Une petite balade rafraichissante aujourd'hui...Peut-être mon extrait préféré...En canot
A une centaine de kilomètres au nord-ouest de Montréal, nous sommes partis à la rencontre de l’identité profonde du Québec, au Parc du Mont Tremblant. Nous avons troqué là véhicule, bagages et papiers contre trois canots qui devaient nous permettre de vaincre en trois jours la rivière de La Diable, loin de toute civilisation, en pleine nature sauvage.
Il est très difficile de décrire l’expérience.
Raconter les événements de notre expédition ne pourrait faire sourire que ceux qui y ont participé : descente de rapides, traversée de lac (par vent force au moins 7 !), averse surprise à la montée des tentes, raviolis et guimauves au feu de bois, joutes nautiques, histoires de chaussettes, de kleenex, de bûcheron… simples moments entre amis.
Décrire les paysages rencontrés me semble impossible. Je n’ai pas les mots, je n’ai pas l’art d’écriture d’un Bernard CLAVEL. Au mieux pourrais-je vous joindre quelques photos. Et encore, ces images sont-elles fixes, insonores, inodores et ne rendent pas entièrement les luminosités particulières.
Je me dois d’essayer tout de même…
La Diable est une rivière à l’humeur changeante, se la coulant douce entre ses rives proches, un moment transformée en zone marécageuse. Humeur régulièrement nerveuse offrant des rapides à la longueur, la profondeur et la violence variables. Pleine de surprise, s’ouvrant soudain sur un lac de plusieurs hectares battus par les vents, ou sur des chutes vertigineuses.
Son eau est aux mains d’un peintre jouant de sa palette : tantôt noire, plus souvent dans les verts, vert lagune et vert profond, parfois clairement bleue, un moment violette sous l’effet de la luminosité d’un soleil couchant… Eau plutôt fraîche, pour ne pas dire froide, ailleurs beaucoup plus tempérée et agréable à la baignade.
Les rives sont composées d’une forêt dense d’épinettes ou d’essences multiples, forêt typique d’Amérique du Nord. Ici, une zone couverte de joncs où les maringouins pullulent. Un peu plus loin, une petite plage de sable ou de galets. Vert dominant. Camaïeu de verts, du plus sombre au plus tendre.
Au-delà, peu de lignes pour arrêter le regard : le Québec n’est que très peu montagneux sur son flanc ouest. Au mieux apercevons-nous quelques collines verdoyantes. L’horizon, rarement bleu durant notre séjour, mais chargé de nuées orageuses, se colore régulièrement de gris et violets et vire à l’orange en soirée. La voûte céleste si pure nous a servi de baldaquin durant ces nuits fraîches et courtes.
Une dimension sonore.
Le bruit de nos canots glissant tranquillement à fleur d’eau au rythme irrégulier de nos pagaies. Le chant naturel de la Diable variant au gré de ses humeurs, tendre murmure des eaux langoureuses, clapotis contre les berges, chant guilleret des rapides ou rythme imprimé des flux et reflux maritimes sur le lac.
Le bruissement permanent de la forêt alentour, transformé en grincements et gémissements sous l’orage qui nous envoie une pluie crépitante sur nos capes de pluie et toiles de tentes. Le vent assourdissant durant la traversée du lac.
Les marques de présence des autres êtres vivants de ces bois : vrombissements des quelques maringouins croisés, envols et conversations d’oiseaux de toute espèce, renâclement d’un orignal et course d’un wapiti dérangés par notre arrivée, hurlements nocturnes des loups, frôlements et reniflements des tentes par des visiteurs non identifiés aux pattes de velours…
Les appels d’un canot à l’autre, les rires, le crépitement du feu de bois, le souffle du voisin de tente, l’insistance régulière de la goutte qui perle à la couture du dôme et s’écrase dans la timbale destinée à la recevoir.
Fermez les yeux, respirez profondément.
Fragrances de bois mouillés, de résine, de mousse, de terre. Effluves d’eaux stagnantes. Air vif et pur apporté par le vent. Senteur typique annonciatrice de la pluie qui arrive. Relents de passages animaliers. Odeurs de feu de bois qui imprègnent tous les textiles, fumée généralement âcre et irritante, parfois aux essences très parfumées, après le repas un temps sucré par les guimauves qui fondent. Délicieux fumet qui se dégage de la marmite posée sur le feu… petit goût de brûlé quand la cuisinière a oublié sa surveillance rapprochée. Émanations d’humidité stagnante dans nos sacs, dans les tentes trop rapidement pliées le matin, et doux parfums de chaussettes qui accompagnent nos nuits…
Non, il faut le vivre pour le percevoir dans sa réalité et toute sa magie. Mes mots sont loin d’être à la hauteur de cette beauté offerte à tous les sens.
Je pense que c’est dans ces lieux que l’on comprend la nature profonde du Canada et que l’on commence à appréhender ce qui a façonné son peuple à la culture si particulière. Un peuple empreint de respect devant cette nature immense et sauvage à peine conquise par ses pionniers aventuriers. Cette nature qui dicte sa loi au rythme des saisons, qui ne pardonne pas l’erreur, qui est si belle et forte et pourtant si fragile devant l’instinct d’appropriation et de destruction de l’Homme. Cette nature qu’il faut absolument respecter et protéger.
En guise de conclusion, je reprendrai une phrase qui n’est pas mienne : « Quiconque prétend connaître le Canada sans avoir un jour navigué en canot sur ses lacs, ne dit pas la vérité. »
Simple vérité.