par Vovonne Ven 3 Sep - 17:07
Voilà, c’est la rentrée des classes.
Quand j’étais petite, j’aimais ça.
Ca voulait dire que c’était enfin fini de garder les vaches.
Deux mois à être vachère c’est long quand on est petit. Mon frère, lui, il aimait ça parce qu’on mangeait à notre faim et qu’on coutait rien à notre famille.
C’était les paysans dont on gardait les troupeaux qui nous nourrissaient. On ramassait les troupeaux en passant devant les fermes. Six vaches chez l’un, quatre chez l’autre, dix chez le suivant.
On gardait dans la pâture jusqu’à trente vaches. Quand je gardais les six vaches des Sœurs de St Paul, celles qui avaient des cornettes en forme de fusée en papier, j’aimais bien. Le soir elle me donnait une omelette et du lait.
On dormait dans la paille au-dessus d’une étable. On rentrait jamais à la maison pendant les deux mois et le dimanche quelquefois venait papa. On lui donnait les sous de la semaine.
Mes premières vacances de vachère, j’avais des six ans. Je pleurais tous les soirs.
Après, j’ai plus rien dit, ça servait à quoi .
J’ai jamais mis mes garçons en colonie, c’est pour ça. Je sais que la colonie de vacances c’est pas pareil mais moi ça me faisait mal pareil.
Quand on allait à l’école, on y allait en charrette conduite par la jument grise, sauf l’hiver parce qu’on n’avait pas de patins à fixer sur les roues. L’hiver, faisait si froid que mes yeux gelaient derrière mes paupières. Ils gelaient, c’est sûr parce que j’arrivais pas à regarder sur les côtés.
J’avais des sabots avec les peaux de lapin dedans et des chaussettes qui grattaient.
Je marchais derrière mon frère, qui avait des plus grandes jambes que moi, pendant une heure et quand on arrivait à l’école, on voyait la fumée, ça voulait dire qu’on était les derniers et que le poêle était allumé.
C’était comme ça, c’est tout. On restait au chaud tout le jour et la nuit était revenue quand on rentrait.
Maintenant, le gamin a bien de la chance. L’école a des projets pédagogiques, chaque année les instituteurs en ont un nouveau. Ca donne une école où les enfants imaginent tout ce qu’ils veulent.
Nous on imaginait rien du tout. On apprenait les départements, les préfectures et les sous-préfectures, le calcul et l’orthographe la grammaire et les poésies, les dates d’histoire et même les comptoirs indiens, je les sais encore : Chandernagor, Karikal, Mahé, Pondichéry, ben je sais plus le dernier et les leçons de choses et si on travaillait bien on était présenté au certificat d’études et après, hop, au champ.
C’était comme ça dans ma campagne.
Je sais bien que je parle comme les vieux, toujours d’autrefois, faut dire que c’est facile puisqu’on se rappelle alors que l’avenir c’est le présent, il est pas encore fabriqué en souvenir, faut attendre.
Parfois j’aime bien parler du présent aussi, surtout quand les gens m’énervent.
Celle qui m’énerve en ce moment c’est la voisine. Son mari, il picole tellement qu’il tombe de son lit et se retrouve avec le matelas sur lui, comme une tortue. Et sa femme, elle vient chercher Félix alors qu’on est déjà sous les couvertures, bien tranquilles à regarder le ciel noir par la fenêtre.
Elle crie, Marianne, qu’elle en a marre de son poivrot de mari, qu’elle va le faire désintoxiquer de force, qu’elle va le faire enfermer, que c’est pas Dieu possible d’être emmerdé comme ça depuis soixante ans. Félix, lui, il enfile son pantalon, il va remettre le matelas sur le lit, coucher le père Marius et moi, je calme Marianne alors que je la trouve insupportable.
Le père Marius, c’est vrai, il boit que de la gnole, du matin au soir. Le matin, il trempe son pain dans un bol de gnole, c’est pour dire. Mais l’est gentil, jamais violent. Et pis quoi, il a 83 ans, on va pas le changer hein ?
Marianne, elle veut toujours tout diriger, depuis toujours c’est elle qui décide alors Marius, il boit, voilà.
Avant, on n’était pas dérangé mais depuis trois mois, Marius tient mal sur ses jambes et quand il se couche, il attrape le matelas parce que ça tangue et il verse.
Marianne, elle pourrait enlever le matelas et lui glisser un oreiller sous la tête, mais non, elle tient à ce qu’on participe à son malheur et ça, ça m’énerve drôlement.
J’arrête d’écrire maintenant parce que le club a repris, c’était fermé comme les écoles pendant les vacances. Il faut que je termine de fabriquer un hérisson.
C’est très joli les hérissons. On prend un livre de poche qu’on aime pas, un peu épais et on plie l’angle de chaque page. Faut faire très régulier. Quand on fini tout le livre, on met deux boutons pour les yeux et un bout de feutrine pour le nez et puis, on colle le hérisson sur un carton épais.
C’est la voisine, qui m’a donné le livre, c’est un qu’elle aimait pas, il a 390 pages et ça va faire un gros hérisson.
A bientôt. Je suis contente de savoir que vous lisez mes histoires.