par Invité Sam 6 Juil - 16:13
Je ressens une peur énorme.
Je m'accorde que c'est irrationnel puisque je ne suis qu'un amas de cellules, mais quand même, ça fait bientôt cinq ans que je vis dans mon tube et je m'y suis habitué.
On me donne le nom poétique de paillette et pourtant je suis un grand costaud parce que je ne sais pas qui résisterait à -196 degrés.
Comment je sais tout ça ?
Je détiens la mémoire du monde pardi.
Je suis arrivé dans mon tube parce que mes gamètes ont fait la danse de la mitose. Nous étions tout un tas dans mon cas et, nous, les excédentaires, on nous a mis en tube.
Nous sommes des jeunots de un à huit jours après l'embrassement de nos gamètes.
Je n'aime pas mon nom scientifique, blastocyte. C'est laid.
J'ai un souvenir un peu flou des autres mais je sais qu'on contient tous l'information génétique humaine.
Notre taux de survie n'est pas terrible quand on décide de nous sortir du tube. Ma crainte vient de là. Tant que je suis cryoconservé, tout baigne, c'est le cas de le dire. Et vivre en paillette serrée dans ma cuve à couvercle bleu avec les autres m'évite la peur de l'inconnu.
Les gens du laboratoire où se trouve ma cuve n'ont pas beaucoup d'état d'âme, ils disent de moi que je suis en état d'animation suspendue. Pas grand chose donc mais je m'insurge. Je ne suis pas réduit à n'être que de la matière organique.
Je sais tout et dans mon état frigorifié je vois bien que je pose problème.
Pas que moi, tous les autres aussi, bien rangés dans les cuves.
Les hommes du pays où je suis gardé disent qu'il faut 19 tubes pour réussir un enfant.
Nous sommes 171000 sous bonne garde.
Une armée de tubes pour le moins.
On pourrait faire -la révolte des paillettes-, ça aurait de la gueule. Il faudrait que nous puissions communiquer et c'est là que le bât blesse. Il faut l'admettre, nous sommes isolés et seuls, sans aucun moyen pour nous sentir unis.
Souvent le couvercle bleu se soulève dans un nuage de vapeur, on nous retire.
Chaque fois, j'ai la trouille mais on ne me choisit pas, je suis donc toujours en sursis.
Ceux qui partent, c'est pour des jours meilleurs.
Enfin, rien n'est moins sûr.
Je sais que certains sont pris avec précaution, ils sont mis dans des Ventres accueillants pour être des Enfants en devenir.
Je ne sais pas trop si dans le monde humain c'est devenu un statut enviable. Mais dans mon monde c'est le degré supérieur de notre futur.
Juste en dessous mes autres copains des tubes sont utilisés pour la recherche.
J'en tremble. Je ne suis constitué que de huit cellules et ça ne fait que peu de nucléoles et mitochondries. Hélas, une fois découpé en rondelles, avec toutes les ratées, on devient vite inutilisable pour l'humanité.
Dans la société des humains, il y a des règles mais je sais qu'elles sont contournées et que certains de mes copains sont utilisés pour l'ectogénèse. Pour l'heure, ça rate à tous les coups et ça fait une quantité effroyable de tubes perdus. Ca fait partie de leur jeu : de l'ice-crime.
Nous nous sommes donc faits entubés tous, autant que nous sommes.
Moi, j'attends la date fatidique des cinq ans.
Soit on veut de moi et je me retrouve installé au chaud, ça me changera, dans un Ventre, soit on me sort de mon froid protecteur et on me laisse dans un panier à la température de l'air humain et je serai tout ce qu'il y a de mort, puis on me jettera au recyclage, poubelle Dasri, déchet à haut risque.
Je n'ai plus que quelques jours pour savoir l'option décidée.
Je croise mes cellules comme des doigts pour être le tube de l'été.