par Vovonne Mar 22 Fév - 9:41
« S'il te plait, pense à sortir les poubelles » j'ai dit à Félix qui partait rejoindre deux forestiers.
Il est parti pour la journée dans les bois, à la coupe.
J'ai pensé que je lui avais pas dit « Bonne journée » mais, « Sors les poubelles », je me suis peinée toute seule.
Les deux forestiers sont des polonais et tous les bûcherons disent que ce sont des sacrés bosseurs.
Ils abattent du travail comme pas deux, ils abattent les charmes et les chênes de la coupe d'un gros propriétaire
Ils coupent et débardent les grumes à un rythme si rapide que c'est pour ça que Félix va les voir.
C'est un spectacle il paraît.
En deux jours, ils font cent trente cinq stères. Félix, dans le meilleure de sa forme, il faisait cinq stères par jour. Faut dire que lui, il n'avait que des charmes aux troncs fins puisque dans les coupes ont ne prend que les têtes. Les têtes de charme, c'est plein de repousses qu'il faut débarder. C'est dire le temps perdu avant d'empiler plusieurs stères.
Il y a Jerzy et Henryk.
Tout à l'heure Félix revient avec Jerzy pour que la voisine s'en occupe.
Il y a trois jours, la tronconneuse a dérapé au-dessus du genou. Il a été recousu à l'hôpital, quarante agrafes on lui a mis. Il a eu de la chance, c'était presque jusqu'à l'os. Il s'est même pas arrêté de travailler mais il paraît que son pansement coule beaucoup.
La voisine va lui arranger ça. Sa mallette est pleine de poussière, mais j'ai vu, dedans, c'est propre et rempli de matériel.
Nous on n'a pas de plombiers polonais, on a des bûcherons polonais et sont aussi costauds que les nôtres, sauf qu'on n'a plus assez de bûcherons. Ca fait des gens nouveaux et c'est bien. Ils sont déclarés faut pas croire, mais, si ils s'arrêtent de travailler pour une blessure, comme Jerzy, ils perdent trop de sous. Faut se boucher les oreilles quand Joseph, il dit que les polacks envahissent notre région.
Autrefois, avant que le charbon remplace le bois, les bûcherons et les flotteurs vivaient bien.
Par chez nous des villages entiers vivaient du bois et du transport du bois.
Les flotteurs, des solides gaillards, construisaient des trains flottants. Pour aider un flotteur, seul responsable de son train, il avait un jeune garçon qui s'appelait, le petit homme d'arrière.
Pendant quatre siècles, les hommes ont transporté les grumes qui chauffaient presque tout Paris.
La forêt retentissait des bruits des haches, des cris des hommes, les débardeurs, les bûcherons, des grimpeurs, des scieurs de long, les éhouppeurs.
Quand j'étais petite, il y avait encore du travail, les gens avait besoin du bois.
Maintenant il ne reste que des exploitations forestières qui vivotent mais sont bien utiles.
Ca fait des chemins de promenade et comme les bûcherons laissent les branchages, ça, on les appelle des rémanents que plus personne ne ramasse, ça fait du bon humus qui sent bon et on trouve beaucoup de ceps et de girolles.
Les rémanents, nous, gamins on connaissait même pas le mot.
On faisait comme l'histoire du petit Poucet, on allait en forêt et on ramassait les branchettes et les branchages, on liait les fagots et on portait avec une corde sur notre dos et on rentrait à la ferme.
On faisait ce travail après l'école, au printemps et en automne.
J'aimais beaucoup regarder le père d'Adrien. Il était grimpeur. Il avait deux semelles d'acier avec des griffes accrochées sur ces souliers, comme des crocs et qui tenaient avec des lanières de cuir et il montait très vite au sommet de l'arbre en plantant ces griffes dans le tronc. Il était agile comme un écureuil.
Après, il éhouppait le sommet de l'arbre pour garder une grume de bonne qualité.
La tête près du ciel faisait qu'il était plein de bonté pour tout le monde.
Il avait de la chance Adrien.
Je devais rester loin des bûcherons, c'était dangereux et c'est ce danger que j'aimais.
Quand le tronc était saigné à la hache, une entaille profonde bien calculée pour la chute de l'arbre, je courrais me canfouiner parce que c'était interdit aux petits.
Le chêne tremblait, frissonnait, et tombait en pleurant et en criant. J'avais du chagrin pour lui parce que sa vie d'arbre était fini. Le sol vibrait et l'arbre parfois sursautait et faisait ces derniers rebonds.
Maintenant les abatteuses et les tronçonneuses font un tel boucan qu'on entend presque plus le dernier craquement de l'arbre.
L'air est si clair, si bleu qu'on dirait le printemps, alors, je vais faire un tour dans le village et je vais rapporter le livre à la voisine qui n'en a pas acheté de nouveaux parce qu'est venu le temps des finitions du premier étage de leur maison et que du matin jusqu'au soir, ils sont occupés.
On a mangé chez eux l'autre jour et la voisine, elle avait fait un poulet arrouëlé à l'indienne. J'ai trouvé que c'était bon et que ça piquait pas beaucoup mais Félix, il a été bien malheureux et que, même si il est bien poli, il a pas pu tout manger.
J'aurais bien aimé voir la réaction des poules à qui on donne tous les restes. Peut-être qu'elles claquaient du bec avec le piquant des épices, toutes ébarlutées et secouaient leurs ailes qui servent à rien.
J'ai pas vu, c'est pas moi qui donne les restes de nourriture aux poules de Willy.
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