L’Ainé a été annoncé par un coup de vent qui l’a surpris et aurait surpris n’importe qui… sauf un lutin. Un puissant vent glacé du nord, une bourrasque très soudaine et violente qui secoue la forêt alentour, souffle des gerbes de neige… et l'apparition d'un traineau qui glisse derrière un grand renne qui ralentit et s’arrête pile devant lui.
De l’attelage de fourrures s’extirpe joyeusement en sautant un lutin svelte et de taille moyenne de bleu vêtu et bonneté.
- Hé Hé ! Apprenti Lutin Laö, votre traineau est avancé ! Ainé Peikkö, pour vous aider ! Lance-t-il dans une révérence et un éclat de rire tout lutins.
- Pêco ?
- Peikkö… et pressé ! Alors, Go ! Grimpe là-dedans grand dadais ! Il ne fait pas chaud et on est attendu pour le goûter !
- Où ça ?
Il n’obtient aucune réponse claire, Peikkö chantonnant en une langue dont il ne comprend rien et qui n’a pas les consonances finnoises dans lesquelles il baigne depuis plusieurs semaines… la Noëllangue peut-être ? Il chantonne et l’aide à grimper dans le traineau, s’installer sous les chaudes fourrures desquelles il n’émerge plus du tout, puis lui-même s’enfouit de la même façon à l’arrière avant de siffler, d’un sifflement de lutin, pour relancer son renne.
Le renne démarre, fait demi-tour, accélère, file entre les sapins. Lahaut a la sensation qu’un vent fort se lève dans leur dos, le traineau prend de la vitesse, encore de la vitesse, une telle vitesse qu’il a dû fermer les yeux, qu’il est congelé malgré les épaisseurs, collé contre son siège, de plus en plus écrasé, au bord de l’asphyxie… et finit par sombrer en syncope.
Quand il reprend connaissance, le traineau glisse plus lentement derrière le renne qui trottine, dans une vallée montagneuse et glacée, sous le ciel étoilé et agrémenté d’une légère trainée verte d’aurore boréale, et Peikkö sifflote : Hé hé hé ! Comme un bébé ! Laö a fait un gros dodo !
L’Ainé lui avoue ne pas être allé à pleine vitesse pour ne pas l’atomiser comme c’était sa première expérience… Il balbutie tant bien que mal un remerciement. Ce qui n’empêche qu’ils ont quand-même parcouru les mille deux cent et quelques kilomètres de toundra et d’océan arctique en une trentaine de minutes à peine. Peikko précise qu’ils ont franchi le mur du son et pris pas loin de six g dans le corps à l’accélération, comme les pilotes de chasse… d’où les nausées et la migraine qui semblent le submerger maintenant.
Mille deux cent kilomètres en trente minutes… au-dessus de la toundra et de l’océan… mais… mais… Lahaut se questionne quand-même sur le fait qu’ils ne se soient pas fait repérer dans l’espace aérien… Et puis, comment un traineau, un renne et deux bonshommes totalisant dans les 120 kg minimum à eux deux peuvent voler et avancer aussi vite ?... C’était donc un renne volant… Il a volé en traineau et n’a rien vu faire ! Il est à la fois heureux et déçu… Et puis au fait… où sont-ils arrivés ?
- L’ENA, École et Noël Ateliers du Svalbard ! Lance Peikkö dans une nouvelle révérence toute lutine, après avoir sauté avec légèreté du traineau stoppé devant une petite cabane de bois adossée à flanc de coteau enneigé.
- Le Svalbard ? C’est un territoire magique, ça, non ? C’est où ? Au Groenland, n’est-ce pas ?
- Hé hé ! Svalbard il ne connait. Spitzberg lui parle-t-il plus à notre Français ?
- Le Spitz...berg…