprimerais ces lettres ! C'est de l'art, parait-il, je serais bien contente si on les retirait ! Nous ne pouvions acquiescer, en priant le ciel pour que cela n'advienne pas sur le fronton de l’Opéra de Paris.
Le bus s'arrêta aux bas des marches qui mènent à l'opéra. Dispersion générale. Je furetais là où aucun membre du groupe n'avait mis les pieds. Et je découvris un duo de statues dont la guide n'avait soufflé mot : deux jeunes femmes nues l'une derrière l'autre, celle de devant a le visage de la timidité feinte mais aussi de l'acceptation, le visage de celle qui est derrière a l'air plus décidé, et d'ailleurs elle semble obtenir ce qu'elle veut.
Les quelques passagères qui virent la photo avant de rembarquer dans le bus me demandèrent, étonnées, où je l'avais prise. A gauche de l'Opéra, il y a un petit jardin avec ces deux statues, dis-je, mais pour vous c'est sensé représenter quoi? Oh ! Des danseuses ! D'accord, je pris note mais je résistais à la tentation de zoomer sur les deux mains des statues liées d'une manière explicite... qui n'a rien à voir avec "Gisèle", ou alors cela avait un rapport avec la mythologie - ou tout simplement un fantasme du sculpteur. Pourtant, cette sculpture, il me semblait l'avoir vue quelque part, juste une impression de déjà vu.
En tout cas, je ne la proposai pas au regard critique de notre guide, elle avait suffisamment souffert ce jour là....