Le fameux Landmannalaugar, enfin !Nous l’abordons par la pire piste du jour, et ce n’est pas peu dire. Non seulement il y a du monde -4x4, camping cars, vélos et piétons- mais c’est la portion la plus défoncée que nous rencontrons.
Elle longe à plat un large déversoir sédimentaire de la rivière Jökulgilskvísl encadré de bandes de lave noire déchiquetée et colonisée de verdure. Sur les côtés, les premières pentes colorées, ici d’un vert herbeux ou mousseux irréel, là, de graviers plus ou moins colorés. Premiers ocres qui nous attirent.
Avançons encore et passons le dernier gué, vraiment impressionnant, pour nous enfiler dans l’espace plus ou moins aménagé où nos yeux s’affolent devant tant de beautés. Le véhicule se stationne juste face à la longue barrière du massif coloré le plus connu du Landmannalaugar : un alignement de pentes d’abord vertes, puis d’ocres jaunes, de beiges et de roses lumineux, de coulées oranges ou blanches, le tout sur fond de ciel noir menaçant et éclairé par les rayons obliques d’un soleil jouant à cache cache avec les nuages. Wouahou !
On pourrait accuser nos objectifs de ces invraisemblables couleurs et textures rendues sur nos photos, mais il vous faut savoir que l’impression « pour de vrai » était la même : ce n’est pas possible, c’est un tableau que j’ai sous les yeux, pas la réalité !
Et dire que nous ne resterons que deux petites heures dans ce massif extraordinaire ! Nous avons à peine commencé à le découvrir que je suis déjà frustrée.
Jön nous propose une petite balade entre cette vallée au pied de cet alignement fantastiquement coloré, et la masse noire et verte du Laugarhraun, cette coulée de lave devenue montagne et qui domine la plaine verte où se situent le parking, le camping, le centre de service et la zone marécageuse des bains chauds. Entre les deux, une autre crête nous attire par ses couleurs tout aussi surprenantes : le Bláhnjúkur. Nous marchons à ses pieds, le long d’un ruisseau au lit coloré, en ne pouvant détacher nos regards de ses parois noires mais surtout bleu-vert qui luisent au soleil. Cette couleur inhabituelle correspond à une roche volcanique particulière, au nom immémorable bien sûr pour l’inculte que je suis, obtenue à force de compression, refroidissement et acidification propre à elle seule. La luminosité est telle et la réverbération forcément très forte sur ces roches volcaniques, que nos photos ne rendent absolument pas les couleurs réelles, même pour les meilleurs photographes bien outillés d’entre nous. Ici et là nous repérons aussi des coulées d’obsidiennes aux reflets luisants.
Notre timing serré ne nous permet pas d’aller bien loin, mais que j’aimerais m’enfoncer plus dans ce massif à la rencontre d’autres surprises et merveilles volcaniques dans ce paysage tourmenté.
De retour dans la plaine de la Jökulgilskvísl, c’est une baignade dans les eaux chaudes naturelles qui est prévue. Les maillots étant au fond des sacs, le vent se levant de plus en plus et comme toujours glacial, la foule étant ce qu’elle est du côté de la rivière fumante et ma fatigue s’éveillant, je me propose au poste de paparazzi pour immortaliser le défilé de mannequins en pleine nature sur les pontons et ponts de bois et les baigneurs pataugeant dans l’eau de la rivière avoisinant les 40°, au milieu des herbes folles et linaigrettes. Un microclimat bien agréable règne autour de ces bains, le vent évitant soigneusement la zone, les eaux réchauffant franchement l’atmosphère. Ça barbote, ça papote, ça rigole… et moi, j’écarquille encore et encore les yeux vers ces pentes pierreuses colorées aux reflets changeant au gré des jeux fous entre soleil et nuages. Surtout ne pas en perdre une miette de ces trop courtes minutes passées ici !
Les baigneurs rhabillés, l’heure de départ sonne, mais nous n’en avons pas encore complètement fini des merveilles de cette région.
Pour quitter la vallée de la Jökulgilskvísl vers le nord-ouest, nous reprenons la piste défoncée, puis longeons le parfait cône de mousse du Stutur et plongeons au détour d’un col en virage sur le bleu tentateur du lac Frostastaðavatn, entouré de ses coteaux jaunes de mousse sous le soleil rasant et de ses cônes de roches prune et noir aux formes douces.
Quelques tours de roues plus loin, plus bas, nous stoppons face à un panorama encore extraordinaire. Le regard porte loin vers le nord et l’est, sur les méandres de la Jökulgilskvísl, les lacs épars, les cônes et autres mamelons bruns ou verts. Et à nos pieds, nous découvrons, émerveillés encore, que nous sommes sur la crête du cratère du Ljötipolur (« mauvais volcan »), aux eaux bleu-vert bordées de roches rouges striées de noir et de coulée jaune-vert de mousse. C’est bien le vent, très violent et glacé, qui nous empêche de réellement profiter de la magie de ce panorama. Décidément, Dame Nature s’est vraiment éclatée avec ses pinceaux dans ce coin de planète !
Nous reprenons la piste de l’ouest, la Landmannaleið ou F225, pour une très longue et chaotique route face au soleil déclinant puis couchant qui gênera longtemps notre chauffeur au gré des virages, passages de gués, défilés, mini-cols…
Piste pas facile, de grosses caillasses aux nids de poule bien marqués, piste de gravillons colorés, piste de sables volcaniques qui provoquent de longs nuages derrière chaque véhicule, piste régulièrement entrecoupée de gués plus ou moins acrobatiques à traverser… Et autour, champs de lave noire déchiquetée, toundras planes ou bosselées de verdure rase, désert de sables noirs…
Nous longeons encore moult cônes uniformément noirs, plaqués de verdure ou striés de mousses vertes ou jaunes selon les éclats solaires, et quelques pentes hésitant sur la couleur à adopter dans la gamme des brun, rouge, prune... Sur les sommets élevés aux versants plus abrupts, et un peu plus lointains, de nombreux névés gris témoignent des effets des éruptions de ce printemps et cet été.
Plus le paysage s’élargit et plus un sommet à notre gauche, donc au sud, attire notre regard : c’est le terrible volcan Hekla, l’un des plus actifs et craints en Islande avec ses 1488 mètres de scories plus ou moins enneigées. Il est aujourd’hui chapeauté de nuages mais se laissera finalement observer presque en entier aux dernières lueurs du soleil qui rosit ses blancs atours.
Un dernier arrêt, au milieu de nulle part, contre ce vent puissant et glacé qui veut tout dégommer, nous surprend. C’est juste pour constater que nous roulons, nous marchons sur un sol de pierres ponces. Un désert de roches marrons truffées de bulles d’air, à l’aspect visuel spongieux (mais en réalité bien dures comme des roches), et tellement légères. Il est vrai que nous n’en avions encore pas rencontré en ces terres islandaises, et qu’ici il y en a un désert entier qui nous entoure. Celles-là, au moins, elles ne pèseront pas bien lourd dans nos sacs ! Et nous pouvons donc nous permettre d’en emmagasiner de plus grosses…
Toujours plus à l’ouest dans le jour déclinant, nous arrivons sur le fleuve Þjórsá qui file au sud se déverser dans l’océan. Un pont métallique à angles droits nous permet de traverser ce large cours d’eaux tumultueuses pour rejoindre sur l’autre rive, non loin de là au nord, dans cette plaine désertique balayée par un vent phénoménal, notre refuge pour la nuit, Hólaskógur. Nous sommes gelés, fatigués et il est bien tard.
Il s’agit d’un refuge confortable et très grand dans lequel nous serons pratiquement les seuls, ce qui nous permettra de passer une agréable et très tardive soirée, la dernière en compagnie de notre guide.
Un appel est lancé pour profiter dans la nuit du ciel dégagé étoilé et d’éventuelles aurores boréales… au vu du vent glacial, peu tenteront une sortie curieuse. Cette très longue journée s’achève avec une palette de couleurs qui défile sous les paupières épuisées, et le ronronnement apaisant des voisins de dortoir.