Arrivées à Gostivar, dans le terminal de bus, les guichets sont encore fermés. Il est dix minutes avant sept heures, et il fait là aussi encore frais. Magda s’adresse à un des rabatteurs. Un petit bonhomme cinquantenaire... qui se met soudainement à me parler Français, dans un Français impécable ! Comme Mile, lui aussi l’a appris à l’école, et il est tellement content de pouvoir le parler, chose qui n’arrive jamais... Ca me perturbe toujours autant ! Je veux dire, je sais qu’à l’époque soviétique, ou de la Yougoslavie, le Français était une langue très enseignée dans cette partie de l’Europe. L’Anglais, c’était la langues des ennemis, des Américains. A l’époque, la France jouissait encore, pour ces pays-là, de ses lettres de noblesse, de la « grandeur » chère à De Gaule. C’est ma perception en tout cas, par expérience et rencontres depuis des années. Je pense que pour eux, apprendre une langue, le Français d’autant plus, était un tel honneur qu’ils l’apprenaient excellemment. Au point que même sans le pratiquer, des décennies plus tard, ils sont capables de la parler de manière bluffante, avec une prononciation impécable ! Ca m’épate ! J’ai étudié l’Allemand pendant neuf ans, j’avais un bon niveau scolaire, et aujourd’hui, je suis incapable d’en sortir un mot. Respect à vous, Macédoniens francophiles !
C’est ce même homme qui m’a dit que le bus partait à 7h30, et que nous avions largement le temps d’aller retirer de l’argent au bankomat, au bout de la rue. A pied, avec Magda bien sûr. Sur le retour, nous sommes rentrées dans une de ces boulangeries turques, telles que je les définie. La Macédoine est à majorité orthodoxe mais plus de 30% de sa population est musulmane et ça se ressent notemment d’un point de vue culinaire. C’est aussi un carrefour des peuples depuis toujours. La Macédoine, par les traits physiques de ces gens semble être brassée par des siècles de flux migratoires. Gostivar est sans nul doute à majorité musulmane, en attestent les minarets en nombre dans cette petite ville de province de l’Ouest du pays. Nous sommes ici non loin de la frontière avec l’Albanie, elle aussi à majorité musulmane, et si les instances diplomatiques ont décidé de tracer des traits pour diviser les territoires, il ne faut pas oublier que de part et d’autres de ces traits, ces territoires sont habités par des hommes, des familles, et que seul un mur de fer peut physiquement séparés des gens d’une même famille, d’une même culture.
Kinderette a d’ailleurs très vite été intriguée, une fois installée dans le bus, en l’attendant à partir.
- Maman, pourquoi les dames ici elles ont quelque chose autour de leur tête, là ?
- Parce que les gens ici, ils croient en un autre dieu que ceux qui croient en Jésus. Ils appellent leur dieu Allah, et c’est leur habitude, que les femmes, elles mettent un voile sur leur tête.
- Mais elles doivent rien voir du tout ! Ca fait tout petit autour de leur tête, là !
Pourtant, c’est un port du voile bien leste que les femmes arborent ici, mais pour Kinderette, de ne voir que la face du visage à découvert, oreilles et cheveux dissimulés, c’est « tout petit ». Je lui ai montré les mosquées, où les gens viennent prier.
Dans le terminal bien calme, Magda a rencontré par hasard une famille, un couple et ses deux adolescents, qu’elle connaissait. Les femmes, la mère et la fille de seize ans environ, sont vêtues de deux robes légères, en voile, à bretelles et au dessus du genou. Je me dis que les cultures religieuses cohabitent plutôt bien par ici. Du moins, par la force des choses. Chacun vivant ses croyances et ses coutumes comme bon lui semble, tant qu’il ne les impose pas aux autres sans doute.
Cette famille embarquait dans le même mini-bus que nous, et c’est avec eux que Magda nous a laissées, après nous avoir pris dans ses bras, en continuant à me parler en Macédonien, comme toujours...
Le mini-bus, d’une dizaine de passagers dont nous sommes les seules étrangères, est un supplice pour le garçon assis derrière nous. Il passa la majeure partie du trajet à vomir dans les sacs plastiques, à côté de sa mère. Comme un bis repetitas d’un trajet fait quelques jours plus tôt. Il faut dire que la route en lacets de montagnes défoncée était plutôt propice au mal du transport. J’ai encore une fois camé Kinderette de pilules miracles homéopathiques, et elle fit le trajet sans encombre. Je m’en réjouis encore !
Le trajet, en grande partie à travers les montagnes, me surprenait encore. Cette partie occidentale de la Macédoine où nous sommes depuis le début, est encore vierge de toute présence humaine, hormis les centres urbains, les villages. Les montagnes sont toutes recouvertes, sans exception, de multiples espèces d’arbres. Pas une habitation, pas une parcelle cultivée sur ces pentes, pas même pour le fourrage. D’ailleurs, je ne vois pas non plus de vaches, ni de moutons, ni de chèvres. Les Macédoniens ne sont résolument pas des montagnards. Je trouve tout de même surprenant que l’Homme ici n’ait pas exploité la terre comme ailleurs dans le monde. Je me souviens, même en Colombie, sur des pentes qui me paraissaient inaccessibles, on y cultivait du café, on faisait pousser des arbres fruitiers. Là, non. A travers les vitres du bus, je suis toujours à l’affût du moindre sentier, de la moindre trace de présence macédonienne sur ces flancs de montagnes sauvages qui défilent. Mais rien. Nada. Surprenant, et à la fois je me dis que c’est plutôt pas mal pour notre petite planète, au XXIe siècle, à une époque où on détruit les forêts, qu’ici semble-t-il, on lui laisse ses poumons en place. Ce n’est que pour mieux lui salir son ventre, le plastique, les sacs, les déchets étant jetés tout à fait communément par terre. En France, l’argent public met à notre disposition des montagnes de poubelles et des milliers d’agents publics qui ramassent nos déchets pour nous faire des villes et des campagnes toutes propres. C’est facile. Ici, pas de poubelle à tous les coins de rues, mais des amoncellements de sacs plastiques qui parsèment le champ de vision.
La pluie a cessé. Kinderette a dormi trois heures en arrivant, et moi deux. Ce lever ultra matinal m’a décalquée. On a picoré dans notre chambre-kitchenette avec salle d’eau, au rez-de-chaussée d’une grande maison. Le taxi nous a laissées devant l’église Sainte Sofia, comme l’avait noté Magda sur un petit papier. Et puis, il a téléphoné à Eleonora. Elle est en fait la voisine des amis de Magda qui n’avaient plus de place pour nous accueillir. Peut-être irons-nous les saluer.
Notre logement se trouve dans une petite ruelle qui monte, aux pavés éclatés, impraticable autrement qu’à pied, très abrupte, cachée perpendiculairement à la rue principale de la vieille ville. Pas de pancarte, nous n’aurions jamais trouvé ce logement sans Magda. On a même vue sur le lac depuis la petite terrasse ! J’ai payé pour trois nuits.
Kinderette se fascine depuis une heure pour un ballet de danse classique à la télé. Maintenant qu’il ne pleut plus, nous allons sortir palper Ohrid, haut lieu touristique macédonien. J’espère y faire de jolies rencontres, mais les lieux touristiques sont rarement le bon endroit pour cela... A voir !
(...)
Lilie