La grande absence de Lahaut (ou le nouveau conte de Noël 2013)

C’est une belle écriture argentée en pleins et déliés, probablement tracés à la plume d’oie de belle qualité, qui s’étale sur le papier gaufré.

Ainsi donc ils savaient…
Voilà qui apporte un éclairage nouveau à nombre de situations et coïncidences…
Ainsi donc il n’a pas rêvé et a donc bien vécu tout cela.
Sauf si cette lettre participe à son énorme délire, bien sûr…

Alors, ce cadeau, qu’y a-t-il dedans pour que Santaclaö espère qu’il ne soit pas déçu ? Maison-poupée-voiture et le reste doit-il oublier ?

Inspiration, expiration, concentration.
Avec d’infinies précautions et tout le sérieux d’un cérémonial de Noël, en retenant son souffle, il s’attaque délicatement au papier enveloppant le gros cadeau, qui lui parait finalement bien lourd pour un empilement de boîtes vides comme il l’avait tout d’abord imaginé.
Un observateur extérieur verrait en cette scène un petit garçon de moins de dix ans émerveillé par la magie de Noël.

La surprise, le désapointement, voilà ce qui se lit maintenant sur son visage : Des livres !? Cela ressemble à des livres ! Ce sont des livres…

Sous ses yeux se dévoilent en effet les vingt énormes tomes de la fabuleuse « Encyclopédie Complète des Êtres Magiques ».

Dépassant du premier tome, une petite carte qu’il retourne.
Belle écriture argentée encore, mais plus nerveuse, moins ronde, ne provenant pas de la même main c'est sûr.

Vous ne le répéterez pas, mais Lahaut n’a pu s’empêcher de se mettre à la lecture depuis son dernier Noël.
Il feuillette et picore un peu au hasard des sections des extraits de son encyclopédie.
Ainsi hier soir était-il confortablement installé dans son fauteuil, quand un chapitre a attiré son attention :

Les Lutins des Foyers Les Lutins des Foyers sont très nombreux et parfaitement intégrés dans la société, prenant toute leur place dans bon nombre de foyers humains. Ils sont parfois appelés « Fées du Logis ». Leur mission est à la fois très simple et très vaste : ils s’occupent d’une foule de travaux domestiques au quotidien, du matin au soir. Pour exemples (la liste ne pouvant être exhaustive tant leurs tâches sont multiples) : ménage et rangement de l’intérieur, lessive, repassage, pliage et rangement du linge, courses et rangement des courses, préparation des repas, nettoyage et rangement de la vaisselle, aménagements et décoration intérieurs, soins minutieux apportés avec tendresse et patience à tous les habitants du foyer, éducation des enfants, aide aux devoirs, transport et accompagnement des enfants pour leurs différentes activités scolaires, récréatives, et sportives, accompagnement et faisant office de faire-valoir de l’homme de la maison lors de ses sorties mondaines, souffre-douleur et défouloir bienveillant en cas de besoin, secrétariat et standard téléphonique de la maisonnée, si nécessaire assistance professionnelle bénévole du chef de famille, service de livraison express de documents, clés, objets, vêtements… oubliés par un membre de la famille, soins minutieux apportés aux animaux domestiques recueillis par la famille, menus travaux de bricolage pour compenser les défaillances courantes du chef de famille en la matière, petit entretien des abords extérieurs et du jardin, plantation, désherbage, entretien, cueillette et préparation des fruits et légumes cultivés… Dans les fermes d’autrefois et d’aujourd’hui, il convient d’ajouter : nourriture et soins apportés au bétail, aux volailles, aux lapins… récolte des œufs, récolte et préparation du lait et des produits dérivés, dépeçage et autres tâches utiles à l’exploitation des produits animaux (peaux, viande…)… et de façon générale participation à la très grande majorité des travaux de la ferme, quelle que soit leur dureté. A noter que depuis le milieu du XXème siècle, cette mission très complexe est souvent menée de front avec une activité professionnelle extra-foyer permettant de ramener un deuxième salaire au ménage. Les compétences des Lutins des Foyers sont donc très diverses et étendues, de la plus bassement manuelle à la plus finement psychologique. Ces êtres magnifiques sont donc des forcenés du travail à la productivité très élevée, ainsi que des modèles d’altruisme et de dévouement dans la société des lutins (alors qu’en dire au regard de la société humaine !).

Il est à noter que seules les lutins du sexe féminin, donc les lutines, peuvent assumer pleinement cette mission de Lutin des Foyers. Si certains lutins masculins sont aptes à la réalisation d’un certain nombre des tâches ci-dessus listées, il est évident qu’ils sont totalement incapables de toutes les assumer simultanément, et encore moins de les assurer correctement sur moyenne ou longue période. La contrepartie de telles habiletés et de tel dévouement n’est pas à minimiser. Elle consiste pour l’essentiel en des besoins constants de reconnaissance et d’attention qu’il a généralement du mal à obtenir, des besoins compulsifs de se parer des plus beaux atours, vêtements, bijoux, accessoires, maquillages, de préférence coûteux et à renouveler régulièrement, des besoins forts de contacts relationnels verbaux avec les autres Lutins des Foyers de son entourage (ce qui peut passer par des heures de conversations téléphoniques) ou avec le chef de famille (ce qui passe donc par du verbiage permanent lorsqu’il est en présence de celui-ci). Enfin, nombreux sont les chercheurs en lutinerie qui notent que les Lutins des Foyers possèdent un fonctionnement spirituel, intellectuel, spatio-temporel et un langage qui leur sont propres et incompréhensibles aux êtres humains. Ils passent donc généralement auprès de ceux qui ne connaissent par leur qualité de Lutins des Foyers pour débarquant d’une autre planète qu’eux, Vénus étant la plus souvent citée sans qu’aucune étude scientifique ne puisse prouver cette croyance.

Lahaut referme le tome et reste pensif : « Ha mais alors… ça explique beaucoup de choses ! »