L’œil écoute.
"L’œil écoute" est le nom d'une librairie située sur le boulevardd Montparnasse. Je la fréquente souvent, surtout le dimanche après midi, et quelquefois j'achète le livre que je ne trouverais jamais dans un grand supermarché de la culture. "L’œil écoute". Bon sang ! Cette appellation m'a toujours fasciné ! Aujourd'hui, je sais pourquoi. Puisque lire d'un seul oeil me fatigue, je passe plus de temps à écouter la radio. Je pourrais donc intituler les lignes qui suivent...
.... Mémoires de l’œil qui écoute...
Juin 2014. Paris.
Bob Maloubier, ce nom me disait vaguement quelque chose. J'ai écouté son interview, un matin sur France Inter, par Patrick Cohen. Quel sacré bonhomme tout de même ! Quel aventurier ! Il a parlé de la deuxième guerre mondiale avec un ton enjoué, avec beaucoup d'humour, et je sentais bien que Patrick Cohen semblait être désarçonné par ce personnage hors norme, jusqu’à sombrer dans la stupeur quand, après lui avoir demandé ce qu'il retenait de ces années de guerre, il reçut cette réponse :
- Ce fut les plus belles années de ma jeunesse !
Patrick Cohen a eu l'air choqué, pas moi. En effet, Maloubier s'est volontairement engagé dans la résistance, il a pris d'énormes risques pour rejoindre De Gaulle à Londres, ensuite il a participé à des actions secrètes sous l'occupation, vu plusieurs fois la mort de près, bref, en si peu d'années, il a vécu cent milles vies ! Et il a continué jusqu'à très tard à vivre dans un milieu interlope, secret. Bien entendu, pour 99% des gens ce furent les années noires, les années des tickets de rationnement, des files d'attente interminables pour avoir un morceau de pain ou peu de charbon, les années de la peur, du froid et de la faim. Rares furent ceux qui entrèrent dans l'action, rares furent ces aventuriers, j'écris aventurier car il fallait l'être sacrément pour oser affronter l'occupant nazi. J'admets donc que ceux qui ont agi puissent avoir des souvenirs différents de ceux qui ont attendu quatre ans la libération. Pour ma part, j'aurais fait comme tout le monde : j'aurais attendu le débarquement des américains. Comme le chante si bien Kent :
Et quand ça chie
On est pas nombreux dans le maquis !
***********************************************
La nuit s'installait.
Je recommence à sillonner le supermarché de la culture, la FNAC. On ne peut pas ignorer le dernier roman de Marc Levy, c'est vraiment la tête de gondole ! Comme je ne suis pas bégueule, je l'ai pris et je l'ai ouvert au hasard, et en clignant d'un œil. Je suis tombé sur un paragraphe où un personnage fait sa valise... pendant tout le paragraphe ! Car l'auteur nous fournis la liste complète de tous les vêtements que son personnage emporte ! Bien joué, Marc ! Il doit sans doute fournir son roman avec un nombre de mots prévu dans son contrat. Ensuite, j'ai refermé le bouquin et je l'ai rouvert au hasard. Et je suis tombé sur cette phrase :
La nuit s'installait...
J'ai refermé le livre aussitôt, définitivement. Je n'ai pu poursuivre pour une raison très simple : j'ai vu la nuit qui s'installait!!!...
... Elle est arrivée tranquillement, avec son manteau, son chapeau et son cache col noirs ; elle a posé ses valises, noires, sur le sol, enlevé lentement son cache col, son chapeau, et ses gants en cuir noirs, quand, soudain, le jour s'est énervé. Vas-y ! dit-il. Prends ton temps pour t'installer, fais comme chez toi ! J'ai pas qu'ça à faire, moi, faut que j'aille de l'autre côté ! Oh ça va ! s'est écriée la nuit ! Faut pas me bousculer ! C'est écrit que je m'installe, alors laisse moi m'installer, enfin, quoi !...
Sans doute que je me fais une autre idée de la littérature, n'empêche, je suis très content que Marc Levy vende des milliers de livres. Peut être que cela encouragera ses lecteurs à essayer d'autres auteurs. Qui sait?
"
C'est ma frangine en noire, celle qui s'appelle bonsoir..." fredonnai-je en sortant de la Fnac.
************************
28 juin
France Inter, en direct de Sarajevo, avec Patrick Cohen, pour le centenaire de l'assassinat de l'archiduc. En 1982, je me trouvais dans cette ville, mais c'était encore la Yougoslavie. Je ne pensais absolument pas à cet acte qui a déclenché - c'est plus compliqué que ça - la première guerre mondiale, quand je suis arrivé, par hasard, à l'endroit précis où G. Principe a tiré sur l'autrichien. J'ai visité le musé, très simple, basique, consacré à l'évènement. A l'extérieur, sur le trottoir où Principe a attendu le cortège, j'ai mis mes pas sur l'empreinte de ses semelles dans le ciment. Pour ma part, je me souviendrais toujours du mois et de l'année de ma visité à Sarajevo, pour une raison très simple : c'est le seul souvenir que je garde de Gordana.
******************
Réflexions au dessus de l'abime : djihadistes et "brigadistes".
Associer djihadistes et guerre d'Espagne, je pousse un peu loin le bouchon, me dira-t'on, pourtant, bien avant d'avoir écouté l'interview de Maloubier, je me disais que, d'un point de vue psychologique, je pouvais comprendre ces jeunes qui partaient se battre en Syrie, vu que la plupart d'entre eux ne sont pas nés avec une cuillère d'argent dans la bouche, qu'ils se sentent acculturés, ou du moins rejetés dans un espace qui demande une certaine énergie pour sortir du lot. Après tout, on nous serine sur tous les médias que Assad est un atroce dictateur, qu'il est l'incarnation du mal, qu'il faut l'abattre, et personne ne bouge ne serait-ce que son petit doigt. En 1936, le général Franco, incarnation du Mal, a déclenché une guerre civile effrayante contre le gouvernement républicain, incarnation du Bien. Comment lutter contre ce fléau fasciste, puisque les gouvernements démocratiques de l'époque ne voulaient s'en mêler? Alors il y a eu la création des Brigades Internationales ! Qu'est-ce qui se passe en Syrie? La même chose ! De nombreuses nationalités se trouvent impliquées dans la guerre civile syrienne, des volontaires accourent, cherchant quelque chose qui va au delà du simple fait de lutter contre le dictateur - d'ailleurs la plupart d'entre eux choisissent plutôt les deux groupes islamistes qui n'hésitent à se tirer dessus : "al Nostra", la branche syrienne d'Al Quaïda, ou celle de "L'état islamique de l'Irak et du Levant" dont la violence monstrueuse donne des émois à la première citée. L'opposition à Assad n'est donc pas unie, polluée par ces radicaux qui se battent entre eux, et qui finissent par attaquer l'opposition officielle, celle qui a pris les armes après les manifestations. Tous ces jeunes décervelés ou pas qui partent en Syrie, qu'ont-ils comme avenir sinon le chômage ou un emploi sous-payé, juste de quoi faire comme tous les autres jeunes, c'est à dire de pianoter sur son smartphone à longueur de journée, ou alors s'ennuyer des journées entières, dans les cités, à attendre je ne sais quoi. Quel avenir, quelles perspectives, quels grands projets notre société peut elle leur proposer alors que certains d'entre eux rejettent complètement les valeurs d'une société laïque? En partant, ils espèrent connaître l'aventure, la griserie d'un combat, pour d'autres la désillusion, le lavage de cerveau qui les transformera en grenade dégoupillée, pour d'autres encore un sens à leur vie, et pour tous des problèmes - à juste titre - quand ils reviendront en France. Au fait, les "Brigadistes" qui ont lutter contre Franco, ils ne revenaient pas dans leurs pays en héros, ils se voyaient surveillés, emprisonnés, tels ceux originaires des pays communistes qui furent poursuivis et éliminés par Staline. Les anti-franquistes ne montraient pas aussi un front uni durant la guerre civile d'Espagne, bien au contraire, et les règlements de compte entre communistes, troskistes, anarchistes, républicains, faisaient de nombreux morts. Oui, me dira-t-on, seulement tous ceux qui je viens de citer luttaient contre le fascisme et pour la démocratie. Bien sûr, bien sûr, mais que l'on m'explique l'utilité de massacrer des curés, et des religieuses après les avoir violées, pour défendre la démocratie? Ainsi, en Syrie, tous les opposants au dictateur Assad n'hésitent pas à torturer, à trancher dans le vif des soldats qu'ils font prisonniers. Bon, ce sont de petites analogies entre la guerre civile d'Espagne et celle de Syrie, que l'on pourrait d'ailleurs comparer à la plupart des guerres civiles, mais il y a une certitude commune à toutes : le "bien", le "mal", et la religion quand elle s'invite au carnage , ne sont que les cache-nez d'un enjeu primordial, à savoir la prise du pouvoir. Ceci dit, y a néanmoins une énorme différence entre les brigadistes et les djihadistes : lorsque les premiers ont quitté l'Espagne, ils n'ont pas continué leur combat politique en tuant des innocents ! Ce qui m'effraie le plus, c'est que ces djihadistes commettent leur effroyable forfait en toute... sincérité ! En croyant que c'est utile pour leur combat ! Ce serait tellement plus rassurant de les voir en monstres assoiffés de sang, cela nous réconforterait dans l'idée que nous ne faisons de notre nature humaine, une nature humaine que leur monstruosité réfuterait à notre grand soulagement aveugle. Mais non, ce sont des êtres humains comme nous. On refoule l'idée que n'importe quel être humain peut se transformer en machine à tuer. Ainsi, lorsqu'on interroge les voisins d'un assassin, ils disent toujours "ah ! je ne comprends pas ! Pourtant il était poli, il disait bonjour, et il aidait à monter les courses de madame Duchmol !" Prenons la pire incarnation du "mal", au siècle dernier, je veux parler d'Hitler. Imagine-t-on qu'il se levait le matin en hurlant devant son miroir : ah ! je suis un monstre ! je vais faire le mal sur la terre !? Non, bien sûr, là encore, le plus déstabilisant, le plus horrible, c'est qu'il pensait agir pour le "bien" de l'Allemagne !
Ecce homo !
Tout jugement moral est faux à la base. Le bien et le mal n'ont aucune réalité intrinsèque ; c'est qu'ils sont précisément des jugements. L'abstention est une manière d'impératif pour quiconque réfléchi à ces choses.
Cioran
*********************************
Coupe du monde de football.
Je n'en croyais pas mon œil ! Même Malik Bouthi, député socialiste, dit que les joueurs de football de l'équipe de France doivent être un modèle pour les jeunes ! Bon, ce souhait ridicule n'est pas nouveau, cela montre tout simplement dans quel état de déréliction se trouve notre société pour ne proposer que des footballeurs à ériger en parangons aptes à transcender notre belle jeunesse !
Hier
- Papa ! Papa ! Y'a Kevin, à la récré, qu'a dit des méchancetés sur maman !
- Quoi??? J'espère que tu lui as mis un coup de tête comme Zidane !
Aujourd'hui
- Papa ! Papa ! Y'a Kevin, à la récré, qu'a dit des méchancetés sur maman !
- Quoi???? J'espère que tu l'as mordu, comme Luis Suarez !
A propos de Luis Suarez, j'ai appris que 167 parieurs se sont partagés la somme de 50 000 € parce qu'ils avaient misé que ce joueur allait mordre un adversaire pendant la coupe du monde ! Comme quoi, il y en a qui s'y connaisse vraiment en football. Tiens, j'ai entendu à la radio que le gardien de l'équipe allemande à Séville, en 1982, celui qui avait agressé ce pauvre Battiston, avait avoué que ce soir là il était dopé, complètement "speede", sous amphétamines. Après tout, je me demande si Zidane ne l'était pas aussi, pendant la finale de la coupe du monde en 2006. D'ailleurs, il était dans l'équipe de la Juventus de Turin dans les années 90, avec le déifié Didier Deschamps, lorsqu'ils ont été fortement ennuyé par des problèmes de dopage. Heureusement pour eux, les footballeurs ne sont pas traités comme des vulgaires coureurs cyclistes : la Fifa a plus de pays adhérents que l'O.N.U., plus d'argent et plus de pouvoir !
Touchez pas aux footballeurs !
Ils nous font rêver !... oh putain le cauchemar !
********************
juillet 2014 - Paris.
- Alors, cette opération à l’œil?
- Elle m'a coûté un bras !
- Ah ça ! Pour les dépassements d'honoraires, les chirurgiens ne sont pas manchots !
***************
Lutter contre les djihadistes.
Notre ministre de l'intérieur nous annonce que l'on empêchera ces jeunes de quitter la France pour aller en Syrie. Au nom de quoi? De leur éventuelle et dangerosité potentielles ! Ouh là ! J'ai intérêt à me raser régulièrement, je ne veux pas que l'on me considère potentiellement comme un apprenti djihadiste. Principe de précaution ! Bravo ! Cela a été déjà évoqué dans les médias : petit à petit, nous nous dirigeons vers une société comme celle qui est décrite dans le film "Minority Report". On a déjà oublié que notre cher Sarkhozy avait eu ce projet de déceler, dès la maternelle, les enfants au comportement inapproprié. Prévention anticipé ! J'espère qu'un jour, avec le progrès, on arrivera à déceler les comportements suspects dans le ventre des femmes enceintes. Ainsi, les policiers se posteront dans la salle de délivrance et passeront les menottes au bébé dès qu'il aura, l'idiot, quitté le ventre de sa mère ! En fait, ça va plus vite que je ne le croyais : un couple a été empêché d'embarquer à Orly, avec ses trois enfants en bas âge, alors qu'ils s'apprêtaient à se rendre en Syrie. Cerise sur le gâteau, la femme est enceinte. Bravo la maréchaussée ! Faut arrêter les terroristes avant qu'ils ne sortent du ventre de la mère !
Je crois que nous sommes dorénavant prêt à tout pour pouvoir vivre dans....
Un bonheur insoutenable ! (Ira Levin)
***************
Mourir dans sa niche.
Entendu sur RTL une nouvelle qui n'a rien d'originale, chaque année nous en offre quelques semblables, en tout cas elle est rare en raison du temps qu'elle a mis pour se mettre en évidence. En effet, au cours d'une intervention pour un dégât des eaux dans un immeuble, les pompiers ont découvert dans un appartement le corps d'une dame âgée qui a trépassé en... 2008 ! Les voisins n'ont rien senti, ne se sont inquiétés de rien, la société non plus car cette dame avait tout mis en prélèvement automatique. Certes, d'accord pour son loyer, mais le relevé de gaz et d'électricité? Il faut au moins qu'une fois par an un employé vienne relever les compteurs. A partir du moment où tous ces organismes et sociétés qui nous ponctionnent peuvent, sans anicroches, puiser l'argent dans notre compte en banque, tout va bien, pas de soucis ! Les morts doivent aussi payer leurs traites, c'est la crise ! Ce ne sont pas eux qui vont râler parce que le gaz et l'électricité augmentent !...
Mourir, mourir au milieu des vivants, seul dans sa niche, sans emmerder quiconque. Je me souviens qu'un jour, en prenant l’ascenseur, j'ai ouvert la porte au rez de chaussée à un homme d'une trentaine d'années : il sortit de la cage avec un long paquet dans les bras, recouvert d'une bâche blanche qui se fermait avec une fermeture éclair, cela ressemblait à ces sacs dans lesquels on rapatrie les soldats morts à l'étranger, et visiblement cet homme avait un cadavre dans les bras, oh certes, pas grand, pas lourd, mais un cadavre tout de même. J'avais entendu parler d'une vieille dame qui vivait seule au dernier étage, je ne l'avais jamais vue. J'ai appris plus tard que c'était la grand-mère de cet homme qui, arrivant de province, était venu la chercher pour la transporter dans sa camionnette et l'enterrer dans le cimetière de son village. Et si ça m'arrivait? Au bout de combien de temps s'apercevrait-on que je n'existe plus? Deux, trois semaines? Autrement, je dirais au maximum deux mois.
C'est con, je n'aurais pas le temps de me momifier comme la vieille dame morte en 2008 !
***********************************************************************
Maadadayo !