Le Village du Peuple Etrange Voyageur

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    Message par Skyrgamur Mar 1 Fév - 15:07

    Je crois aussi que j'écris depuis beaucoup de mois sur mon ordinateur. Ca serait bien si j'avais la machine qui imprime. Je ferais un carnet comme ceux que j'écrivais avec la main avant et je collerais des photos sur la couverture.
    Puis, je pourrais le ranger dans le tiroir de ma table avec écrit en noir à la dernière page,le mot Fin.


    Plaise à Dieu (ou au Diable clin d'oeil que tu n'acquières jamais une maudite imprimante. Je ne veux jamais voir le mot FIN. Ce serait comme si tu mourrais pleurs pleurs


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    Message par mamina Mar 1 Fév - 23:28

    J'aime bien parce que lorsque le fer glisse sur les torchons, les taies d'oreiller, mes pensées glissent elles aussi.....Comme ça, quand les piles sont parfaites, moi aussi je me sens bien rangée.

    Je suis un peu comme toi Vovonne mais moi c'est quand la maison est propre que je me sens bien rangée dans ma tête !

    Puis, je pourrais le ranger dans le tiroir de ma table avec écrit en noir à la dernière page,le mot Fin.

    Tu pourrais oui... mais pas trop vite encore, il n'y a "que" 87 pages ! clin d'oeil et tu sais comme on t'attend tous les matins ; ça fait comme la chronique sur mon journal...
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    Message par Vovonne Jeu 3 Fév - 9:47



    Ma voiture n'aime pas l'humidité et je peux pas aller faire les courses chez Atac, alors j'ai du temps et je vais écrire sur le fait divers qu'on entend à la radio depuis plusieurs jours.
    C'est l'histoire d'une jeune fille qui a une sœur jumelle. Elles sont très jolies toutes les deux.
    Un homme qui a déjà commis des choses atroces a tué cette jeune fille qui vivait dans une famille d'accueil avec sa sœur.
    Maintenant sa sœur est amputée de son double.

    Alors, je me pose des questions sur la justice, sur la libération anticipée et sur les jap. Les jap, j'ai appris que ça voulait dire, juge d'application des peines. C'est donc un travail de grosses responsabilités.

    Moi, ça me donne une envie de vengeance. Pourtant se venger ce n'est pas faire la justice.
    Les hommes qui font ces crimes sont vides et n'ont que le plaisir de faire du mal. On peut pas s'adresser à leur intelligence.
    Alors, ça serait quoi un châtiment juste.

    Pas les tuer eux aussi. Il n'y a pas, je crois, un crime illégal et un crime légal, c'est un crime tout court.

    Parce que si la justice par de l'idée qu'il y a des gens indésirables, on peut même tuer tous les gens qui dérangent comme les handicapés mentaux et les trop vieux qui coutent cher.
    D'abord ça s'appelle l'euthanasie de faire ça. Une autre sorte de peine de mort.

    Non, des hommes aussi pourris jusqu'à l'os, il faut leur couper le zizi et l'attirail qui va avec et après, ils restent derrière les barreaux jusqu'au bout de leur vie. Et quand ils sont si vieux qu'ils tiennent plus sur leurs jambes, on les met dans une prison de retraite. C'est pas parce qu'on est vieux qu'on est devenu sage et bon, ils restent des abominations de la nature, voilà.

    Je sais, c'est pas beau ce que je dis, mais au moins, il n'y aura plus de gens dehors qui vont recommencer et faire souffrir des familles qui ont rien demandé.
    Même si la peine de mort existait dans le pays, ça empêcherait pas les criminels de criminer, j'en suis sure, parce qu'ils ont pas la même idée de la vie que les autres et que c'est le plaisir qui est plus fort, le plaisir de faire mal et de tuer.

    Moi, je pense à la sœur de la jeune fille. Déjà, elle avait sûrement des problèmes avec ses vrais parents puisqu'elle était en famille d'accueil et en plus maintenant, elle est absolument seule.
    Et quand la nuit arrive, comment dort-elle ? Ça doit être si dure de vivre.
    Elle pose les mains sur ses yeux pour que les larmes ne coulent pas.

    Et puis, dans un jour ou trois jours, les journalistes, ils en parleront plus parce que ça sera plus intéressant mais la jeune fille, elle, elle sera toujours là, oubliée.

    C'est pas très drôle ce que j'écris dans mon ordinateur aujourd'hui.
    Et moi, je suis comme les journalistes. Dans quelques semaines, la jeune fille sera devenu un fantôme transparent dans un coin de ma mémoire.

    Ce matin, il cheuille. Il cheuille dehors et il cheuille dans mon cœur.
    J'ai appris à lécole une poésie et il m'en reste qu'un petit bout qui ressemble à aujourd'hui :
    « blessent mon coeur d'une langueur monotone »

    Juste ça qu'il me reste.
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    Message par Vovonne Mer 16 Fév - 19:45

    Et voilà, les jours défilent aussi vite que les nuages qui se coursent et giclent d'énervement et j'ai pas de temps et encore moins d'énergie pour mettre à jour les choses de ma vie de vieille femme fatiguée.

    Je suis allée au conseil municipal mais il fallait presque me tirer dans la bannette de Willy.
    Je n'ai pas parlé, juste écouté les questions à l'ordre du jour.
    Et c'était pas drôle parce que notre village subit les ordres du gouvernement et que les gens doivent se mettre en conformité pour les évacuations de leurs eaux sales et de leur caca . En plus, à la commune, comme dans beaucoup de communes, ils ont pas de couilles (je devrais pas écrire un si vilain mot) et ils délèguent leur responsabilité à des gens extérieurs pour faire le sale boulot de rapport.
    Le Monsieur, on dit un audit, faut savoir, il vient et il te dit :
    « Toi, t'es pas aux normes, alors t'as 150 euros d'amende, tu la boucles et tu te mets aux normes, tu te renseignes et ça te coutera entre 6000 et 8000 euros »

    Ben nous, avec Félix, on peut pas et il n'y a pas que nous.
    Les autres conseillers, ils disaient que c'étaient bien pour rendre nos campagnes plus propres.
    Oui, mais les conseillers, en dehors de Willy et de moi, ils ont de l'argent en réserve.
    Les solutions qu'ils disent, c'est de demander des aides.
    Chic, ça existe les aides mais pour moitié alors pour nous, ça suffit pas.

    Après, on a parlé de l'agent communal en arrêt longue maladie et qu'on a pas les sous pour payer un remplaçant et après on a parlé du fleurissement de la commune.
    J'avais envie de leur faire bouffer des bulbes de tulipes pour qu'ils s'étouffent dans leur sottise.

    Je suis rentrée découragée et même Félix n'a pas réussi à me remonter le moral.
    Je lui ai dit : « on vend la ferme et on va dans un foyer logement, c'est trop dur »
    Félix, il a eu les narines qui ont fumé comme les naseaux de Perdita.
    « Jamais, tu entends, jamais »
    Ca m'a fait un peu de bien mais je me suis couchée sans faire ma toilette. Ca veut vraiment dire que j'étais mal, parce que j'aime me coucher dans l'odeur du savon . J'ai tourné la tête contre le mur et j'ai fait semblant de dormir.

    J'ai pensé à la voisine qui a pas ces soucis. C'est vrai, ils en ont d'autres pas drôles. Leur chantier a déjà du retard et des graves malfaçons et ça chauffe avec l'entrepreneur qu'il y a même déjà des experts qui viennent pour voir les coups foireux faits par l'entreprise.
    Elle a la rage la voisine de penser que sa grande maison va s'écrouler un jour parce que les ouvriers n'ont pas rescellé les poutres d'un mur porteur au centre de la maison.
    Elle a l'air de dire que c'est grave mais moi, je trouve que ça devient beau, surtout les carrelages bourguignons du grand hall d'entrée qu'on dirait une maison de maître comme là où je faisais la lingère .

    Ca nous fait de l'animation au village, toutes ces voitures de riches qui passent chez eux, parce que les experts et tous ces gens, ils sont pas pauvres et ça se voit. Ils font leurs sous sur la misère des gens.

    Je sais, on est pas si à plaindre, y'a qu'à voir l'Égypte et la Tunisie et tous ces pays arabes qui en ont marre. Mais même, chez nous, si on a tout, la mer, l'océan, la montagne, la campagne, on n'a pas une très grande chance avec notre gouvernement qui ne sait même plus trouver les points cardinaux, qu'ils sont toujours à l'ouest.

    C'est égal, Félix, il m'a pris dans ses bras le 14 et il m'a dit que j'étais sa valentine et que je l'avais rendu heureux comme jamais il n'en aurait attendu de la vie.
    C'est bien et j'ai eu envie d'être une plume glissée dans son cou.
    On est aussi bête qu'à vingt ans.





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    Message par Vovonne Lun 21 Fév - 11:29




    Ben moi, je suis d'accord avec Willy qui ne veut plus entendre parler du salon de l'agriculture.
    Les agriculteurs ils en bavent. Pas les gros avec des exploitations immenses mais tous les petits comme lui. Le président de notre République, il aime plus Airbus que Airtracteur.

    Et les gens de Paris, ils payent douze euros pour aller voir leurs bons sauvages et des vaches qui font meuh et du lait pas en brique et des lapins pas en cassettes sous vide. Ils se font une sortie au zoo où qu'il y a une bonne odeur de bouse qui fait bien campagne.

    Pis, ceux des paysans qui y vont, c'est pour espérer une médaille qui les rend fiers mais n'augmente même pas le prix qu'on leur achète leurs produits.
    Un salon pour des bovins, c'est idiot ça. Avec des canapés en paille et en foin, des lustres en néon et du chauffage.
    Ca coûte un bras de monter à Paris pour eux. C'est dans les choux les histoires de Bruxelles et les agriculteurs, z'auront beau enfiler des ticheurtes rouges pour râler, ça changera rien du tout.

    C'est pas le tout, mais j'ai récupéré du bon fumier et je vais rejoindre Félix dans le jardin.
    On prépare le printemps, que ça me fait des fourmis de joie dans les jambes.

    Je rouspète beaucoup en ce moment, c'est toujours ainsi à la fin de l'hiver, faut évacuer les humeurs noires pour pouvoir laisser la place à la gaité.
    Même l'anniversaire du gamin, ça m'a énervé. Il a commandé (commander un cadeau, ben ça alors) une toupie beyblade. Comme si je pouvais trouver ça ici. Alors la voisine, elle a imprimé sur sa machine une photo de cette toupie japonaise, j'ai mis ça dans une enveloppe avec le chèque.
    Ca m'a rendu drôlement triste. Pas que ce soit une toupie japonaise qui ressemble pas aux toutes petites toupies en bois qu'on avait quand on était enfant, mais qu'il commande comme si j'étais un magasin.
    Je lui ai dit et il a répondu : « mais c'est comme ça qu'on dit grand-mère, c'est pas important quand même »

    Ben si, c'est important un mot juste.
    Moi, je le crois en tout cas.









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    Message par mamina Lun 21 Fév - 12:42

    Tiens ! j'aurais bien du faire comme Vovonne, une photo et un chèque.... parce-que je ne l'ai pas trouvée la toupie beyblade, pas faute d'avoir cherché ! du coup je me suis rabattue sur du Pokémon et du Dinosaure ; bon ça a plu aussi.... mais pas à moi !
    Terminé, je demande plus et j'amène des livres... de toutes façons les chambres sont archi-pleines de jouets !!
    C'est plus ce que c'était les grands-mères... elles ont aussi envie de se faire plaisir !!!
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    Message par Vovonne Mar 22 Fév - 9:41



    « S'il te plait, pense à sortir les poubelles » j'ai dit à Félix qui partait rejoindre deux forestiers.
    Il est parti pour la journée dans les bois, à la coupe.
    J'ai pensé que je lui avais pas dit « Bonne journée » mais, « Sors les poubelles », je me suis peinée toute seule.

    Les deux forestiers sont des polonais et tous les bûcherons disent que ce sont des sacrés bosseurs.
    Ils abattent du travail comme pas deux, ils abattent les charmes et les chênes de la coupe d'un gros propriétaire
    Ils coupent et débardent les grumes à un rythme si rapide que c'est pour ça que Félix va les voir.
    C'est un spectacle il paraît.
    En deux jours, ils font cent trente cinq stères. Félix, dans le meilleure de sa forme, il faisait cinq stères par jour. Faut dire que lui, il n'avait que des charmes aux troncs fins puisque dans les coupes ont ne prend que les têtes. Les têtes de charme, c'est plein de repousses qu'il faut débarder. C'est dire le temps perdu avant d'empiler plusieurs stères.

    Il y a Jerzy et Henryk.

    Tout à l'heure Félix revient avec Jerzy pour que la voisine s'en occupe.
    Il y a trois jours, la tronconneuse a dérapé au-dessus du genou. Il a été recousu à l'hôpital, quarante agrafes on lui a mis. Il a eu de la chance, c'était presque jusqu'à l'os. Il s'est même pas arrêté de travailler mais il paraît que son pansement coule beaucoup.
    La voisine va lui arranger ça. Sa mallette est pleine de poussière, mais j'ai vu, dedans, c'est propre et rempli de matériel.

    Nous on n'a pas de plombiers polonais, on a des bûcherons polonais et sont aussi costauds que les nôtres, sauf qu'on n'a plus assez de bûcherons. Ca fait des gens nouveaux et c'est bien. Ils sont déclarés faut pas croire, mais, si ils s'arrêtent de travailler pour une blessure, comme Jerzy, ils perdent trop de sous. Faut se boucher les oreilles quand Joseph, il dit que les polacks envahissent notre région.

    Autrefois, avant que le charbon remplace le bois, les bûcherons et les flotteurs vivaient bien.
    Par chez nous des villages entiers vivaient du bois et du transport du bois.
    Les flotteurs, des solides gaillards, construisaient des trains flottants. Pour aider un flotteur, seul responsable de son train, il avait un jeune garçon qui s'appelait, le petit homme d'arrière.
    Pendant quatre siècles, les hommes ont transporté les grumes qui chauffaient presque tout Paris.

    La forêt retentissait des bruits des haches, des cris des hommes, les débardeurs, les bûcherons, des grimpeurs, des scieurs de long, les éhouppeurs.
    Quand j'étais petite, il y avait encore du travail, les gens avait besoin du bois.
    Maintenant il ne reste que des exploitations forestières qui vivotent mais sont bien utiles.
    Ca fait des chemins de promenade et comme les bûcherons laissent les branchages, ça, on les appelle des rémanents que plus personne ne ramasse, ça fait du bon humus qui sent bon et on trouve beaucoup de ceps et de girolles.

    Les rémanents, nous, gamins on connaissait même pas le mot.
    On faisait comme l'histoire du petit Poucet, on allait en forêt et on ramassait les branchettes et les branchages, on liait les fagots et on portait avec une corde sur notre dos et on rentrait à la ferme.
    On faisait ce travail après l'école, au printemps et en automne.

    J'aimais beaucoup regarder le père d'Adrien. Il était grimpeur. Il avait deux semelles d'acier avec des griffes accrochées sur ces souliers, comme des crocs et qui tenaient avec des lanières de cuir et il montait très vite au sommet de l'arbre en plantant ces griffes dans le tronc. Il était agile comme un écureuil.
    Après, il éhouppait le sommet de l'arbre pour garder une grume de bonne qualité.

    La tête près du ciel faisait qu'il était plein de bonté pour tout le monde.

    Il avait de la chance Adrien.

    Je devais rester loin des bûcherons, c'était dangereux et c'est ce danger que j'aimais.
    Quand le tronc était saigné à la hache, une entaille profonde bien calculée pour la chute de l'arbre, je courrais me canfouiner parce que c'était interdit aux petits.
    Le chêne tremblait, frissonnait, et tombait en pleurant et en criant. J'avais du chagrin pour lui parce que sa vie d'arbre était fini. Le sol vibrait et l'arbre parfois sursautait et faisait ces derniers rebonds.
    Maintenant les abatteuses et les tronçonneuses font un tel boucan qu'on entend presque plus le dernier craquement de l'arbre.

    L'air est si clair, si bleu qu'on dirait le printemps, alors, je vais faire un tour dans le village et je vais rapporter le livre à la voisine qui n'en a pas acheté de nouveaux parce qu'est venu le temps des finitions du premier étage de leur maison et que du matin jusqu'au soir, ils sont occupés.

    On a mangé chez eux l'autre jour et la voisine, elle avait fait un poulet arrouëlé à l'indienne. J'ai trouvé que c'était bon et que ça piquait pas beaucoup mais Félix, il a été bien malheureux et que, même si il est bien poli, il a pas pu tout manger.
    J'aurais bien aimé voir la réaction des poules à qui on donne tous les restes. Peut-être qu'elles claquaient du bec avec le piquant des épices, toutes ébarlutées et secouaient leurs ailes qui servent à rien.
    J'ai pas vu, c'est pas moi qui donne les restes de nourriture aux poules de Willy.
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    Message par Vovonne Jeu 24 Fév - 9:41



    Quelle honte aujourd'hui, j'ai fait ma chochotte.
    Je suis allée chez la voisine et Jerzy était là.

    Il y avait des compresses souillées dans un journal par terre, le genou de Jerzy tout gonflé et plein d'agrafes et le sol est monté d'un coup à la figure. J'ai eu chaud et puis, j'ai entendu les voix lointaines et puis plus rien.
    Je ne suis pas si sensible d'habitude, enfin je crois.
    Tomber dans les pommes, c'était la première fois de ma vie.
    Je trouve que c'est très agréable de se sentir s'évanouir. J'étais cotonneuse.

    Mais j'étais gênée, comme si j'avais voulu faire mon intéressante. Je me dis que la voisine, elle en a vu d'autres.
    Jerzy est un bel homme aux cheveux bouclés et aux yeux clairs. Il parle quatre mots de français et j'ai compris que dans son pays, il habite la campagne à côté de Cracovie.
    J'ai regardé dans mon atlas, c'est loin d'ici.
    Il rentre chez lui à la fin de son contrat dans six mois pour retrouver sa femme et leur bébé.

    Après ma visite désastreuse, je suis allée prendre l'air pour me remettre les idées à l'endroit.
    Dans le ciel gris couleur de draps de lin qui ont perdu tout éclat, j'ai vu un vol de grues cendrées.
    Chaque fois mon cœur tressaute.
    C'est tellement beau ce vol en v, plus majestueux que celui des oies.
    Les grues criaient grou-grou toutes les trente secondes.

    Elles se reposent le soir dans notre région parce qu'il y a beaucoup d'étangs et de chênaies.
    Depuis quelques années, à cause des sapins, les chênaies sont moins importantes et pour les grues, c'est pas bien parce qu'elles se nourrissent de glands.
    Les grues peuvent traverser la France en une journée si le temps est doux. Aujourd'hui, je suis certaine qu'elles vont s'arrêter dans le dortoir de l'étang, c'est comme ça qu'on l'appelle.
    Dans nos mairies, on demande aux gens des villes qui viennent nombreux pour les photographier, de ne pas les déranger dans les dortoirs et de rester en bord de route.
    C'est peine perdue, ils vont piétiner les herbes des marais, effrayer les oiseaux et il n'est pas rare de voir, le soir, à l'heure où elles se reposent pour reprendre des forces, un envol en catastrophe d'oiseaux dans le ciel sombre.
    Ça m'énerve tellement de savoir qu'elles sont reparties, épuisées, à cause de l'homme, pour des images.

    Puis, je suis passée chez Queue de Cheval, parce qu'il voulait un peu de joubarde pour son pouce crevassé.
    On a bu du thé même si je n'aime pas ce liquide jaune. Ça lui fait plaisir de former mon goût qu'il dit. Un jour c'est du thé de la Chine, un autre de l'Inde et il y a des saveurs différentes. Mon palais doit être en contre-plaqué parce que je trouve qu'ils ont tous un goût de rien.
    On a regardé des photos du voilier qu'il avait avant. Avant d'arriver au village, il a toujours habité dans son bateau et toujours en Mer du Nord qu'il n'y a que là qu'il était bien.
    Sur les photos il est tout pareil que maintenant sans la queue de cheval qu'il a laissé poussé en s'installant au village.
    J'ai jamais demandé pourquoi il était venu ici, personne ne sait et j'aime beaucoup ne pas savoir.
    Il a acheté la minuscule maison avec les meubles et je sais juste qu'en tirant le gros buffet est tombé un fusil de la guerre enroulé dans de la toile.
    Il fait rien que de la peinture dans ses journées. Il peint ce qu'il voit alors, il y a beaucoup de vert. C'est très vert chez nous.

    J'aime beaucoup Queue de Cheval et sa chienne Rita toute affreuse. C'est un homme silencieux et savant qui ne dit jamais de mal de personne. Discret comme un crocus qu'on pourrait marcher dessus si l'on y prenait pas garde.

    On marche souvent sur les gens alors qu'il faudrait être prudent et soigneux pour ne pas les écraser par mégarde.
    Avec mes sabots roses ou mes bottes j'essaie d'être attentive et quelquefois j'aplatis les violettes cachées dans la mousse et je froisse les tiges qui surgissent des bulbes de tulipe.

    Après je suis rentrée à la maison et j'ai préparé le souper.
    Félix sifflait dans le hangar du tracteur et j'ai pensé que ce serait une bonne soirée.









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    Message par Vovonne Jeu 3 Mar - 15:25



    La voisine est rouge de colère.
    C'est un coup du Joseph. Il a coupé un frêne qui faisait de l'ombre à son potager chaque année.
    Le frêne, il est dans le champ de la voisine et il se rinçait le pied au bord de la petite mare.

    Plus de frêne et Joseph, le sourire tirant sa lèvre vers le bas lui a dit qu'il avait planté trois noyers à la place.
    Moi, je lui ai dit à la voisine que c'est connu, le frêne qui pousse près d'une mare est poison.
    Ca la calme pas. Faut dire que ça va mal dans leur maison. Rien n'est fini et faut refaire du travail que ça s'appelle des malfaçons.
    Je préfère ma ferme toute petite où j'ai que le souci du vent coulis sous la fenêtre de ma salle. J'ai cousu un tissu rembourré avec du kapok. C'est comme un énorme saucisson que je cale sous la fenêtre, qu'on a même pas des doubles vitrages.
    Les gens, ils se mettent dans les soucis tout seuls.

    Moi, ce qui me fait du souci c'est les gens qui se tuent partout dans le monde.

    J'ai pas envie de voir encore une guerre.
    J'étais une meniotte à la grande guerre mondiale, la deuxième. Ça faisait peur le bruit des avions.
    Quand j'allais au bistrot avec mon père, il me juchait sur la table et si je criais bien fort « dehors les doryphores » j'avais une grenadine. Je criais de tous mes poumons et les hommes riaient et j'avais ma grenadine.
    C'est bizarre parce que, ça, c'est un bon souvenir.

    Il y a eu aussi des enfants qui sont venus d'une ville. Un frère et une sœur qui ont habité chez le grand-père d'Adrien. On disait que c'était pas leur vrais prénoms Paul et Marie, que la petite fille s'appelait Sarah et qu'il fallait pas le dire.
    Nous, on jouait tous ensemble et on allait à l'école par le même chemin. La seule différence que je voyais, c'était qu'ils avaient des vrais souliers et moi, des sabots.
    La maîtresse, elle était bien plus gentille avec eux et je trouvais que c'était très injuste parce qu'on faisait les mêmes bêtises et ils avaient pas de punitions.

    Je ne sais pas ce qu'ils sont devenus. A la fin de la guerre, longtemps après, une ambulance à grandes roues est venue les chercher et on les a jamais revu.

    «Mourir pour des idées, c'est bien beau mais lesquelles ?
    Et comme toutes sont entre elles ressemblantes
    Quand il les voit venir, avec leur gros drapeau
    Le sage, en hésitant, tourne autour du tombeau
    Mourrons pour des idées, d'accord, mais de mort lente
    D'accord, mais de mort lente »

    De chanter la chanson de Brassens, ça m'aide pour ne pas avoir mal d'écouter le journal télévisé où qu'on entend ce fou de la Lybie.
    Parfois, je me dis que je suis trop vieille dans ce monde qui va a toute allure et dans tous les mauvais sens. C'est comme si la paix n'était plus possible nulle part.
    Dans mon petit village je me referme comme une huître et je voudrais boucher mes oreilles, fermer ma bouche ou alors devenir Alzheimer à l'abri dans un monde que je me fabriquerais en perdant tout et même moi-même, jusqu'à oublier de vivre.

    Je pourrais me faire croire que j'ai pas le moral, je suis juste fatiguée jusque dans mes os et mes articulations que ça fait dire que c'est le mois de Mars et que c'est toujours comme ça quand je sors de l'hiver.




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    Message par Wapiti Sam 5 Mar - 13:02

    Je viens de combler mon retard de lecture morvandelle.. Merci Vovonne de nous tenir au courant de ton quotidien et des démêlés de ta voisine, à qui il faut faire une bise de ma part.
    sourire


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    Message par maria Lun 21 Mar - 10:00

    Bonjour Vovonne,

    Voilà bien longtemps que vous ne venez plus nous raconter vos chroniques villageoises.
    Je vous lis depuis le début, un peu cachée, je l'avoue, et c'est votre silence qui me fait ouvrir ma fenêtre.
    J'ai 88 hivers aujourd'hui, oui voilà ce que c'est de naitre le premier jour du printemps, comme vous j'ai connu une enfance pas facile, une jeunesse de travail à la campagne, un mariage d'amour mais qui a tourné en affrontements, j'ai eu 4 enfants que j'ai souvent élevés seule, mon mari était toujours au loin et depuis 16 ans je connais la solitude.
    Bien sur, enfants et petits-enfants sont autour de moi mais je sens que je me détache. Même la naissance de ma dernière arrière-petite-fille ne m'a pas procurée tant de joie.... Comment faire quand on a plus de force pour prendre un bébé dans les bras ? comment faire pour sourire à tous quand au fond de soi on sent que la vie s'en va doucement ?
    Vous me comprenez Vovonne ?
    Si j'ai eu tant de plaisir à vous lire c'est que justement souvent vous disiez tout haut ce que j'ai au fond de moi... et puis vous me faisiez rire, en douce car ça ne se fait pas de rire devant un écran !
    Votre village c'est le même que le mien dans ma jeunesse : le voisin râleur, tiens c'est celui qui a dénoncé mon père pendant la guerre parce-qu'on avait un fusil de chasse caché dans le foin, la maman sans papa, y'en a eu des filles qui ont disparu quelques mois et à qui on ne parlait plus à leur retour, l'étranger, pas trop de mon temps mais je me souviens que le commis de ferme n'était pas de chez nous et qu'on le lui faisait bien sentir, et puis le cochon qu'on tue, les soirées chataignes...
    Vous savez si bien raconter les choses, y mettre tellement de sentiments que grâce à vous, avant de partir je revivais ma vie...
    Je ne sais pas si vous retrouverez le chemin de ce village ni si j'aurais l'occasion de revenir vous parler, c'est donc un grand merci que je vous envoie du fond de mon vieux coeur

    Maria
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    Message par Invité Mer 23 Mar - 17:03

    L'est bien sympa ce message mais quèque chose me dit que c'est une galéjade.
    Peut-être me trompe-je, en ce cas Maria est plus douée que Vovonne pour maîtriser tant un forum que l'outil informatique.

    Des p'tites mémés charmantes presque nonagénaires et qui, au débotté, trouveraient peuple voyageur puis vovonne, c'est costaud.
    Hummm, bénéfice du doute...
    Skyrgamur
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    Message par Skyrgamur Mer 23 Mar - 17:43

    Je sens bien Wapiti qui voulait te faire sortir de tes gravats langue


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    Message par Invité Mer 23 Mar - 17:50

    Je vois que tu es dans le même scepticisme que moi !
    J'm'en vais le dire à Vovonne très occupée à étendre son fumier dans le potager.
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    maria
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    Message par maria Mer 23 Mar - 19:12

    Bonjour Mesdames,

    Mme Pondy prétend que mon message est une galéjade. Certainement pas ! rien n'est inventé ni exagéré dans ce que je vous ai raconté.
    Par contre, que quelqu'un écrive pour moi, je veux bien l'avouer car vous avez bien compris que je suis trop âgée pour maitriser un clavier. Heureusement j'ai dans mon entourage quelques jeunes mains habiles et si j'ai beaucoup perdu de ma prestance je garde bon œil et bon cerveau, bon pied je ne peux le dire.
    Quant à Mme Wapiti que vous soupçonnez d'utiliser mon prénom et qui semble tout connaitre et tout découvrir dans le village je lui demanderai de rester discrète.
    Ah ! la discrétion ! voilà une qualité que l'on ne pratique plus guère. Tout se sait sur tout même les choses qu'on préfèrerait ne pas savoir. Nous nous faisons du souci et du stress supplémentaires pour des choses qui n'en valent pas la peine ! Qu'en pensez-vous Mme Vovonne ?
    Aujourd'hui je suis à peu près en forme mais je dois passer de nouveaux examens médicaux ; pourquoi est-ce qu'on ne me laisse pas tranquille ?
    Mes meilleurs salutations à toutes,

    Maria
    mamina
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    Localisation : Près de Pau, sur le chemin de St Jacques...

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    Message par mamina Mer 23 Mar - 20:42

    Bravo Maria !

    Tu as réussi à sortir Pondy de ses soucis !
    Galéjade ou pas, vous risquez de faire un beau duo avec Vovonne....
    A plus tard
    Wapiti
    Wapiti
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    Message par Wapiti Mer 23 Mar - 23:17

    Sacrée M'dame Maria ! gag ! langue rire

    (faut surtout pas dire à l'Admin-remplaçante qu'elle a aussi la possibilité de savoir qui tient le clavier au nom de Maria chut ! )


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    Message par Skyrgamur Mer 23 Mar - 23:40

    Je ne sais pas si tu as remarqué, mais si on clique sur la flêche au-dessus du nom, pour tout le monde, on a 4 choix : voir le profil... mais sur Maria, impossible d'avoir ces infos.


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    Message par Maria Lun 28 Mar - 16:13

    Bonjour Mesdames,

    Toujours absente Mme Vovonne ? vous êtes donc si occupée par ce début de printemps pour ne plus avoir le temps de poser quelques-uns de vos bons mots au village ?
    Je vous comprends. Que j'ai aimé cette saison et d'ailleurs les senteurs qui me parviennent par la fenêtre ouverte me font toujours frémir. Que j'ai aimé porter une nouvelle robe et laisser de côté les bas de laine dès que Pâques s'annonçait. Parfois pourtant il faisait encore un vent glacial qui fouettait nos mollets et courrait ous nos jupes. Nous ne mettions cette tenue que le dimanche et jusqu'à l'automne. Les garçons nous regardaient passer en allant à l'église et je dois avouer que nos pensées vagabondaient pendant les prières...

    Mes salutations printanières,

    Maria
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    Message par Vovonne Ven 1 Avr - 19:39

    Quand j'écrivais dans mon carnet, je retrouvais aussitôt la page qui s'ouvrait toute seule parce que ma main avait aplati la reliure et parfois laissé son empreinte humide qui gondolait la feuille.
    Je relisais mes mots où le stylo bille baveur traçait des virgules d'encre.
    Maintenant j'ouvre le capot de mon ordinateur qui retrouve les dernières lignes que j'ai écrit et qui n'ont pas de goût. Des mots bien rangés sur la ligne et parfois sous certains sont dessinées des vagues ondulées orange sans que je comprenne pourquoi.

    Je reprends aujourd'hui l'ordinateur abandonné dans sa housse noire. Le chat est étalé dans une flaque de soleil sur les tomettes que j'ai ciré ce matin.
    La porte est ouverte et Félix n'a pas encore mis le rideau de lanières en plastique coloré parce que les mouches sont encore assoupies. L'air sent l'étable, Willy a nettoyé la stabulation et c'est bien pour les vaches qui sont enfin au propre quand durant tout l'hiver le fumier s'entasse sous leurs pattes. Au sortir de la froide saison, elles sont juchées sur plus d'un mètre de déjections et leur ventre blanc est crotté que c'est peine de les voir comme ça.

    Quand je travaillais, à grands coups de fourche nous sortions chaque jour le fumier qu'on mettait en tas dans la cour. Ce temps est fini comme tant de choses.

    J'ai lu, qu'une vieille dame qui s'appelle Maria, bien plus vieille que moi se rappelle d'antan.
    Je n'ai pas connu les bas épais pour aller à l'église. Je suis quand même plus moderne qu'elle. J'avais des bas nylon à couture marron qui tournaient sans cesse sur le mollet et qu'il fallait réajuster. Je n'avais pas de porte-jarretelle et c'est un élastique de culotte bien serré sur la cuisse qui tenait le bas.
    Ca faisait un peu garrot et c'est pas bon pour les varices mais quand on est jeune, qu'importe l'inconfort, je me sentais belle.
    J'allais peu à l'église mais pour les Pâques, nous remisions les vêtements d'hiver. J'avais deux belles robes pour le printemps et pour l'été qui prenaient bien ma taille si fine que Félix, en joignant ses mains se touchait les pouces. Il m' enserrait puis me soulevait et me faisait virevolter.

    Hier j'ai vu une vieille amie qui est bien seule. Elle est fâchée avec tout son hameau.
    Pour une bête histoire d'accordéon.
    Elle est veuve maintenant et à côté de sa maison vit son amie qui est veuve depuis peu.
    L'amie avait un mari qu'on surnommait Peppone. Un communard, un pur.
    Un jour Peppone demande un service à Berthe ma vieille amie. La promesse de jouer de l'accordéon à son enterrement en suivant le corbillard. Il veut être enterré au village voisin parce que le sien de village est plein de bourgeois.
    Berthe est aussi bonne accordéoniste qu'Yvette Horner. Elle met du rouge à lèvres pareil.
    Durant trois décennies elle a animé les bals.
    Berthe lui fait promesse en lui disant que s'il n'y a que ça pour lui faire plaisir, elle le fera volontiers. Berthe est une grenouille de bénitier et entre Peponne et elle c'est des chamailleries sans fin.

    Peppone meurt et sa veuve vient voir Berthe.
    « Tu te rappelles de ta promesse ? »
    « Non, quelle promesse ? »
    « Tu as dit que tu jouerais de l'accordéon pour Peppone »
    « Ah oui, pas de problème »
    « Peppone voulais que tu joues l'International quand on le descend en terre »

    « Sûrement pas au cimetière, je ne ferais jamais ce sacrilège »

    Berthe n'est pas venue à l'enterrement.

    Ainsi c'est achevé leur amitié. Les deux veuves vivent, séparées par une simple haie de noisetiers, ne se parlent plus, ne se regardent plus quand elles bêchent leur jardin.
    Berthe ne pardonnera jamais l'affront de Peppone qui a osé se moquer d'elle une dernière fois, même mort.

    On a bavardé en grignotant des croquants. Berthe a fumé son cigarillo qui sent mauvais et a repris le volant de sa R5 pour rentrer dans son hameau où les gens lui font la tête.
    Les amis faut les choyer sans renier ses convictions, mais discuter du problème avec un mort, c'est plus possible et faut faire avec.
    Je pense qu'on peut être de l'Ouest ou de l'Est, on a tous la même journée et il arrive une fois dans cette journée où c'est midi pour tout le monde, il faut pas rater cette heure particulière où le soleil très haut chauffe chacun de nous exactement de la même façon.

    J'entends les ridelles vides des tracteurs qui rentrent, les bêtes sont toutes dans leur pâture, c'est le printemps et la fin de la journée.
    Je suis tombée dans l'escalier de la voisine et la bosse de mon coude qui appuie sur la table me fait mal, alors, j'arrête d'écrire et je vais cueillir quelques jonquilles du jardin pour mettre sur la télévision . Ca fait joli et ça égaie cette énorme boîte noire qui m'énerve et qui prend toute la place dans ma salle.
    J'aurais bien voulu gagné un écran plat à la rifle des -amis de l'église- dimanche mais j'ai gagné que deux terrines et une rosette et aussi un radio-réveil que je donnerai au petit.
    La voisine, elle a gagné un jambon de sept kilos et elle l'a accroché à un clou dans sa cuisine, très contente d'imaginer les apéros qu'ils vont faire tout l'été avec ça.
    C'est drôlement compliqué chez eux et je crois bien que ça va durer des mois et peut-être des années avec le procès que tout le monde en parle.
    Nous, ici, au village, on les comprend ces gens de la ville qui sont venus et qui ont eu confiance. Ils ont mis tout leurs sous pour refaire leur maison et quand les planchers, faut dire les parquets, se soulèvent et font des bosses, quand le carrelage bourguigon qui vient de l'angleterre, il est pas droit et ébréché et quand, les radiateurs ressemblent à ceux des abattoirs du Cadran, alors c'est normal qu'ils soient fous furieux.
    Nous, enfin moi surtout, je trouve que leur maison, c'est comme un palais, tellement c'est beau.
    La voisine, elle travaille du matin au soir pour enlever la saleté des meubles qui étaient au grenier.
    Je l'aide pour frotter avec la cire d'abeille. Elle a qu'à mettre du fée du logis. C'est en pschitt chez Atac, mais elle veut pas, ça serait plus vite fait.
    La voisine, c'est une amie et ça me fait bizarre d'avoir une amie plus jeune, ça me donne de la jeunesse en renouveau, comme le printemps.







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    Message par Vovonne Lun 18 Avr - 19:44

    Je m'installe à ma table parce que ce soir, je ne prépare pas la soupe.
    Félix est au comité rural parce que le village s'associe avec les autres communes et on fait un char pour notre fête du printemps. Le thème, c'est la chanson.
    Avec le club, on va découper des notes de musique.
    Félix, c'est parce qu'il va conduire le tracteur décoré qu'il va au comité.

    Le printemps est là et j'ai remisé les deux seaux de sable de devant la cheminée.
    C'est pas pour éteindre le feu, le sable. C'est parce que l'hiver on met les racines d'endives.
    Elles aiment tellement la chaleur qu'on a des endives grosses comme mon avant-bras.
    On en a mangé tout l'hiver et j'en avais assez.
    Quand j'écris sur mon ordinateur, en même temps, je croque nos premiers radis. Je mets du sel dessus, et je picore et pioche dans le gros bol jaune.
    Les fraisiers sont en fleurs, la récolte sera belle cette année même si les limaces attaquent.

    La voisine est venue toute à l'heure chercher des échalotes et on a bien parlé. Il n'y a plus moyen de les faire venir manger chez nous et je sais que c'est pour leur régime. Je lui ai bien dit que grosses gens sont bonnes gens rapport à ce que rien n'est plus maigrissant que la méchanceté mais elle a rien voulu savoir. Son mari, il respirait trop mal et maintenant ça va mieux.

    Hier, on est allé dans les bois pour voir si le muguet nous attendait. C'était comme toujours un tapis de clochettes et la voisine était comme une enfant et n'osait pas marcher car il n'y avait pas de place pour les pieds qui écrasaient le muguet.
    On s'est assise à couvert sur une souche de chêne toute humide et elle aspirait l'air avec son nez aussi fort qu'une asthmatique.

    On a parlé des parisiens qui reviennent pour la saison que le village va sortir de l'isolement.
    On voit les volets qui s'ouvrent enfin et les croisées aussi qui lâchent des odeurs de renfermé.

    Pour une fois c'est la voisine qu'a parlé d'elle et de la grande ville de Lyon et des gens qui parlent le lyonnais.
    Elle m'a dit une phrase que j'oublierai pas parce que c'est très juste. C'est du lyonnais et ça dit comme ça :
    « Avise un peu gones, t'as deux yeux, deux oreilles et qu'une bouche, pas vrai ? A donc, c'est qu'il faut parler à cha peu, voir et écouter à regonfle »
    Dans un si petit village comme le nôtre c'est comme ça qu'on vit tranquille.

    Le busard tourne dans le ciel clair, il plane depuis ce matin et je ne sais pas ce qu'il a vu.
    Sûr, pas les deux petits veaux de chez Willy qui sont nés hier. Les deux mères attentives et les deux petits couchés dans l'herbe ressemblent à une carte postale pour le tourisme vert et n'intéresse pas un busard. Peut-être les lérots qui filent entre les hautes herbes au bord du ruisseau.
    Il reste exactement à la même hauteur et plane en un long cercle toujours le même. Inlassable.

    Je ferme le capot de mon ordinateur parce que Gwendoline m'apporte son petit.
    Elle va faire la fête et ses parents ont dit : « t'as été capable de faire un meniot, tu te le gardes le soir ». Ce petit, il est pas normal je dis. Il rit pas, il crapahute pas à quatre pattes, il se balance et fait passer sa main devant ses yeux, aller-retour, aller-retour, aussi inlassable que le busard;
    Depuis le temps que je le sens, il fait quoi le médecin, je me demande.
    Gwendoline, elle voit pas de problèmes parce qu'elle dit qu'elle a de la chance d'avoir un bébé sage.

    La voilà qu'arrive...







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    Message par Vovonne Mar 3 Mai - 17:28

    Aujourd'hui je viens écrire dans mon ordinateur parce que j'ai plus d'eau dans mes yeux que n'en a la rivière en bas du village.
    Je peux pas me promener avec mes yeux de lapin russe, le nez qui fuit, la bouche pleine de salive salée. Je cache mon chagrin à l'abri derrière le capot noir de l'ordinateur.
    Je suis dans la peine et j'arrive pas à faire bonne figure.

    On parle souvent des parents qui donnent bien du chagrin à leurs enfants et on entend pas souvent dire que les enfants font mal à leurs parents.
    C'est comme si même devenus des adultes, on devait les protéger de toutes les choses difficiles de la vie. Et pis, souvent aussi, on se tait parce que tout au fond de nous on a très peur de perdre leur amour.
    Alors, les enfants parfois, ils sont comme des tyrans et comme des dictateurs, ils frappent avec leurs mots, vite et fort. C'est ça qui m'est arrivé. J'ai reçu des coups de mots comme des coups de fouets.
    Ca déchire l'enveloppe du cœur, ça le met nu, à vif et c'était si douloureux que même les bras forts de Félix et son large torse ne servent à rien.

    Mon garçon, l'aîné qui ne vient plus à la ferme depuis si longtemps que les tomettes ont oublié l'empreinte de ses pieds, il a téléphoné pour annoncer son arrivée avec sa femme.
    Trois jours on reste, il a dit.

    Mon cœur a fait des bonds et a tapé dans mes oreilles, mes joues étaient chaudes et rouges de joie.
    Je ne savais plus où donner de la tête.
    J'ai récuré la maison, même derrière la télévision, là où la poussière s'enroule.
    J'ai préparé la petite chambre, j'ai choisi les draps fleuris et la couverture bleue épaisse et douce.
    J'ai couru dans la forêt et cueilli un énorme bouquet de muguet. J'ai posé le vase sur la commode cirée. J'ai posé des serviettes un peu râpeuses mais larges au pied du lit.
    Je suis allée chez Atac et j'ai acheté un gros gigot parce qu'il aimait avant.
    Le matin, que le soleil éclairait juste la lisière du bois, je suis allée ramasser des radis au potager.
    J'ai piqué d'ail le gigot et je l'ai tartiné de beurre. J'ai sorti les derniers escargots de l'été dernier que Félix avait ramassé et préparé. Je me suis assise à la table et j'ai épluché et coupé en fines rondelles les pommes de terre. J'ai préparé le gratin.

    Il avait dit : « on arrivera vers midi ». J'ai tout enfourné à dix heures et demi.
    J'ai mis ma nappe brodée sur la nappe en plastique. J'ai frotté les verres et la lumière dansait sur leurs flancs. Félix est descendu à la cave chercher du Mercurey.

    A onze heures, tout était fin prêt. J'ai virevolté et tourné dans la maison. Rien ne clochait, c'était tout beau.
    C'était parfait même, je trouvais.
    Ils sont arrivés à deux heures et demie. Je transpirais sous les bras d'appréhension.
    Ma belle fille avait les yeux rouges et a dit un bonjour si bas que j'ai cru qu'elle avait mal à la gorge.
    Mon fils a dit :
    « Ca sent le brûlé »
    « Oui c'est le gigot qui a eu chaud »
    « Pas grave maman, on s'est arrêté au restaurant en route »

    Félix a dit :
    « T'as pas un téléphone portable pour nous prévenir »
    Mon garçon a répondu sèchement
    « Tu vas pas commencer Papa »

    Et là Félix il a dit d'un ton dur :
    « Tu vois pas que la table est mise, que ta mère a tout préparé, que vous deviez arriver pour le repas, tu te fous de nous ! »

    Tout a dérapé. Ma belle fille est sortie et mon garçon a hurlé :
    « Vous faites chier, on se voit jamais, et quand on arrive, vous râlez, on vient de se taper les bouchons à Paris, trois heures de route et pour une bouffe au resto vous en faites une maladie, si c'est pour se faire engueuler on se casse ».

    Ils sont montés dans leur grosse voiture et voilà, ils sont partis.
    Mon grand fils aux yeux de cristal, cet homme que je ne comprends plus, il a pas eu le temps de sentir le muguet qui embaumait dans la petite chambre.

    Depuis la boule dans ma gorge me gêne pour avaler.
    Il reste du gigot pour quelques jours et j'ai pas faim.
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    Message par Invité Mar 3 Mai - 18:18

    Pauv' gamin qu'a dû se taper toute la route du retour.
    Et le gigot qui peut plus courir...
    C'est dieu pas une vie, ça !
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    Message par Maria Mar 3 Mai - 18:46

    Bonjour Mesdames,

    Comme je vous comprends Vovonne... mais quoi vous dire ? Que je compatis, que nos enfants nous arrachent le coeur, que c'est par eux que l'on a les plus grands bonheurs et les plus grands malheurs..

    Je me suis tue depuis quelques semaines, justement je viens de perdre mon fils, mon seul fils.
    Je l'ai aimé autant que j'ai pu le détester... c'est dur de dire cela de son enfant mais que j'ai pu me faire du souci pour lui, et puis toujours à affronter son père, toujours des disputes.

    Je l'ai protégé, trop, j'ai réparé ses bêtises, trop, j'ai pris son parti, trop, je l'ai vu s'enfoncer dans l'alcool, trop, je l'ai vu seul, malheureux, trop et quoique j'ai fait je ne regrette rien.

    Maintenant je suis comme soulagée, je ne devrais pas le dire et pourtant au fond de moi je sais que je partirais plus tranquille, je ne le laisserais pas derrière moi dans la souffrance et la solitude mais quand même... je n'aurais pas imaginé perdre mon enfant, mon petit,

    Maria
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    Message par Invité Mar 3 Mai - 18:49

    Ca me rappelle que nous n'avons toujours pas inauguré le cimetière du village.

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