Vovonne

Vite, vite, il est déjà 9 h et je pars préparer les jambons à embrocher pour les rôtir.L'immense trou est creusé. Aujourd'hui c'est la finale du championnat de France des labours et c'est chez nous.

Hier on a installé les tables sous les chênes qui bordent les terres de Willy. Les jeunes ont apporté les 16 fûts de bière et on a prévu 70 kg de frites. On les a pris chez Aldi, elles sont grasses mais tant pis, c'était moins cher que chez Atac. Les tables sont installées, les bancs aussi, il fait très beau.

Ouhlala, je file.

Ah oui, j'ai appris ça : ;D - lol- ^^ ça veut dire qu'on est content.

Mon Félix n'est pas très fringuant en ce moment mais ça fait des mois que je ne le sens pas en forme, en fait depuis l'accident avec le sanglier.
Il dort encore et c'est moi qui fait glouglouter la cafetière, j'écoute -le jour tout neuf- à la radio et quand le café noircit mon grand bol jaune je m'assois sur le perron pour écouter le matin.
Fait déjà très froid le matin et les hirondelles apprennent déjà à s'installer sur le fil du départ.

Y'a pas meilleure heure que l'heure mouillée de l'aube.
Avant j'allais voir mon grand lapin des Flandres. Mes clapiers sont de nouveau remplis de lapins, je m'occupe d'eux mais c'est plus pareil. Des portées de lapereaux s’agglutinent derrière le grillage et les mères sont avachies au fond. Mon plus gros lapin pèse sept kilos et un hollandais vient le chercher tout à l'heure. Faut que je pense à lui garder le sang, c'est pas souvent que les gens en veulent.
J'arrondis ma retraite, c'est pour ça.

J'ai passé un été désagréable et j'ai tenté de l'arrouëller de bonne humeur en pure perte.
Je suis une optimiste bon teint mais mon teint est brouillé de crachotements et claquements.

En premier mon dentier.
Dès que je le sors du verre, je le brosse et tout frais je le mets dans ma bouche et après, c'est plus fort que moi, d'un coup de langue je le déloge de la gencive. Ça fait clouich-clouich et j'aime bien. C'est un tic et Félix m'a dit de faire quelque chose parce que ça l'énerve d'entendre ce bruit permanent.
J'ai acheté du polydent chez Atac et je mets la pâte rose dans la gouttière du dentier. Pour sûr, ça adhère. Je suis tenace et, vers midi, ma langue agile réussit à décoller le dentier. Ça fait des grands fils roses collants qui dégaîllent sur les lèvres.
Alors, je laisse tremper la salade dans l'évier et file à la salle de bain parce que, mon Félix, je le respecte.

En deuxième, c'est notre gouvernement qui me brouille l'humeur.
Il est trop büyon c'est pour ça.
Et être büyon c'est pas normal.
Moi, ça me fait pas plaisir d'avoir honte de notre président tout mou. Avant, l'autre, il bougeait beaucoup et j'avais le vertige mais celui-là, il prend les gens pour des idiots, il rezipe les oeillots d'un air tout étonné et il dit qu'il nous dit la vérité, que oui il y a une grosse crise. Merci bien, je savais pas.
Et même qu'il va faire des emplois d'avenir quand les jeunes comme Gwendoline ils veulent des emplois de maintenant.
Tout le monde dit que c'est lui le chef mais faut pas me la raconter quand je vois que chez lui, c'est les femmes qui portent la culotte, y peut pas dire que c'est lui qui décide. On n'a pas élu ses femmes quand même. Je crois qu'il a perdu le bon sens dans ses grandes études.

Et en troisième, c'est la voisine mais j'écrirai demain parce que si j'écris beaucoup, j'écris comme un couessot. Et après même que c'est moi qui comprends plus rien à ce que j'écris.

Cette nuit, je ne dormais pas. Quand j'en ai eu assez de ma tête qui agitait des idées décousues, je suis allée m’asseoir sur le perron. La lune flottait et ressemblait à mon plat rond en porcelaine, celui dont les dessins bleus s'effaçait.

J'ai posé mon menton sur mes genoux, j'ai pensé que j'étais encore souple.

J'ai pensé à mon village endormi, à Pierrot qui était passé hier soir et à son regard où les verres de blanc s'entrechoquaient.
J'ai pensé aux mois qui s'empilent si vite que la pile menace de se casser la figure. J'ai pensé à mes fils que je connais si mal.
J'ai tortillé une mèche grise qui frisotte sur ma tempe et qui rebique toujours et j'ai pensé à notre président qui est comme une bouteille d'orangina -secouez-moi-secouez-moi.
J'ai pensé aux rom dont personne ne voulait nulle part et aux artisses Bedos, Balasko, Béart les 3 B qui avaient été en colère sous l'autre gouvernement et qu'on entendait plus maintenant.

J'ai pensé à mon pays et à tous ces gens qui ont perdu la mémoire comme ma voisine de plus en plus souvent.

Et je me suis dit que ma vie avait été une vie difficile mais que jamais Félix et moi n'avons laissé quelqu'un avoir faim ou peur et que tant de gens avaient cassé la croûte dans ma salle que la toile cirée s'en souvient et que le pouvoir c'est du pus dans une plaie, c'est jamais bon.

Ce qui est bon c'est ouvrir les yeux le matin et caler mon ventre contre le dos chaud de Félix et regarder le doigt noir et pointu de l'aiguille du réveil me dire qu'il est 6 h et que j'ai une immense journée devant moi.
Ca c'est bon.

Ce qui est bon, c'est de te relire à nouveau, Vovonne.

Félix, il m'a dit : « Et voilà, t'es encore intoxiquée avec ton ordinateur tout plat ». Mais c'est pas vrai, c'est juste que c'est amusant d'appuyer sur des touches qui font un clic si léger qu'on dirait que je fredonne une chanson. Je me suis promis quand même de ne pas trop rester longtemps, surtout qu'il faut que je prépare notre valise parce que, avec le club, on part à Limoges. Ca dure deux jours et ça a coûté 70 euros pour chacun, c'est pas cher avec le voyage en bus, la nuit à l'hôtel, les visites et les repas. En quelques lapins, c'est payé.

J'ai entendu parler d'un nouveau langage.
Comment je vais réussir à comprendre, déjà que je sais pas beaucoup de mots dans ma langue. Dans le journal ils disent que ça s'appelle la novlangue.
Ils donnent des exemples : ascenseur social. Bon, je sais qu'un ascenseur, c'est pour monter et social, ben euh, je sais pas exactement ce que ça veut dire. Ils disent pas, zut..
Y'a aussi banque nationale. C'est pas le crédit agricole ma banque patate, c'est une banque chargée de la politique monétaire du pays. Ah, là, j'ai compris, on en parle en ce moment. C'est comme la banque Lazard où les grands, ils sont tous copains mais faut pas le dire.

Pis après, ceux du journal, ils donnent des phrases entières que je recopie pour m'en rappeler et quand les amis de la ville viendront, au repas, quand on parlera de mon cadeau-tablette et de mes progrès d'informatique, je ressortirai certaines phrases et, même si je les comprends pas, eux non plus et ça me donnera l'air très au courant.

« Vous avez tous un login ? Je vous forwarde les slides quand j'aurais un moment »

Quand ça va être l'élection de notre maire, qu'on va tous reprendre le même parce qu'il est gentil, je vais dire pour décider les indécis : « Il faut implementer une stratégie » et quand les caissières d'Atac diront qu'elles en ont marre des heures découpées je dirais que c'est à leur patron « d'incentiver » les employés.
Et le dernier exemple pour dire que les gens consomment de plus en plus c'est «  le willingness to pay » mais ça je dirai pas parce que c'est de l'anglais et personne ne me croira parce que j'ai jamais fait d'anglais à l'école.

Et pourtant nous vivons tous ensemble, alors si on se comprend pas ça va être difficile.

Cet été, je disais à mon petit-fils qui faisait un foin pas croyable avec une crécelle en bois qu'il a trouvé dans une malle au grenier : « arrête ce tohu-bohu ». Il a rezzipé des oeillots et dit en levant les yeux au ciel comme un mal élevé « Mamie, parle pas patois, on comprend rien ».
Mince alors !

Ben moi la novlangue j'y comprends rien, je préfère le patois !

C'est marrant, Vovonne j'y ai pensé il y a quelques jours sur un bout de sentier, et là: surprise!

Je rattrape mon retard de lecture bientot, promis!!

Nous les agriculteurs si nos ancêtres étaient des rouges pour lutter contre les curés et l'ignorance, ils nous ont laissé comme héritage l'idée que nous n'avons de propriété que nos bras.

Maintenant dans mon village et même dans ma commune, on ne s'habille pas en rose parce qu'on peut pas croire ceux qui ne nous parlent jamais.
Il y a des silences qui séparent et c'est comme ça.
Félix, il dit que je vais me faire des aigreurs d'estomac à me faire du souci pour les enfants et petits-enfants, mais je sais pas retenir ma nature, j'ai le bouëlle qui se noue comme un rien.

Je vois bien que les gens ne pensent qu'à se regarder le rambillot. Mes sous, mon pouvoir d'achat, mes allocations, mes droits, oh que c'est fatiguant.
Faudrait rajouter le principe de précaution, celui-là, on peut plus y couper.
Par chez nous, il existe encore pas beaucoup, y'a qu'à voir le tintamarre des bancs de scie au village depuis trois jours. En maillot de corps et sans gant, les hommes fendent les bûches, la sueur brille sur les torses cirés comme des souliers et le mot sécurité fait bien ricaner.
Nous, c'est Willy qu'est au banc de scie et Félix aligne les bûches sous le hangar depuis ce matin.
Cette année, je range pas le bois, je me ménage faut dire.

Il paraît qu'on va remettre la morale à l'école, sauf que ça s'appelle morale laïque.
Et bé, j'ai même entendu un homme politique qui parlait de redressement moral. Déjà qu'il y a un redressement productif, on va se redresser bien droit et mieux que mon dos.
Moi je dis que si on est dans un pays laïc, on doit protéger tous les gens mais pas leur imposer une morale d'état.
La morale c'est écrire au tableau des phrases comme quand j'étais meniot comme « je serai attentif et j'écouterai le maître », ou « personne ne croit plus le menteur même quand il dit la vérité », des phrases comme ça.
L'école, c'est pas pour faire des citoyens qui pensent tous pareils, c'est fait pour fabriquer des gens qui peuvent penser et écrire librement même si comme moi, ils ont une syntaxe approximative. C'est un mot nouveau -syntaxe- que je viens d'apprendre hier. Alors je l'écrit.

Que ça m'énerve tout ça.

Je vais ramasser les noisettes et faut vraiment que j'y aille parce que depuis des jours, Félix détourne les écureuils en leur posant des noix sur le muret mais les malins vont vite voir que les avelines sont à point.
Les haies plessées ont donné beaucoup de fruits cette année. J'ai vu tout à l'heure que les trochets se détachaient facilement et j'aurai vite un beau panier.
Ca me fait idée d'aller avec ma récolte chez la voisine et avec elle, au soleil, on détachera les involucres en bavardant de tout est de rien.
De riens surtout que je m'en réjouis déjà.

Aujourd'hui, je croque un tout petit bout dans ma tablette, j'ai pas le temps de rester.

M'est arrivé une tuile. On prépare notre brocante de l'année et je m'occupe de la tombola où tous les tickets sont gagnants. J'ai fait deux cents enveloppes avec un numéro et, catastrophe, le numéro zéro, celui du gros lot qu'est le panier garni est dans le tas alors que je devais le garder à portée de main pour être sure qu'il soit choisi.
J'ai plus qu'à recommencer mes enveloppes, c'est une vraie barbe.

Joseph m'a fait rire ce matin. On buvait le café et on parlait politique et conseil municipal qu'est mercredi comme celui des ministres. Et il me dit qu'on va point en chevir facilement parce que notre gouvernement il est comme nos arbres.
Ah bon que je lui réponds et il repart de plus belle :" T'as vu nos chênes ? "
"Sûr, ils sont beaux"
"Oui mais sont remplis de glands."

Ohohoh, j'ai ri la main devant la bouche parce que ma langue avait encore fait son ravage décolleur sur mon dentier.
Et il a repris les yeux plissés de rire.
"Et tu sais que la rose sera plus l'emblème ?"
"Non je sais pas"
"Si, si, c'est le muguet, parce que c'est la seule fleur avec autant de cloches."

Et puis reprenant son sérieux il a rajouté : « Maintenant qu'ils ont  le daré cont ' la mèreille ...vont peut-être bouger ».

C'est comme ça dans mon village, on rit.

Voulez-vous que je vous dise
Eh bien moi, je l'aime bien cette Vovonne !

Parce qu’elle n'a pas la langue, euh... Je veux dire les mains (pleines de doigts) dans ses poches !!!
Et que sa gouaille vous revigore !

Et aussi et surtout parce que...
Sa belle et truculente prose redonne des couleurs, c’est-à-dire tout simplement... La vie ! à cette rubrique "Le coin des invités" qui était tristement retombée dans un oubli poussiéreux après la singulière mais furtive visite des quatre bien étranges Mousqueteros !

La "Prof-Mairesse" ne s’y est pas trompée d’ailleurs !
Puisqu’elle n’a pas encore froncé les sourcils, ni haussé le ton !!!

C'est pas le tout de tapoter sur ma tablette avec le soleil qui traine sur ma toile cirée et sur l'écran que je vois pas ce que je tape, faut que je fasse mon manger.
Félix a ramassé une courgette si énorme qu'on dirait un gourdin pour géant. J'm'en vais la farcir avec la farce du cochon de cet hiver. Fait en cinq minutes et cuit en deux heures.
Comme ça quand Gwendoline arrive avec son meniot qu'à les yeux vides, on pourra passer à table et moi, j'aurais pu écrire un long moment.
Parfois, j'en ai assez de faire le manger. Et le potager me sort par les yeux. Il est si généreux qu'heureusement qu'au village y'en a qui n'en font plus, des potagers, on peut distribuer ce trop plein de salades, de courgettes, de haricots.

Je reviens de la souillarde et j'ai compté : 33 bocaux de coulis de tomates, 42 bocaux de haricots, 40 de petits pois et sur le séchoir, y'a un tapis d’échalotes et d'oignons.
Moi, j'ai dit à Félix que l'année prochaine je voulais plus qu'on fasse des oignons et des échalotes. Des heures que j'ai passé assise dans mon fauteuil en plastique fendu à écorcer la pelure et les tiges d’échalotes et d'oignons. Et des heures, même des jours à sentir sur ma peau l'odeur d'oignons. Même ma sueur elle sentait pour dire. J'en ai assez voilà, je lui ai dit. On achètera chez Atac un point c'est tout.

Y'a que les écolos pour dire que ça a un meilleur goût. Ils sont trop sots ceux là. On voit bien que c'est pas eux qu'ont étendu le tombereau de fumier.
Eux, ils disent qu'ils sont pour le développement durable et que c'est pour ça qu'ils roulent en vélo électrique. Si, si, j'ai entendu à France-Inter hier. Et ta batterie jeune fille, Tu la recharges avec quoi? De l'électricité qui vient du bois ? Le bois c'est pas une filière d'avenir, on le voit bien par chez nous.
Et en plus, j'ai lu chez le dentiste où que j'ai attendu longtemps, que les batteries et les machins photolaïcs que tout le monde met sur les toits, ça faisait mourir les campagnes et les rivières des chinois.

Moi je trouve que les gens de la ville, ils sont pas regardants sur ce que vivent les gens de la campagne. Presqu'on se ferait réprimander parce que le bord des routes il est pas tondu comme ils voudraient quand ils arrivent en vacances pour respirer notre air.
Déjà qui paraît qu'ils veulent interdire d'aller chasser le dimanche pour leur permettre de faire du vélo nucléaire comme y dit Félix. C'est quand même chez nous, mince alors.

Que ça m'agace tout ça.

Comme ces achélèmes qui vont se construire, ça aussi c'est pas bon. Les gens y rêvent d'avoir leur maison ou leur appartement à eux pour de vrai, c'est là qui faut qu'on les aide. J'ai aussi entendu les écolos, encore eux, qui disaient que quand on était propriétaire et qu'on avait plus de crédits à payer, notre maison représentaient un loyer fictif et qu'il faudrait la taxer.

Mon estomac qui va déjà pas bien en ce moment il s'est serré comme une pince dans mon ventre.
Didiou, faudrait pas qu'ils viennent me taxer ma ferme où qu'on a sué toute notre vie.

La journée s'étire comme un jour sans pain. Ça veut dire que c'est très long, parce que, un jour sans pain, je sais ce que c'est. Je vais pas re écrire ma vie d'enfant, je la connais trop bien et le changement c'est maintenant. Faut pas s'assoupir sur le passé et j'ai pas peur de dire que pour moi, le changement, c'est la vieillesse.

Je suis une vieille et faut me parler gentil et avec référence.
Y'a que moi pour me moquer de moi.

Vieille mais moderne. J'ai commandé dans le catalogue Daxon une robe en imitation satin avec des coquelicots épanouis sur fond jaune pâle. Elle a des fronces à la taille et elle tombe si bien qu'on voit pas le bourrelet du ventre.
La voisine, elle m'a dit l'autre jour : « Vovonne tu es bien élégante,tu ressembles à un pré ». Je sais pas exactement si c'était un compliment mais elle l'a dit avec un sourire si large que j'étais toute contente.

C'est vrai, au fond, je suis une coquette et j'aime bien sentir bon. Je mets ma crème nivea, la grosse boîte bleue qui me sert pour tout le corps, je mets du parfum derrière mes oreilles et au pli du coude.

Le bleu, ça joue des tours parfois.
J'avais acheté un shampoing pour cheveux blancs. Le produit, il est bleu et c'est écrit qu'il faut l'utiliser une fois sur deux et que s'il reste des traces bleues sur les mains, il faut rincer soigneusement. J'ai bien tout fait comme ils disent et même en rinçant soigneusement, le bleu il est resté sur la peau du crâne et comme j'ai plus beaucoup de cheveux, ça se voit. C'est pas de chance et je lave tous les jours et c'est pas encore parti.

Félix il en pleurait de rire et c'était tellement bon de le voir rire si fort que j'ai ri avec lui. Tellement ri que j'ai eu des fuites. J'ai mis ma main entre les jambes pour contenir le flot et on a redoublé de rires.
Nos rires s'enroulaient dans la salle, se heurtaient à nos garçons dans leur cadre sur le manteau de la cheminée, s'échappaient par la porte, glissaient sur le perron qu'ombrait le soir.
Félix est allé cherché à la cave une bouteille de Crémant, j'ai sorti les flûtes de notre mariage et encore secoués de grelots de joie on a bu toute la bouteille assis à la table comme des vieux amoureux.

C'est si bon d'être vieux ensemble.

Vovonne a écrit: Vieille mais moderne. J'ai commandé dans le catalogue Daxon une robe en imitation satin avec des coquelicots épanouis sur fond jaune pâle. Elle a des fronces à la taille et elle tombe si bien qu'on voit pas le bourrelet du ventre.

Bonjour Vovonne,

je viens de feuilleter le catalogue Daxon et je n'ai pas vu ta robe. C'est à quelle page ?
Ne me dis pas que c'est dans le catalogue été, la poubelle jaune a été ramassée hier.

Quand on a mangé, avec Félix on écoute le jeu des mille euros.
J'ai pas manqué beaucoup d'émissions. Autrefois, c'était Lucien Jeunesse mais y'avait eu aussi Roger Lanzac que je trouvais qu'il avait l'air épuisé avec ses grosses poches sous les yeux, qui présentait le jeu.

Ca s'appelait au début, -cent mille francs par jour-, c'était une somme ! Pis après , -jeu des mille nouveaux francs-, qu'on aurait dit que c'était moins de sous et encore après jeu des mille francs et maintenant -jeu des mille euros-.

Il y a deux ans, l'émission c'était à côté de chez nous, le bourg qu'était, avant, le centre de la zone euro.
J'y suis allée pour voir et c'est comme ça que j'ai fait la sélection. J'ai réussi mais faut dire que c'est facile la sélection. Après, je me suis retrouvée sur l'estrade de la salle des fêtes avec un monsieur de Paris qu'était en vacances chez sa sœur et que j'ai trouvé tellement sûr de lui que je me suis sentie timide.

Quand Nicolas Stoufflet il m'a dit : Et vous Madame Vovonne avez vous une ou des passions, j'ai eu un blanc et j'ai dit « euhhh oui, mon lapin des Flandres » Les gens, ils ont ri.
J'ai pas pu ouvrir la bouche pour répondre aux questions. Le parisien, même sans me regarder il répondait à toute vitesse. A la question rouge qu'était « à quelle province se rattache les îles féroé ? » il a dit comme une mitraillette « au Québec ». Comme c'était la deuxième fois que la question était posée, que la première on avait pas eu le temps,et que j'osais pas dire, on a perdu.
J'étais mécontente parce que je savais que c'était rattaché au Danemark, j'avais vu à la télévision une émission dessus juste la semaine d'avant.
On a eu le repêchage et c'est moi qu'a reconnu la chanteuse. Annie Cordy, trop facile.
Et pis au banco, pfuit, on a perdu.
J'ai gagné, un dictionnaire et un baladeur qui ont jamais trouvé où que j'habitais et qui se balade encore quelque part, mais c'est pas grave.
J'ai eu un moment de gloire et c'est facile de comprendre pourquoi les gens ils veulent être sur le devant de la scène.
En tout cas, le Nicolas, il a une haleine qui sent le vieux poisson comme celle des gens qui digèrent pas bien. Il est très aimable et poli et c'est important quand même pour une émission comme ça.
J'ai pensé à lui dire de croquer du persil, que c'est souverain, mais j'ai pas osé.

Euh, euh, euh, je n'arrive pas à mettre la main sur mon agenda.
L'agenda, c'est mon pense-bête, je marque tout dessus, Noël, Pâques, les anniversaires, les rendez-vous chez le dentiste, chez la pédicure, chez la coiffeuse, la date pour payer les impôts, même qu'on vient de recevoir les impôts fonciers, la date du conseil municipal, les réunions du comité des fêtes.
Je marque tout et c'est l'agenda mon guide.

Euh, euh, mon agenda c'est pas un vrai, noir comme un carnet important. C'est le calendrier des pompiers avec des photos d'homme en uniforme qu'ont des casques qui brillent et qui éteignent des grandes flammes orange.
Fabrice, le capitaine des pompiers qui passe avec un copain chaque année va sûrement pas nous proposer celui pour dans deux ans et ça c'est bête, j'aurais pu écrire les dates limites des impôts en avance et même marquer que le 9 septembre il fera nuit plus tôt à Paris que chez nous.
Parce que hier, c'est bizarre, on regardait les informations en direct et, faisait nuit déjà à Paris.
Je crois que c'était une éclipse et qu'on a oublié de nous prévenir.

Après les informations, Félix, il a fait une expérience.
Il a pris mon grand vase où je mets les glaïeuls en plastique, que l'hiver, ça fait une touche de couleur dans ma salle. Il m'a dit : « ça, c'est les sous de l'état, tu vois c'est vide »
Et pis, il a pris deux pots de confitures vides qu'il a rempli à ras bord d'eau : « ça c'est les riches » et ensuite il a pris la pile des gobelets à café en plastique qui restait de la fête des labours, il les a rempli d'eau, 50 gobelets : « ça c'est nous »
Euh, euh, euh, j'ai bien vu que les deux pots de confiture ne remplissaient même pas un quart mon grand vase et j'ai bien vu que les gobelets remplissaient presque le vase.
C'est là que j'ai compris ce qu'il dit Joseph : « les politiques, y disent -votre argent on le partage et le nôtre, on le garde ».

Je suis pas très contente aujourd'hui.
D'ailleurs, je ferme ma jolie tablette toute neuve et je vais chercher mon agenda.
Maintenant je suis devenue une Vovonne de combat et plus une Vovonne normale.
Y'a pas de raison que ça soit réserver à une personne.

Je gueurgine, je geurgine, c'est sûr.

Ouhlala, j'ai presque laissé filer ma journée sans tapoter, je me suis ressaisie et me voilà, la tablette ouverte.

Chaque fois, quand j'écris tablette, je pense au chocolat. D'ailleurs, en parlant de chocolat, mon chocolat noir préféré que j'achète à Atac n'a plus de papier aluminium dedans. Pas que j'aime tant que ça les habitudes, mais j'aimais bien le bruit de son petit papier argenté que j'ai toujours froissé. Le goût est le même, heureusement et le prix, malheureusement il a augmenté, comme l'essence aujourd'hui d'ailleurs. On devrait bloquer le prix du chocolat, c'est quand même un élément de réconfort mieux que les médicaments pour pas être triste que les gens prennent beaucoup.

Tout à l'heure, à la radio, y'avait une réclame pour une assurance santé. La personne parlait à toute vitesse et j'ai pensé qu'elle parlait comme la ministre du logement. Vite, vite, comme si elle avait peur qu'on lui coupe la parole. Je crois pas que ce soit possible. Cette jeune femme a beaucoup d'énergie et on voit bien qu'elle fume pas ce qu'elle propose de rendre légal.
Moi, je la trouve pas élégante. Elle fait pas soignée. Ses cheveux, ils sont tout en vrac même si ils sont longs. Je crois bien qu'elle veut nous montrer qu'elle est une jeune femme moderne qui se moque des apparences. Juste, que j'aimerais pas être sa fille. Parce que sa fille, à l'école, elle va pas rire de s'appeler Térébenthine. C'est ça l'essence de la modernitude.

Je lui en veux pas, faut pas croire, Mr Giscard D'Estaing avait bien son pot de fleur aussi avec Anémone et Valériane. Valériane, ça fait dormir, comme l'herbe de la ministre d'ailleurs, alors, hein, j'en veux à personne.
Enfin, comme ministre du logement, elle est pas très à l'aise et je comprends. Elle peut pas dire : « Faut des yourtes pour tout le monde », ça fait pas sérieux.

Elle, elle propose des terrains, gratuits ou presque à ses copains, promoteurs immobiliers pour qu'ils préparent les valises de sa prochaine campagne électorale. Mais, bon, c'est mal parti, parce qu'ils ont dit, dans le poste que beaucoup de terrains sont déjà vendus. Elle est désappointée mais je la comprends, c'est encore ceux d'avant qu'avaient pas mis les fichiers à jour. Pourtant, on change pas tous les fonctionnaires ministériels à chaque élection, enfin j'imagine.
C'est bizarre.

Et voilà, j'ai écrit un petit moment, ça délasse bien. Je m'en vais récurer les clapiers avant la pluie.
Y'a un jeune lapereau, je l'ai appelé Désir. C'est drôle hein. Pas Jean-Philippe Désir, Désir tout court, c'est un beau nom. J'écrirai dessus demain.

Je suis ébouriffée d'énervement. Ébouriffée c'est façon de dire parce que mes cheveux ressemblent à ma balayette en poils de nylon bleu.
Je vais raccrocher ma marmite dans la cheminée et nous éclairer avec les bougies, ça nous fera des économies. J'en ai assez des augmentations de tout sauf de notre retraite.

Et pendant qu'on nous prépare des hausses, là-haut, dans des bureaux douillets, pour faire passer la pilule et qu'on n'y pense pas, on ressort le mariage entre deux hommes ou entre deux femmes.
Ca occupe les gens, ca coûte pas un sou et après on fera des commissions sur la fin de vie.
C'est très important ce sujet, les vieux, ça coûte une fortune et ca rapporte rien. Mais on fera après.

En plus le mariage pour tous, ça ouvre une sorte d'économie parce qu'on pourra inventer des marchés d'enfants. Choisir sur catalogue comme la redoute ou daxon. Et ça s'appellera agence d'adoption. Le commerce ça s'appelle. Tu veux un enfant de quelle couleur ?, Tu veux une fille ou un garçon ? Tu veux un bébé ou déjà un grand qui fait plus caca dans la couche ?
La voisine, elle dit qu'un enfant se définit par le sexe de ses parents et pas par la sexualité de ceux-ci. C'est un peu compliqué mais je crois que j'ai compris.

Bref, j'avais dit que je parlerais aujourd'hui de Désir. Pas l'homme exemplaire maintenant à la tête d'un parti. Celui-là, il est très beau, presque comme Obama. Il touche pas à ses potes, il a juste fait croire qu'il avait un travail qu'était de s'occuper d'eux. Un travail-semblant. Je crois que la justice a sévi mais c'est pas grave, c'était il y a longtemps. C'est pas de la cht'titeté ce que je dis.

Non, non, mon lapereau remplace dans mon cœur mon grand lapin des Flandres. Il a des longues oreilles qui pendent, toutes soyeuses et des yeux dorés. Son nez remue à une vitesse folle et je sais que ce lapin là il passera pas dans la casserole. Je vais l'apprivoiser avec des carottes, parce que le bâton, c'est pas pratique à utiliser dans le clapier. Tout en douceur, j'aime bien.
Celui-là, je sens qu'il va me rapporter gros et j'ai pas envie qu'il s'évade.

(..) parce que mes cheveux ressemblent à ma balayette en poils de nylon bleu.

Surtout s'ils en ont encore la couleur!


Lilie

Depuis ce matin, ça cheuille comme vache qui pisse.
Un plaisir pour la terre qu' en pouvait plus de craqueler. Même la rivière qu'était devenue un ruisseau boueux. Même qui fallait remplir les baignoires dans les prés avec l'eau des puits.
Le ciel est tellement bas que je suis contente d'être petite, les nuages sont si treuffiât que je pourrais m'y cogner.

L'eau du ciel, c'est un bonheur et en plus ça coûte rien. Pas comme la facture d'eau. Nous c'est écrit eau potable et avec la facture, on nous donne une petite feuille où c'est écrit de ne pas consommer à cause de l'arsenic.
On sait, puisque faut acheter la cristalline chez atac toutes les semaines.

A la montagne, dans les villages, sur les fontaines y'a des petites plaques et dessus, on lit : eau potable ou bien au non potable.
Au certificat d'études, j'ai appris que potable, ça veut dire qu'on peut boire.
Pas besoin d'avoir la lumière à tous les étages pour comprendre qu'on nous fait payer de l'eau potable qu'est pas potable. C'est de la taxe malhonnête, je dis.

Comme celle qui vient de sortir pour la bière. Ici, on boit de la gnôle et je pourrais dire qu'on s'en fiche. Ben non, pas du tout. Parce que, c'est qui qui boit le plus de la bière ? Pas les riches déjà.
C'est les gens modestes qui regardent le foot et ceux qui travaillent dans les usines, pour se reposer le soir sur leur banquette devant la télévision. Et les jeunes aussi parce que c'est pas cher. Les agriculteurs en général, y boivent du vin, notre piquette souvent parce qu'on a une treille ou un petit bout de vigne.

Comme ça, en augmentant les taxes de la bière et celle des cigarettes, ça va gêner que ceux qu'ont pas beaucoup de sous. Je suis bien sure que si on demande à quelqu'un du gouvernement combien coûte une bière qu'on achète au magasin, il serait pas. Ca veut dire qu'il est sobre, je pense.
Et si c'est le prix d'une baguette, il sait pas non plus. Ca veut dire qu'il mange des biscottes.

Parce que j'écoute bien tous les jours et on nous dit qu'ils vont tout faire pour qu'on soit heureux dans cinq ans, que c'est écrit dans l'agenda.
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Ah oui, je rajoute tout de suite l'énigme que j'ai entendu au jeu des mille euros et que je savais pas. C'était la question rouge. Je mets que la question parce que maintenant que je sais la réponse, c'est impossible de l'oublier.

Quelle est la particularité des mois qui commence un dimanche ?
C'est tellement bizarre que depuis que je sais, j'ai posé la question à tous ceux du village, y savaient pas.
Maintenant, y savent.

Quelle est la particularité des mois qui commence un dimanche ?
C'est tellement bizarre que depuis que je sais, j'ai posé la question à tous ceux du village, y savaient pas.
Maintenant, y savent.

Si on sait, on gagne un fer à cheval ou un trèfle à 4 feuilles ?

...ou un ticket gagnant à l'euromillions ? (hé ! Lahaut ! viens jouer par ici !! )

moi je sais, moi je sais!

moi aussi je sais !!!

c'est qu'il y a un vendredi 13 dans le mois

c'est qu'il y a un vendredi 13 dans le mois

J'aurais dit mois a 29 jours, mais pas possible, trop rares.

Lilie

La voisine, elle me dit d'arrêter de m'agiter le bulbe. Comme si j'étais une tulipe, elle m'agace quand elle fait la dame calme. On voit bien qu'elle se fiche de tout ce qui se passe dans notre pays du moment qu'elle est tranquille dans le village.
Mais moi, je suis pas comme ça d'abord.

Même si je dis que je suis une Vovonne de combat, tout au fond je reste la Vovonne normale.
Je suis normale avec des amis normaux. Même si j'enfile le matin mon ticheurte de marin à rayures, c'est pas pour ça que je deviens bretonne. L'habit ça fait pas le moine mais c'est pas pour ça qu'il faut s'habiller comme un sac, je dis.

Y'en a qui sont déconfits d’intérêt et c'est pas l'hasard seulement qui fait ça. Les gens y veulent pas écouter, ils veulent qu'on les écoute. Par exemple, si je dis à Félix, je pars faire les commissions, je reviens avec des choses et même des idées de menus pour le repas.
D'ailleurs, j'y vais de ce pas parce qu'aujourd'hui, je fais la cuisine : pigeon farci à l'oseille et un dessert sublime, du flan aux fraises des bois.