Une pure folie.Hua Hin est une station balnéaire à, environ, deux cents kilomètres au sud de Bangkok. Depuis bientôt trente ans, j'y ai observé les changements, la disparition des champs, des rizières, transformés en lotissements pour gens aisés, à l'abri derrière le mur d'une enceinte et avec des gardiens à l'entrée. Faut pas croire que ces constructions sont exclusivement pour les "farangs", étrangers à peau blanche, loin de là, même s'ils sont devenus un peu trop présents - mais plutôt dans de grands ensembles sidérants - : en majorité, ils sont issus du monde scandinave, ils ont donc un pouvoir d'achat conséquent, et ils ont tous plus d'une soixantaine d'années, ajoutons que, sur la plage, ils offrent un spectacle que l'on peut considérer, à l'instar d'Ignatius O'Reilly, comme " une insulte au bon goût et à la géométrie ". Les Thaïlandais, eux, se baignent habillés, c'est comme ça, c'est leur culture... jusqu'à quand ? Chaque week-end, Hua Hin est envahi par le Bangkokois, jeunes et bourgeois, et c'est en les observant que l'on constate combien le niveau de vie a augmenté pour eux. Ce qui m'a le plus frappé, au cours des années, c'est que, petit à petit, les Thaïlandais n'hésitent plus à se donner la main dans la rue, alors qu'auparavant c'était mal vu : si on voyait une femme tenir la main d'un "farang", ça voulait dire qu'elle "travaillait" ! La coiffure des femmes a beaucoup changé, les magazines féminins ne montrent que des modèles qui s'apparentent plus à des occidentales qu'à des asiatiques, les jeunes hommes ne lésinent pas sur la gomina, ils ont tous leur iphone, leur tablette, on voit même des gens se balader avec leur chien dans les bras, comme un bébé. Seulement la Thaïlande des grandes villes est différente de la Thaïlande des champs, il suffit de voir ces baigneuses.
Je dirais enfin que Hua Hin est une ville où le roi a une résidence, et que les policiers aiment bien arrondir leurs fins de mois, surtout avec les "farangs".
Bon, ce n'est pas tout, ça n'a rien à voir avec le titre.
Je vais vous parler de la plus grande bêtise, de la plus grande connerie que j'aie jamais faite en Thaïlande. En fait, une pure folie ! Il n'y a qu'ici que je peux la raconter, puisque nous sommes dans un village.
Tout d'abord, il faut que je dise qu'une année, à moto, j'ai découvert un endroit bizarre dans la campagne, à l'ouest de Hua Hin. J'avais pris un chemin au milieu des champs qui aboutissait dans une sorte de no man'sland : tout à coup, le chemin devenait une petite route bien goudronnée, et je voyais sur la droite des bâtiments d'un étage, rutilants, au milieu d'un paysage arboré, ordonné. Il n'y avait pas de panneau, ni une barrière, rien qui pouvait m'indiquer la nature de ce lieu, alors j'ai fait demi tour.
Une année plus tard, j'ai retrouvé à Hua Hin cet ami, marié avec une Thaïlandaise, avec qui j'ai sillonné la Thaïlande en long, en large et en travers, en bus, en avion, à dos d'éléphant, à bicyclette, mais surtout, surtout, à moto ! Je leur ai montré l'endroit que je viens de décrire. Alors, Daniel B. me dit qu'en prenant cette route, on trouverait un raccourci pour rejoindre la mer. On y va ? Allons-y ! Je suis passé devant.
Au bout d'une trentaine de mètres, j'ai entendu crier. Je n'ai pas vu qu'un serpent était passé devant ma roue, et pour la femme de Daniel cela annonçait un malheur. On a continué, tourné à gauche. Toujours stupéfait par la propreté de ce parc, on a fini par comprendre, oh non de non, que l'on faisait de la moto dans... une base militaire !!! On a croisé un militaire à moto, il nous a regardé, bouche bée. Sur notre droite, de longs bâtiments, on a vu une centaine de soldats en tenue de sport faire des exercices, on est passé devant la prison, puis des magasins, et aussi au milieu des logements, sans doute pour les officiers... oh leur tête en nous voyant passer ! On a eu l'impression d'être dans un film américain, dans un film de Clint Eastwood, qui montre ces immenses bases militaires, comme des villes autonomes.
Je ne me rappelle plus combien de temps nous avons roulé, et nous sommes enfin arrivés devant la grande entrée qui se trouve le long de la route qui mène à Hua Hin - de la route, on ne voit rien de cette base, puisqu'un mur sur je ne sais combien de centaines de mètres, voire un kilomètre, protège des regards. On a fait mine de se diriger vers ce qui devait être notre sortie, mais deux militaires se sont précipités pour nous barrer le chemin, et ils nous fait signe de nous garer pour attendre l'officier de sécurité.
Ce qui s'appelle se mettre dans une situation fort embarrassante, aux conséquences peut être catastrophiques !
La femme de Daniel B., beaucoup plus réaliste que nous, était fort inquiète. On allait avoir de gros ennuis, surtout avec ces attentats islamiques dans le sud du pays, et en plus nous n'avions pas nos passeports, laissés en garantie au loueur de motos. Alors, nous l'avons briefée. On lui a demandé d'insister sur le fait qu'il n'y avait aucun panneau d'interdiction, pas de barrière, rien qui laissât soupçonner que c'était une base militaire. Bon, il est vrai que le paysan du coin n'avait pas besoin de ça, mais nous nous étions de passage, etc, etc. Sur ce, une voiture s'est arrêtée. Un militaire, relativement grand, le visage ouvert, souriant, s'approcha de nous, les mains sur ses hanches. C'est bon, me suis-je dit, on va s'en sortir, surtout qu'il ne ressemble pas à un Thaïlandais ! La femme de Daniel se mit à l'oeuvre, nous avons ajouté quelques détails, et j'ai même indiqué à l'officier que mon père était militaire. Bon sang ! Quelle chance on a eu de tomber sur un type intelligent ! Il nous a demandé d'où nous étions, puis, constatant qu'il n'y avait pas, en ce qui le concernait, de quoi fouetter un chat, il nous a laissé partir, mais, dit-il, vous ne sortez pas par la grande entrée, vous n'êtes pas sur leur registre, ils ne vous laisseront jamais sortir, passez donc sur la gauche, faites une cinquantaine de mètres, vous sortirez par une petite porte, les soldats sont au courant, je leur ai signalé votre passage.
Heureusement aussi que nous avions eu une Thaïlandaise avec nous ! Nous sommes sortis de la base par... cette sorte d'entrée des artistes, des fadas devrais-je dire. Les militaires nous ont joyeusement salués. Qu'est-ce que nous n'avions pas fait ? Nous avions traversé une base militaire et nous en étions sortis sans problèmes. Quelle connerie, bon sang ! Mais ça nous donnait aussi le vertige ! Si nous étions tombés sur un "scrogneugneu", on aurait peut-être fait la une de "The Nation" ou le "Bangkok Post" ! Et la Thaïlande, ça aurait été vite terminée ! Quelle folie, quelle pure folie d'avoir commis cet acte insensé !
Plus tard, on s'est dit que, qui sait, on leur a évité des actions de terroristes à venir, qu'ils allaient prendre leurs précautions, mettre des caméras, des barrières, car, sans nul doute, ils ont dû se rendre compte qu'il y avait une sacrée faille dans leur sécurité, qu'ils n'avaient pas prévu l'invraisemblable !
Ce qui est sûr, c'est qu'il ne doit pas avoir beaucoup de "farangs" qui ont réussi à traverser ainsi une base militaire sans y être invités, les doigts dans le nez ! Moi, je suis sûr qu'il n'en a que deux, dont votre serviteur.
A Parichuab Khiri Khan, on traverse une base militaire pour se rendre sur une plage, mais ça n'a rien à voir avec un grand camp renfermé sur lui même, c'est autorisé, on y trouve de quoi boire et se sustenter, acheter même quelques souvenirs ! On pourrait dire que, sur le plan écologique, c'est un endroit très protégé.
Maadadayo !