La grande absence de Lahaut (ou le nouveau conte de Noël 2013)

Il va enfin savoir…
Il va enfin savoir comment. Comment tout cela fonctionne.

Il sait maintenant comment ses lettres au Père Noël parviennent au bon endroit.
Il sait maintenant où est ce ‘bon endroit’, le Vrai Village du Père Noël. Enfin, approximativement sur une carte… mais il y est !
Il sait maintenant comment les lutins travaillent durs pour fabriquer tous les jouets et objets des désirs enfantins du monde entier.

Et il va enfin savoir comment le Père Noël et ses lutins traitent toutes ces lettres, et tout particulièrement la sienne, pour offrir ou pas les cadeaux demandés.
Comment le Père Noël peut savoir qu’un enfant a été sage ou pas.
Comment aussi le Père Noël et ses lutins font pour savoir quoi offrir aux enfants qui ne font pas de lettre….

Il va enfin savoir…
Il va enfin savoir pourquoi. Pourquoi chaque année le Père Noël ne lui apporte pas ce qu’il a commandé, alors qu’il a toujours été très sage, qu’il lui rédige chaque année une belle lettre exprimant clairement ses désirs…

Il va enfin savoir…

- C’est quoi… ça ?
Ose-t-il en pointant du doigt l’étrange machine qui trône au milieu de la salle et ressemble à s’y méprendre à la capsule Apollo, cône tronqué agrémenté d’un hublot laissant entrevoir un confortable fauteuil en son centre, et de divers boutons et quelques ouvertures avalant ou recrachant feuilles de papier sur feuilles de papier dans un léger vrombissement qui tiendrait presque du ronronnement d’un chat.

- Ha, ça ! C’est juste le NSA.
Quoi ?! La NSA est là, au cœur de Noël ?! C’est une blague ?! La NSA, c'est... ça ??!!
Le revoilà à secouer la tête dans tous les sens et à gober les mouches.
- Aïe !!
Korv, dans un instinct de survie l’a mordu. C’était le seul moyen d’arrêter le manège avant de lâcher prise et décoller pour un vol plané dangereux dans une pièce si spacieuse et fréquentée.
Peikkö est littéralement mort de rire à côté de lui, très fier de l’effet qu’il savait provoquer.
C’est Maître Lutin Niclö qui, faisant les gros yeux faussement sévères à son Aîné, doit reprendre l’explication, en français, Korv ayant décidé d’arrêter les frais pour l’instant, prestement descendu et blotti dans la poche de costume de notre ami.

Le NSA, c’est le Noël-Sondeur-d’Âmes, une machine qui concentre le pouvoir particulier du Père Noël pour sonder les âmes d’enfant des petits et des grands du monde entier, pour savoir s’ils ont été sages.
Il suffit que le Père-Noël ou un membre de sa lignée détenant le même don passe une heure par jour assis sur le fauteuil rouge en son centre pour que son pouvoir de sondeur d’âme soit comme aspiré par la machine qui le décuple et l’utilise pour éditer des « rapports d’âme » à longueur de journée.
Il suffit d’insérer une lettre au Père-Noël dans une ouverture pour que le NSA sonde l’âme de son expéditeur (sans que celui-ci n’en ressente aucun effet et n’en ai conscience, bien sûr) et émette un rapport un peu plus détaillé que la simple dualité « sage / polisson » ou les trois options « prioritaire / standard / pas cette année » de la précédente machine depuis longtemps remisée et recyclée à Rovaniemi pour le folklore de Noël.
C’est en étudiant ce « rapport d’âme » et la lettre au Père-Noël que les lutins ici présents décident, par délégation de pouvoir du Père-Noël lui-même, si et quels cadeaux seront livrés à chacun et chacune.
Et pour les enfants qui ne font pas de lettre au Père-Noël ?
Chaque jour pendant deux petites heures la machine ne tourne qu’à cette fin, scannant les listings lutins de tous les enfants de la planète croyant au Père-Noël, listings basés sur les registres par les Lutins Listeurs affectés dans tous les pays de la planète.
Et ça fonctionne pour les adultes ?
Oui, pour tous les adultes qui ont conservé leur âme d’enfant et veulent encore bien croire au Père-Noël. Comme moi, intériorise-t-il prudemment en souriant…
Mais alors, ce n’est plus le Père-Noël qui fait cela mais uniquement le NSA et les lutins présents dans cette salle ?
Pas tout à fait. Le Père-Noël est toujours appelé pour les cas dits « difficiles », c’est lui qui tranche quand il y a désaccord éventuel, et il aime à se garder un certain nombre de cas, déjà connus, auxquels il s'est attachés et qu’il suit, ou pris au hasard. C’est que même si avec la population croissante de la planète cela a pris une ampleur telle qu’il ne pourrait à lui seul tout gérer, c’est tout de même son cœur de métier, sa vocation et il aime ça plus que toute autre activité. Pour rien au monde il ne cesserait complètement cette activité magique !

Le NSA… quand il racontera cela… personne ne voudra le croire, pour sûr !

La porte donnant sur le centre de commandement se referme. Il est affalé plus qu’assis dans un des fauteuils confortables du bureau du Père-Noël et accepte volontiers les sucreries que lui tend Mère-Noëlle, dont le sourire est lui aussi réparateur. Il aimerait bien être un peu seul pour pouvoir digérer tout ce qu’il vient de découvrir, il aimerait bien qu’on lui laisse le temps de reprendre réellement ses esprits.

Mais Maître Niclö et Maître Santaclaö en ont décidé autrement.
Korv a repris sa place, prêt à reprendre du service.
Peikkö a été renvoyé à d’autres tâches plus utiles que de faire des farces au plus jeune des apprentis lutins en ces lieux.
Il est temps de lui montrer comment travaille le Père-Noël, « à l’ancienne ». Celui-ci est attablé à son bureau et attrape la lettre au-dessus de la pile.
Face à lui, son Assistant Principal, droit comme un I, ce qui ressemble à une tablette tactile en mains, prêt pour le travail.
Maître Niclö est confortablement installé dans le fauteuil voisin du lutin Laö.

- Ho Ho Ho ! Voyons voir donc cette lettre… « Cher Papa Noël, Je m’appelle Lahaut. Cette année, j’ai été très sage…
Il a fait un bond dans son fauteuil, a littéralement failli s’étouffer avec son pain d’épice et regarde fixement le Père-Noël d’un air hébété.
- Ho Ho, on dirait bien jeune apprenti que celui-là a le même nom que toi ! Quelle coïncidence ! Ho Ho Ho !
- Ou… ou… oui, parvient-il difficilement à formuler, tentant vainement de reprendre une consistance normale.
Serait-ce possible que ce soit la lettre d’un autre Lao ? Qui commencerait comme la sienne ? Ou alors la chance est-elle encore crânement de son côté ? Est-ce vraiment une chance alors qu’il ne doit rien laisser paraitre ? Le pouvoir d’une grande inspiration a-t-il tout de même appris de Padméou lors des cours de magie de base, une grande inspiration…
- …Je t’envoie ma liste de Noël avec deux mois d’avance… Ho Ho Ho ! Alors, voyons sa liste… une boîte de punaises pour les mettre sur les chaises de mon percepteur, du contrôleur des impôts et surtout de chacun de ces politiciens qui n’ont pas encore compris qu’il faut supprimer tous les impôts Ho Ho Ho, le garnement ! Nous n’avons pas cela en stock, n’est-ce pas ?
- Non, c’est sur la liste noire : catégorie « jeux dangereux ». Répond promptement l’Assistant Principal.
- C’est bien ce qui me semblait. Voyons voir la suite… une belle Ferrari rouge avec fauteuils en cuir et jantes alu, et tous les accessoires en options. On a cela en stock je crois…
- Oui, référence 70859 ligne Z allée Y tiroir F. Un vrai petit bijou !
- Ensuite… une belle poupée (brune ou blonde, peu importe), avec des formes là où il faut (mais pas trop non plus) capable de faire la cuisine, le ménage, la vaisselle, la lessive, le repassage et les massages, et qui saura très bien s’occuper de moi… Ho Ho Ho ! Une belle poupée de ce type, aurait-on cela ?
- Oui oui, un pur bijou, une belle nouveauté encore au stade de prototype, modèle Aiko, référenc…
- Ensuite… pour héberger ma poupée, une grande maison avec piscine, terrains de tennis et de squash, un grand jacuzzi, une belle cheminée OU un billet gagnant du loto, du Millionnaire, ou de l'Euromillion (tu vois, je te laisse même un choix)
- La maison modèle « Stockholm de luxe » tout équipée, on a cela aussi !
- Ho Ho Ho ! Très bien, très bien… un écran de télé LCD très grand format… pour mieux voir les matchs de football… Oui, oui, je sais, nous avons aussi… une grosse caisse remplie de bières que je boirai en utilisant le cadeau d'avant… Ho Ho Ho !
- Quelles marques lui met-on de côté ?
- Des marques scandinaves, bien sûr, Ho Ho Ho ! Il faut bien qu’il les goûte aussi puisque aventurier voyageur il est ! Et enfin… un abonnement à vie à PlayBoy Magazine. Ho Ho Ho ! Cela, c’est juste pour nous faire croire qu’il n’est pas déjà abonné, Ho Ho Ho ! C’est tout pour cette année, et comme tu le vois, ce n’est pas grand-chose, je ne te demande pas la lune. En effet. Lahaut, le plus adorable membre du Village. Ho Ho Ho ! Le plus adorable ?! Il y va un peu fort le petit ! Ho Ho Ho !
- Je valide la liste ?
- Ho Hoooo ! Doucement mon Ami. Vous allez vite en besogne aujourd’hui. Il me faut me concentrer un peu pour sonder son âme avant, rappelez-vous…

Santaclaö ferme les yeux. Le silence règne.
Lahaut ose à peine respirer, encore moins bouger. Il tente finalement un regard vers Maître Niclö qui lui répond d’un clin d’œil et d’un air entendu. Mère-Noëlle lui sourit maternellement, elle aussi avec un clin d’oeil.
Que doit-il en comprendre ? Il doit être blême… ou aussi rouge que sa tenue de lutin de Rovaniemi. Jamais il n’avait osé, même dans ses rêves les plus fous, espérer assister à cette scène-là…

La barbe blanche, les yeux toujours fermés, semble reprendre vie dans ce bureau où la tension est au maximum. Son rire chaleureux et paternel attire à nouveau les regards.
- Ho Ho Ho ! Il a été « très sage et très gentil avec tout le monde, même avec la mairesse qui ne s’est jamais énervée contre moi », qu’il a dit. Ho Ho Ho ! Le garnement cachotier ! Il croit que le Père Noël ne voit pas tout, ne sait pas tout ? Ho Ho Ho !

Il se sent liquide sur son fauteuil, il aimerait disparaitre dans sa tenue de lutin. « Le Père Noël voit tout, sait tout »… Là, c’est sûr, c’est le moment où il va se faire démasquer ! Les peurs de Korvatunturi remontent à la surface : Que font les lutins aux escrocs et aux espions ? Que va-t-il lui arriver maintenant ?... Il déglutit très difficilement, ose une légère inspiration en évitant de justesse un râle d’expiration. Là, à cet instant, il aimerait être n’importe où plutôt qu’ici, finalement.

- Ho Ho Ho ! Je ne suis pas sûr qu’il mérite tous ces cadeaux le chenapan… A son âge, quand-même, il faudrait bien qu’il s’assagisse un peu et arrête d’embêter son amie quand-même… Et puis toutes ces petites bêtises, Ho Ho Ho ! Un véritable lutin diablotin !... Mais en même temps, cela fait des années qu’il demande les mêmes cadeaux et rêve de la même chose, n’est-ce pas ?
L’Assistant lutin qui feuillette le dossier de Lahaut se contente d’affirmer d’un signe de tête silencieux.
- Hmmmm… On pourrait donc bien pour une fois exaucer ses vœux les plus chers, n’est-ce pas ? Ainsi sera-t-il peut-être beaucoup plus sage par la suite… Ho Ho Ho ! Allez, c’est décidé. Oui à la réalisation de ses vœux depuis si longtemps formulés !

Simultanément à ces bonnes paroles, le Père Noël attrape une belle plume d’oie et griffonne quelques mots de Noëlli au bas de la lettre de notre ami, et tend celle-ci à l’Assistant qui s’empresse de lire, acquiesce du bonnet et file par la porte du fond qui cache « l’âme de Noël ».

Comme un arc armé dont la flèche vient d’être lancée, il s’est détendu en un millième de seconde. Il respire, il ventile, il réfléchit à nouveau en vitesse grand V. Le Père Noël ne voit pas tout, ne sait pas tout, finalement. Nananananère ! Il sourit. Il va avoir ses cadeaux cette année ! Il aurait presque envie de se lever et danser au milieu de cette pièce chaleureuse, emmener Mère-Noëlle dans une valse endiablée, embrasser Père Noël, jouer des claquettes avec Maître Niclö, faire virevolter Korv, crier sa joie… Il jubile.

- Ho Ho Ho ! Alors, mon jeune Ami Laö, penses-tu que j’aie fait les bons choix pour ce jeune Lahaut qui porte un nom si semblable au tien ?
- Ou… ou… oui ! Sourit-il, la voix tremblotante d’émotion rentrée.
- Et toi, alors ? Jeune Apprenti Lutin Laö, que désires-tu pour Noël ?
La question le laisse sans voix. Quoi ? Les lutins aussi ont droit à des cadeaux pour Noël ?
Comme s’il lisait dans ses pensées, Santaclaö reprend :
- Oui, oui, les lutins aussi ont droit à des cadeaux pour Noël. Tout particulièrement les lutins de Noël, et les tout jeunes apprentis. Il est juste de remercier ses assistants sans qui tout ceci ne fonctionnerait point, et d’encourager la relève à bien travailler, n’est-ce pas ?
Il acquiesce en silence et en sourire.

Un peu gêné de devoir formuler maintenant, là, en direct, un nouveau vœu pour ce Noël qui se précise pour dans quelques jours, dans quelques dizaines d’heures à peine, il se concentre et réfléchit.
Que pourrait-il bien demander alors qu’il vient d’apprendre qu’il aura tous les cadeaux qu’il a commandés et dont il rêve depuis des années ?
Une idée l’effleure… demander que l’adorable Sólweig le rejoigne et vive avec lui en France… mais il se souvient de la maison et de la poupée qu’il va avoir et l’image de Nina traverse également son écran intérieur à cet instant-là… Non, mauvais choix, cela deviendrait ingérable !
Il doit se concentrer. Que peut-il demander en étant dans la peau d’un lutin qui se destine officiellement à suivre l’apprentissage de Noël auprès de Maître Niclö ? Il ne peut pas demander des pouvoirs magiques, il sait qu’il est sensé les posséder déjà au fond de lui… En plus, même s’il ne sait pas encore comment il pourra s’échapper, il n’a pas forcément l’envie de s’éterniser à vie dans ces patelins magiques et il a bien l’intention de retourner à sa vie ‘normale’ par la suite, après Noël… Alors, que demander ? Et quitte à faire, autant demander quelque chose d’utile, non ? De quoi pourrait-il avoir besoin ? Soudain, la réponse apparait, limpide et évidente : il va demander un objet qui lui sera d’une très grande utilité et que son jeune âge d’apprentis peut légitimer !
Il toussote pour montrer la fin de sa période de réflexion que tous ont respectée en silence. Depuis que la question a été posée, il sent la brûlure des trois paires d’yeux attendris fixées sur lui.

- Ce que j’aimerais bien pour ce Noël, c’est quelque chose qui me sera utile pour mon apprentissage… en attendant que j’aie suffisamment développé mes pouvoirs magiques… En fait, j’aimerais bien ne plus m’évanouir pendant les trajets en traineau volant… Ce n’est pas très confortable et c’est vraiment fatigant ; j’ai toujours besoin d’un long moment pour reprendre mes esprits et faire passer les nausées et la migraine et pendant ce temps je ne suis pas attentif ni efficace, c’est du temps perdu… Si c’était possible comme cadeau de lutin, j’aimerais bien quelque chose comme une combinaison anti-g des pilotes de chasse, qui m’aiderait à ne plus tomber dans les pommes à chaque fois que je voyage en traineau. C’est possible, cela ?
- Ho Ho Ho ! « Tomber dans les pommes » ?! Voilà une belle expression que je ne connaissais pas ! Et toi, Niclö ?
- Si si, mon cher ami, je connaissais. Expression typiquement française, Ho Ho Ho !
- Ainsi donc est ton vœu, Jeune Apprenti Laö. Il me parait raisonnable et réalisable. Il faudra veiller tes chaussons lutins dans les jours prochains… Ho Ho Ho !

Ainsi se termine cet entretien exceptionnel, cette fantastique matinée dans « l’âme de Noël ».
Ils prennent congé de Santaclaö ; Niclö repart également assumer ses missions ; Laö est à nouveau livré à lui-même, officiellement à ses « observations silencieuses et saine curiosité ».

Après tant d’émotions et de découvertes fantastiques, il a surtout besoin de se poser tranquillement, de digérer tout cela.
Il a trouvé un banc isolé sous un chêne magnifique (pour un arbre vivant sous terre, fantastique est-il !), en bordure excentrée du parc des rennes, là où ne passe jamais personne et où tout ne lui parvient qu’en sourdine lointaine, les senteurs, les musiques et autres sons, les mouvements des bonshommes verts et bleus… Il a dégagé Korv de ses occupations, celui-là s’étant installé sur un lit de mousse au pied du chêne pour une sieste réparatrice… et sonore. Sur le banc, à ses côtés, le petit paquet de gourmandises que Mère-Noëlle lui a confié en partant, joliment enveloppé dans un linge à carreaux rouge. A quelques pas des rennes magiques paissent tranquillement.
C’est l’endroit et les conditions idéales pour se reposer, se ressourcer, faire le point…

Comme tous les matins depuis qu’il a intégré les rangs lutins, le voilà réveillé pile sur le coup des sept heures par il ne sait quelle baguette magique.
Ce matin est cependant un jour exceptionnel. Nous sommes le 24 décembre ! C’est LE grand jour ! L’excitation le submerge instantanément, les yeux à peine entrouverts. Il bondit sur ses deux pieds en bousculant sa table de nuit, en oubliant presque Korv qui n’était heureusement pas encore sorti de sa boîte d’allumettes protectrice.
Il est cependant arrêté dans son élan par un paquet joliment emballé et déposé sur ses chaussons de lutin. Son cadeau de Noël de lutin ?!

Délicatement il le soulève, vérifie quand-même que son nom est inscrit dessus, en lettres d’argent : Laö. Tiens, c’est bizarre, c’est la première fois qu’il le voit ainsi orthographié ! Mais ce doit bien être pour lui, sur Ses chaussons lutins, au pied de Son lit.
Il se rassoit sur sa banquette et avec d’infinies précautions et tout le sérieux d’un cérémonial de Noël, il décachète le paquet souple en retenant son souffle. Un observateur extérieur verrait en cette scène un petit garçon de moins de dix ans émerveillé par la magie de Noël.
Il découvre sous le papier cadeau ce qui ressemble à une combinaison argentée et transparente, une armure en écailles de poisson qui aurait la souplesse et délicatesse au toucher d’un tissu de soie. Ce doit être sa combinaison anti-g… probablement magique, elfique se dit-il en pensant attendri le temps d’un millième de seconde à Sólweig…
Si l’agitation matinale autour de lui ne l’avait pas ramené sur terre, il serait resté longtemps rêveur à caresser le doux tissu argenté…

Il reprend vie et excitation instantanément, range son lit et son espace, fait signe à Korv de l’attendre quelques minutes et file à la salle d’eaux se débarbouiller et s’habiller.
Là, il prend le temps de délicatement enfiler son cadeau, trouve qu’il taille très grand et grommelle que l’Assistant du Père Noël n’a pas l’œil et s’est planté sur la taille… sauf qu’une fois la capuche correctement enfilée, la combinaison s’ajuste d’elle-même parfaitement à son corps, du sommet du crâne aux bouts des orteils, en le comprimant, particulièrement aux extrémités… c’est magique !
Il décide dès cet instant de ne plus la quitter et enfile sa tenue de lutin par-dessus. Il glisse dans sa poche intérieure l’espèce de masque translucide souple qui était avec, précieusement enveloppé dans le papier cadeau. C’est le 24 décembre et le voilà bien équipé pour résister aux affres de la force accélératrice ! A lui les derniers mystères de Noël !

Ce matin, une effervescence particulière anime cette grande bulle magique sous-Groenland. L’atmosphère est positivement électrique. Tous les lutins, quels que soient leur âge, leur expérience, leur poste, sont surexcités. Les « grandes manœuvres » se concluent aujourd’hui. Les vingt-quatre heures à venir sont les instants clés qu’ils préparent tous depuis des mois.

Le lutin Laö a à peine terminé son copieux petit-déjeuner qu’il apprend que la distribution des cadeaux a déjà commencé. Il a un sursaut effrayé. Quoi, le Père-Noël est déjà parti, sans lui ?! Mais pourquoi n’y a-t-il pas pensé, qu’avec le décalage horaire, cela allait commencer très très tôt dans la journée ?! Quel plouc il fait, franchement ! Il court jusqu’au rendez-vous que Maître Niclö lui a donné au Secrétariat Principal où il arrive essoufflé et déconfit, ce qui lui vaut d’être accueilli par le rire jovial de son mentor, qui l’introduit jusque dans la fabuleuse pièce de commandement.

Il reprend là son souffle en remarquant de suite que Santaclaö est toujours là, comme beaucoup, concentré sur la mappemonde qui s’étale sur l’écran géant translucide qui couvre tout le mur nord de la salle. L’activité n’a pas diminué pour le moins du monde, mais tout semble se passer dans un moindre vrombissement que la dernière fois qu’il a pénétré en ces lieux sacrés, avec plus de fluidité, plus de tension encore, mais plus de magie festive aussi. Il doit y avoir là deux fois plus de lutins que la dernière fois, et il remarque nombre de bonnets bleus d’Ainés et autres coiffes typiques des jeunes apprentis comme lui, simples observateurs de cette magie.

Il se concentre enfin sur ce que Maître Niclö lui chuchote en français à l’oreille, Korv ayant glissé dans la pochette de son costume, le menton posé sur ses longues mains pour admirer lui aussi le planisphère translucide qui s’anime à chaque seconde un peu plus.
Non, décidément, il y a bien long que le Père-Noël ne peut faire la livraison seul sur une planète aussi peuplée et une population aussi nombreuse convertie à la magie de Noël, lui explique Niclö. Il est donc assisté d’une escouade de Maîtres Lutins responsables de plusieurs traineaux magiquement surchargés et de zones géographiques précises. Ainsi, depuis les ateliers les plus à l’est du méridien principal (probablement de l’archipel russe Terre du Nord se dit-il), les premiers traineaux ont-ils décollé dès 07h30 ce matin, heure de Noël à GMT moins trois, pour entamer la distribution des cadeaux dans les zones les plus à l’est de notre planète, en GMT plus douze. A chaque livraison effectuée, à chaque maison visitée, une microscopique lumière verte s’allume à sa bonne place sur le planisphère, et devant les yeux de notre ami, c’est une onde verte qui s’intensifie à chaque seconde qui passe et qui s’étend progressivement du nord au sud et de l’est vers l’ouest. Et ainsi il en ira jusqu’à 07h (heure de Noël) demain matin lorsque le dernier traineau parti des ateliers les plus à l’ouest reviendra enfin vide, mission accomplie.

Et le Père-Noël, il ne fait plus rien que surveiller d’ici les opérations ?
Non non, Santaclaö, comme tous les Maîtres Lutins ici présents, y compris lui-même Niclö, décollera en son heure, vers 20 heures, pour prendre le relais des livraisons, du côté des continents européen, africain et américain. D’ailleurs, cette année, c’est Santaclaö lui-même qui s’occupera entre autres de la France, glisse Niclö en confidence. Le sourire bienheureux que notre faux-lutin lui renvoie déclenche le rire caractéristique du Maître Lutin.

Il est hypnotisant ce planisphère translucide, mieux qu’un bon feu qui crépite dans la cheminée.
Il reste des heures à observer la progression lente mais régulière de la marée verte, avec cette micro-loupiote jaune qui clignote au centre de la bande la plus haute de l’écran et doit représenter leur position actuelle à eux, les lutins du « Village du Père-Noël ».
Ils sont vraiment magiques, ces lieux, tout particulièrement en cette « belle nuit de Noël » qui dure vingt-quatre heures.