Le Village du Peuple Etrange Voyageur

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    Quelques pondypotins

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    Message par Invité Lun 18 Mar - 10:49

    Ouais, c'est marrant de broder des histoires imaginaires sur la toile émeri de la vérité.

    "ça fait quoi d'être vieux", v'la un sujet bien dans l'air du temps.
    Ils dérangent le grand ordonnancement consumériste.

    Z'êtes sympa d'avoir accroché.
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    Message par Wapiti Lun 18 Mar - 10:55

    Blaise, il me fait penser à un p'tit vieux (pas si vieux que ça d'ailleurs) qui venait régulièrement au magasin de WapPapounet...
    Pas souvent pour acheter, plus souvent pour passer le temps entre deux bouteilles...
    J'étais ado, j'aimais pas quand je le voyais arriver et que je devais assurer la permanence...

    Z'êtes sympa d'avoir accroché.
    J'sais pas, mais ça c'est sûr qu'on a accroché ! top !
    Et on en redemande, insatiables que nous sommes...


    _________________
    "Nous méritons toutes nos rencontres, elles sont accordées à notre destin et ont une signification qu'il nous appartient de déchiffrer." F. Mauriac
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    Message par Solcha Lun 18 Mar - 11:47



    Et on en redemande, insatiables que nous sommes...

    +1!!
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    Quelques pondypotins - Page 7 Empty Re: Quelques pondypotins

    Message par fabizan Lun 18 Mar - 13:27

    Enfin, comment ne pas accrocher ?

    C'est super bien raconté, c'est à la fois émouvant et drôle.

    Ce qui me fait flipper, c'est pas de vieillir, quoique......
    Mais la dépendance et surtout risquer de finir dans un mouroir .....


    _________________
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    Message par Invité Lun 18 Mar - 18:09

    "Mourir, la belle affaire !
    Mais vieillir, vieillir...."
    (le grand Jacques)

    Depuis quelques mois je suis en paix avec l'idée du devenir du cadavre : quoi qu'on en fasse, quoi qu'il advienne de ces résidus et de la forme comme des chemins pris à travers les siècles des siècles, cela rejoindra le creuset de la matière en transformation permanente, ainsi qu'il en a été depuis le premier proton et comme il en sera au-delà des naines noires, en passant par les chambres magmatiques et les gisements de minéraux divers. Dans le plus fou de mes rêves je n'aurais pas pu rêver mieux !

    Mais... vieillir...
    Ma foi, en ayant côtoyé la mort très tôt j'ai un peu vécu à l'envers, comme si la règle n'était pas la vie et que pour vivre il fallait remporter ce truc à l'arrachée et qu'il risquait de disparaître à tout moment.
    Autour de moi comme autour de tout le monde, bien des amis sont tombés.
    Seulement voilà: je suis toujours en vie, et vieillir s'apprête à frapper à ma porte.
    pensif
    Bon, eh bien je vais inventer quelque chose... quelque chose qui finira bien par exister, et d'une manière probablement plus riche que tout ce que je pourrais aujourd'hui en imaginer.
    sourire
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    Message par Invité Mar 19 Mar - 13:59

    "Bon, eh bien je vais inventer quelque chose... quelque chose qui finira bien par exister..."

    Je suis toute oreille !
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    Message par Invité Mar 19 Mar - 14:02

    Et deux histoires

    Elle, c'est Suzanne. Elle vivait à Paris.
    Elle croit qu'ici, on ne l'aime pas parce qu'elle est parisienne, qu'elle met du bleu sur ses paupières et du rouge qui bave un peu sur les lèvres.
    Elle est ici parce qu'à l'origine des temps c'était là qu'elle est née.
    Depuis, devenue parisienne elle sait bien que la campagne n'est pas tendre avec les traîtres qui la quitte.

    Elle est ici parce que vivre seule est périlleux, qu'elle tombe souvent et qu'on n'a que deux cols du fémur. Elle a cassé les deux et elle est là.

    Suzanne est malheureuse, il est temps pour elle de partir. Elle dit pas mourir mais partir. Ca fait moins peur.
    Pourtant au début, elle allait bien. Elle avait une copine, celle de la chambre d’à côté, une exilée parisienne comme elle. Elles s'offraient des expressos. Fallait juste qu'on mette la capsule, qu'on allume l'appareil et qu'on pose les tasses sur la table. Ca tremble les vieilles mains.

    Et puis, depuis quinze jours elle dépérit Suzanne.

    Assise au bord du lit qu'elle refuse de quitter, j'attends.
    Les minutes passent, j'attends.
    Je relève la mèche blanche qui barre son regard. J'attends.

    Et la voix chevrotante perce le silence.

    « Mon fils il vient jamais, il m'a téléphoné. Il a vendu mon appartement. C'est pas grave j'y suis plus.
    Il a donné mes meubles à Emmaus, il n'a rien gardé. C'est normal, à son âge, il a tout ce qu'il faut.

    Silence

    « Il a jeté les albums photos parce que c'était rien que des vieilleries, il m'a dit »

    « C'était ma vie. Je suis une vieillerie. »

    Je suis restée, assise au bord du lit, j'ai passé le bout des doigts sous ses yeux. Mes doigts étaient mouillés.
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    Message par Invité Mar 19 Mar - 14:04



    Elle c'est Denise . Très mince, a 86 ans, elle surveille sa ligne. Coquette, elle aime les fanfreluches vaporeuses et les colliers. Son visage est creux, raviné et son regard est, comment dire, perçant, voilà, c'est ça, perçant et dur.
    Elle a choisi, elle, de vivre ici.
    « J'ai sept enfants moi, Madame. Six avec mon mari et le septième avec un autre que j'ai jamais rien dit et que ça fait pareil. Pas un ne vient me voir, pas un »

    « C'est sûrement difficile, je comprends »

    « Vous ne comprenez rien du tout, ils viennent pas parce qu'ils ont mieux à faire. Après tous les sacrifices que j'ai fait, voilà leur dévouement, ils ont eu tous une éducation correcte, fallait que ça tourne la maison avec les sept, alors ça marchait à la baguette et c'est pas une torgnole par ci par là qui leur faisait du mal. Non les gosses, c'est des ingrats, un point c'est tout »

    Elle reprend poursuivant son tricot dans un cliquetis d'aiguilles rageur :

    « Allumez la lampe, approchez mon pot d'eau et aussi donnez-moi mon châle  »

    Je suis un peu, même beaucoup agacée et lui réponds sourire en coin et de façon très civilisée :

    « Vous savez, c'est bien aussi, avec un s'il vous plaît, parfois de demander les choses »

    «  S'il vous plait ? Pourquoi faire, vous êtes payée pour ça non ? »

    Parfois certaines femmes devraient avaler les fanfreluches et les bijoux pour être belles à l'intérieur.




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    Message par Invité Mer 20 Mar - 16:08



    Lui, c'est Albert C.
    Un homme sanguin.

    On dirait un Michel Simon qui aurait une conjonctivite permanente.
    Toujours énervé Monsieur C.
    Quand il est calme, il prend ses cannes pour avancer sur une jambe. La prothèse lui fait mal, il ne la met plus depuis des années.
    Quand il est en furie, il utilise le fauteuil roulant et il se déplace aussi vite qu'une ferrari.
    Faut se pousser.

    Aujourd'hui, il postillonne et m'interpelle. S'agit de s'arrêter car il me prend en chasse et me coince contre le mur.

    Il brandit son index et hurle sa colère.

    « Moi Madame je suis été trimpanné mais je suis pas un idiot.
    Z'avez vu le gouvernement ?
    Z'avez vu que les pensions des vieux vont diminuer ?
    Mais ils croivent quoi ces cons qui nous dirigent, qu'on est des riches ?
    Déjà, c'est le fils qui paye le trop plein, faut encore qu'il paye en plus, et il va faire comment hein le fils.
    C'est pas comme casseur de caillou à la carrière qu'il va faire des heures en plus. C'est trop crevant.
    L'a le même métier que moi.
    La carrière, elle m'a coûté ma jambe et ma trinpanation, fracture du rocher, oui ma p'tite dame. Là, voyez ma tête avec le creux, touchez là, allez, touchez j'vous dit.

    Moi, j'vous dit, je vais le saigner le président.
    J'l'ai mon couteau dans la poche, je vais le saigner. »

    La tirade s'essouffle, le calme semble revenir.

    « Savez quoi ma p'tite dame, appelez le commandant de la gendarmerie de St S. Que son brigadier vienne me mettre en prison. Je réponds plus de rien, j'vais le saigner le président aussi sûr que je suis été trimpanné. »

    Une vieille dame arrive dans le couloir. Elle passe derrière mon dos et chuchote apeurée:
    « je peux y aller, c'est fini la guerre ?» 

    Monsieur C. essuie ses yeux larmoyants d'un revers de manche, m'ignore, roule son fauteuil devant l'écran de télévision.

    C'est l'heure des infos.
    Tous aux abris....
    mamina
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    Localisation : Près de Pau, sur le chemin de St Jacques...

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    Message par mamina Jeu 21 Mar - 10:35


    "Vieillir c'est réservé aux vivants"...

    Pondy, je suis 1 ière au fan-club ! bisou
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    Quelques pondypotins - Page 7 Empty Drôle de zygoto

    Message par Invité Sam 6 Juil - 16:13

    Je ressens une peur énorme.
    Je m'accorde que c'est irrationnel puisque je ne suis qu'un amas de cellules, mais quand même, ça fait bientôt cinq ans que je vis dans mon tube et je m'y suis habitué.
    On me donne le nom poétique de paillette et pourtant je suis un grand costaud parce que je ne sais pas qui résisterait à -196 degrés.
    Comment je sais tout ça ?
    Je détiens la mémoire du monde pardi.

    Je suis arrivé dans mon tube parce que mes gamètes ont fait la danse de la mitose. Nous étions tout un tas dans mon cas et, nous, les excédentaires, on nous a mis en tube.
    Nous sommes des jeunots de un à huit jours après l'embrassement de nos gamètes.
    Je n'aime pas mon nom scientifique, blastocyte. C'est laid.

    J'ai un souvenir un peu flou des autres mais je sais qu'on contient tous l'information génétique humaine.
    Notre taux de survie n'est pas terrible quand on décide de nous sortir du tube. Ma crainte vient de là. Tant que je suis cryoconservé, tout baigne, c'est le cas de le dire. Et vivre en paillette serrée dans ma cuve à couvercle bleu avec les autres m'évite la peur de l'inconnu.
    Les gens du laboratoire où se trouve ma cuve n'ont pas beaucoup d'état d'âme, ils disent de moi que je suis en état d'animation suspendue. Pas grand chose donc mais je m'insurge. Je ne suis pas réduit à n'être que de la matière organique.
    Je sais tout et dans mon état frigorifié je vois bien que je pose problème.
    Pas que moi, tous les autres aussi, bien rangés dans les cuves.
    Les hommes du pays où je suis gardé disent qu'il faut 19 tubes pour réussir un enfant.
    Nous sommes 171000 sous bonne garde.

    Une armée de tubes pour le moins.
    On pourrait faire -la révolte des paillettes-, ça aurait de la gueule. Il faudrait que nous puissions communiquer et c'est là que le bât blesse. Il faut l'admettre, nous sommes isolés et seuls, sans aucun moyen pour nous sentir unis.


    Souvent le couvercle bleu se soulève dans un nuage de vapeur, on nous retire.
    Chaque fois, j'ai la trouille mais on ne me choisit pas, je suis donc toujours en sursis.
    Ceux qui partent, c'est pour des jours meilleurs.
    Enfin, rien n'est moins sûr.

    Je sais que certains sont pris avec précaution, ils sont mis dans des Ventres accueillants pour être des Enfants en devenir.
    Je ne sais pas trop si dans le monde humain c'est devenu un statut enviable. Mais dans mon monde c'est le degré supérieur de notre futur.
    Juste en dessous mes autres copains des tubes sont utilisés pour la recherche.
    J'en tremble. Je ne suis constitué que de huit cellules et ça ne fait que peu de nucléoles et mitochondries. Hélas, une fois découpé en rondelles, avec toutes les ratées, on devient vite inutilisable pour l'humanité.

    Dans la société des humains, il y a des règles mais je sais qu'elles sont contournées et que certains de mes copains sont utilisés pour l'ectogénèse. Pour l'heure, ça rate à tous les coups et ça fait une quantité effroyable de tubes perdus. Ca fait partie de leur jeu : de l'ice-crime.
    Nous nous sommes donc faits entubés tous, autant que nous sommes.

    Moi, j'attends la date fatidique des cinq ans.
    Soit on veut de moi et je me retrouve installé au chaud, ça me changera, dans un Ventre, soit on me sort de mon froid protecteur et on me laisse dans un panier à la température de l'air humain et je serai tout ce qu'il y a de mort, puis on me jettera au recyclage, poubelle Dasri, déchet à haut risque.

    Je n'ai plus que quelques jours pour savoir l'option décidée.

    Je croise mes cellules comme des doigts pour être le tube de l'été.

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    Message par Wapiti Sam 6 Juil - 19:48

    J'aime toujours tes Pondypotins, chère Pondy. sourire


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    Message par Invité Dim 7 Juil - 10:19

    Idem pour moi. top ! 
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    Quelques pondypotins - Page 7 Empty Meera

    Message par Invité Lun 8 Juil - 10:59

    Tu peux pleurer, tu le feras.


    Il en a décidé ainsi et je vais le faire.
    Je suis allée au temple pour prier, pour demander à Lakshmi de me donner la force.

    Nous habitons une maison derrière le bazar et sous le toit de tôle il me tarde d'entendre la pluie crépiter. La mousson est en retard et les esprits s'échauffent dans ma ruelle. Il y a souvent des bagarres.

    Mon mari est très strict et il n'aime pas que je sorte. Il ne peut m'interdire d'aller chercher l'eau à la fontaine et m'autorise aussi mes dévotions au temple. Ce n'est pas un mauvais homme, il me frappe très peu. C'est un travailleur et il part avant l'aube pour aller à la rivière où il est dhobi wallah ce qui me laisse une longue journée de paix. Il a des vilaines crevasses sur les pieds qui lui font l'humeur méchante. Pourtant je fais ce que je peux en lui entortillant les pieds dans un linge avec des feuilles de tamarinier.

    Nous nous accordons sur un point, il faut que nos deux fils reçoivent une bonne éducation et parlent bien l'anglais pour ne pas vivre la même vie que nous.
    Ils sont à l'école et travaillent bien.

    Depuis quelques jours, mon mari veut que j'aille à la clinique du Dr Surigam. Il paraît qu'il donne des centaines de milliers de roupies pour mettre de la semence étrangère dans un ventre de femmes de mon pays et quand elle est enceinte et donne le jour au bébé, il est offert à des gens qui viennent d’Amérique et même d'autre pays lointains.

    C'est de la folie je lui ai dit, alors, j'ai reçu une volée de poêle à frire si forte que je peine encore à marcher.
    Tu vas le faire, il a hurlé.

    Qu'est-ce-que j'y peux, il a raison, nos fils iront au meilleur collège.

    Mon ventre s'est arrondi et le bébé donnait des coups de pieds, un garçon m'a dit la sage-femme.
    Encore un fils je me suis dit, c'est bien.
    Ils m'ont fait rentrer à la clinique dix jours avant la naissance. Il paraît que les gens qui prenaient le bébé n'avait pas le temps d'attendre les bras croisés que mon bébé sorte quand il l'avait décidé.

    C'était il y a quatre ans.
    Tous les jours je pense à lui et je me demande, allongée le soir sur ma natte, s'il rêve aussi à moi.

    Mon mari, l'année dernière, a voulu que je recommence pour que nous changions de maison. Avec les enfants qui grandissent la pièce semble encore plus exiguë.
    Le docteur Surigan a refusé. Il a dit que j'avais abîmé l'intérieur de mon ventre parce que mon mari n'avait pas voulu d'une fille.

    Bien fait pour lui j'ai pensé.
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    Message par Invité Ven 12 Juil - 10:01

    Le temps des gitans


    1-

    C'est un soulagement que s'achève enfin cette journée de stage.
    Ils voulaient m'impressionner au bloc, ils ont réussi.
    Ils m'ont fait tenir la jambe qui allait être amputée. Comment pouvais-je deviner que ça ne se fait pas mais qu'il faut endurcir la stagiaire.
    J'ai ouvert les yeux, allongée sur le sol, la jambe en travers du ventre et l'équipe hilare me dominant de toute sa taille, masque sur le visage, calot sur le front riait de mon évanouissement.
    Mais c'est fini.

    Je suis dans le bus n°1 qui me ramène aux Terreaux. Le bras tendu, la main accrochée à la lanière de cuir, je respire l'odeur rassurante de mon aisselle au poil bouclé. Je n'ai pas encore succombé au rasoir éradicateur parce que je ne sais pas que ça se fait, tout simplement.
    Il y a du monde dans ce trolley, tant de gens compressés et celui qui fume, là, à côté de moi est obligé de garder la cigarette à la bouche, le visage tendu vers le toit du bus, les yeux bridés par la fumée qui pique ses yeux fatigués.
    Lorsque les perches se désadaptent, le trolley s'arrête et chacun, soupirant de résignation attend que le chauffeur réadapte les caténaires.

    A l'arrêt -manufacture des tabacs- des ouvriers tentent de tasser la foule à l'intérieur pour se faire une place. Aujourd’hui, la -manu- est devenue une faculté bruissante de jeunesse.
    Le cours Gambetta est engorgé à cette heure de retour dans les foyers et je vais être en retard.../...

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    Message par Invité Ven 12 Juil - 10:54

    2-

    Je ferme les yeux, agrippée à ma courroie et je repense à cette jambe dévorée par la gangrène et dont l'odeur pourrissante était si peu masquée par l'éther. C'est grand une jambe, peut être un mètre jusqu'à mi-cuisse. Celle-là, c'était une jambe pour courir, pour monter et descendre les escaliers. Une jambe de facteur.
    Et moi, j'étais sage, attentive, je regardais le scialytique qui ressemblait à un œil de cyclope brillant dont la pupille puissante éclairait la scène. Je regardais la table recouverte d'instruments luisants et barbares. J'écoutais les conversations floconneuses qui m’apparaissait lointaines sans savoir pourquoi.
    Et puis, j'ai entendu le bruit strident de la scie que l'interne mettait en route.
    « Tiens bien » il m'a dit.
    Quand la lame mordit l'os, qu'une fine poussière qui sentait le cochon buclé s'envola vers ma main gantée, j'ai eu chaud et froid en même temps et puis le vide m'a aspiré si rapide que mon seul souvenir fut une délivrance et un plongeon délicieux dans un néant que je n'avais jamais connu.

    Quand j'ouvre les yeux, le trolley avance, tend ses perches pour tourner, j'arrive aux Terreaux.
    J'aime cette place au pied de la colline de la Croix-Rousse.
    La fontaine gèle parfois l'hiver et des stalactites translucides sortent de la bouche des chevaux.
    On dirait qu'ils sont vivants.

    Souvent je prends mes cours ou un livre et je m'installe au musée St-Pierre sans curiosité pour les expositions car je ne sais pas rester plantée devant un tableau ou une sculpture pour le plaisir intense de la découvrir. Je m'assois dans le jardin intérieur envahi du parfum sucré des fleurs de troènes et je lis, apprends, révise.

    Pas ce soir. Ce soir Xavier attend.../...


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