Un tout petit brin de Sicile

Je profite. Je fais durer avec plaisir cette sieste dans la fraiche tiédeur de cet après-midi où le soleil joue le timide aux côtés de ses noirs amis menaçants qui balaient les hauteurs visibles depuis la fenêtre de ma chambre-appartement.
Ambiance gazouillis permanents ponctués de quelques envolées enjouées de la troupe de cabris locale, et agrémentés de notes lointaines d’une radio musicale et quelques échos d’une sieste crapuleuse qui semble se dérouler de l’autre côté des murs de papier…
Côté ambiance olfactive, je ne peux pas vraiment dire ce que ça sent, mais ça sent bon, loin de la pollution lémanique et différemment du printemps alpin. Probablement un judicieux mélange de ces effluves arborées et fleuries méditerranéennes qui nous entourent, pas encore suffisamment surchauffées de soleil, avec quelques relents de sels marins qui remontent peut-être jusque là de la mer turquoise crêtée de blanc de vent…

Aujourd’hui est une journée off, les trois dos l’ont réclamée à grands renforts de lombosciatiques. C’est donc une journée de vacances à farniente, à savourer simplement les petits riens des alentours, à entamer ce carnet d’un voyage qui a déjà trois jours et demi d’existence… au moins. Tout dépend si le voyage commence au tour de clé bouclant mon chez moi, au réveil de milieu de nuit pour le départ vers l’aéroport suisse ou à la première inspiration d’air sicilien…

Trois jours et demi déjà que j’ai posé le pied sur ce bout de terre italien, ce caillou irascible qui traine non loin de la pointe de la botte continentale, accompagné de quelques autres trublions confettis éoliens…

Des deux premiers jours je ne raconterai pas grand-chose, si ce n’est qu’ils ont été fatigants mais réjouissants de voyage et de noce à la franco-sicilienne.
Une belle mariée française dans une église sicilienne pour une célébration tout en italien, une soirée festive de noce à la française aux menu et buffet de desserts siciliens, un lendemain de brunch sicilien aux accents français. Mélange des cultures à défaut d’un réel mélange des invités, faute à cette satanée babélisation multimillénaire…
Capo d’Orlando, cité balnéaire réputée de la côte nord-est sicilienne, il y a pire place pour se marier ! Le soleil était un peu de la fête, la pluie s’est invitée… « Mariage pluvieux, mariage heureux » dit-on chez nous.
La noce est finie, la grande smala familiale réjouie s’est séparée, chacun vaquant à ses propres vacances, avec dans l’idée que le hasard pourrait nous faire se croiser de-ci de-là dans les ruelles de la région ou à l’aéroport…

Le troisième jour a commencé en douceur, après une nuit enfin réparatrice succédant aux deux précédentes catastrophiques pour mon sommeil et mon équilibre.
Plusieurs options étaient envisagées, mais toutes dans un rayon restreint, histoire que le chauffeur récupère des longs allers-retours à l’aéroport des derniers jours. Mais tout ici, dans ce nord-est sicilien, nécessite du temps de conduite et même le « pas loin » nous amène à des heures de routes sinueuses et parsemées de villages, dans une circulation à la limite de la catastrophe permanente tant les Siciliens respectent leurs signalisations, les stationnements et les autres usagers…
Plusieurs options étaient envisagées, selon la météo… qui a été ce jour encore bien instable, entre vent frais persistant, nuages menaçants, soleil non assuré et même une averse de bruine… Finalement le sentiment qui restera sera celui d’une journée pas mauvaise avec un après-midi bien ensoleillé et un coucher de soleil on the road pas désagréable.
Plusieurs options étaient envisagées, et finalement le choix s’est porté sur les richesses variées de Tindari et Milazzo que les Wapmoureux avaient déjà effleurées dans la semaine précédente.

Tindari ou Tyndaris, c’est un promontoire rocheux de 180 mètres qui plonge dans la mer en falaises abruptes au pied desquelles s’étalent quelques laghettis sablonneux d’une réserve naturelle protégée où s’épanouissent flore exubérante et faune discrète… En son sommet nous profitons rapidement d’un sanctuaire chrétien joliment dédié à la Madonna Negra locale, plus longuement d’un site archéologique gréco-romain, et des panoramas bien sympathiques sur la mer, les îles éoliennes et les monts verts de l’intérieur.
Le site est très touristique, surtout en ce dimanche matin où, à l’heure de la messe, les Siciliens endimanchés côtoient touristes italiens (nombreux et bruyants) ou européens (en minorité et bien plus discrets).  Comme nous sommes encore hors saison, cela reste très supportable et c’est même une quasi-solitude qui accompagne les deux Wap’ dans les ruines du théâtre grec, de la basilique, des échoppes et thermes romains aux belles mosaïques. Les très vieilles pierres plus ou moins restaurées, la verdure méditerranéenne, le bleu de la mer, le ciel capricieux… la carte postale est quasi-parfaite. Mais nous regrettons le peu d’entretien du site, envahi par la végétation haute et fleurie en ce printemps… Il nous semble qu’un juste milieu serait à trouver entre un site aseptisé et caillasseux et cette envahissante flore sauvage dévorant les pierres excavées et trésors antiques, tout comme les sentiers perdus...

Qu’on ne se trompe point : c’est un réel plaisir que cette végétation fleurie et méditerranéenne qui m’entoure depuis ces trois jours ! Certes la nature parait plutôt sèche ici, même en ce printemps, mais les buissons de lauriers roses, les bougainvilliers et autres flamboyants de saison et toutes ces fleurs que je ne peux nommer aux côtés de celles connues et reconnues (coquelicots éclatants, asters variées, cigües…), voilà de bien belles touches de palette de peintre agréables à l’œil.

Milazzo n’est qu’à une trentaine de kilomètres plus au nord de Tindari, sur le cap voisin, mais c’est près d’une heure de route qu’il faut pour rejoindre cette cité. L’heure tardive et les estomacs criant famine nous ont forcés à un arrêt pique-nique sur la place de la Basilica San Sebastiano de Barcellona Pozzo di Gotto (rien que ça !). La façade de la basilique et sa place sont loin d’être désagréables comme environnement de festin de charcuterie et fromages siciliens ! Même s’il semblerait que nous ayons quelque peu emprunté le banc du groupe de mamas papoteuses (l’Wapata parle même de ‘réunion tupperware’) surveillées de près et de loin, mine de rien mais sans s’en cacher, par les pépés locaux… C’est le coin drague du troisième âge ici ?

Un petit coucou à l’ensemble statuaire de la place, un petit tour de la basilique et nous voilà repartis pour nous perdre dans les rues et abords champêtres de cette ville qui jouxte notre destination suivante.

Nous trouvons finalement l’entrée de Milazzo et nous parquons rapidement près du port, au pied de la rue-escalier pavée qui monte droit vers la citadelle qui domine la ville et le cap.

Il y a parfois des hasards dans la vie qui sont assez fabuleux. En venant à Milazzo en ce dimanche, nous ne nous attendions sûrement pas à y vivre ces instants ; fallait-il encore que l’on soit là, au bon endroit au bon moment, et surtout que nous décidions, une fois atteinte la porte de la citadelle, d’attendre pour voir plutôt que de foncer visiter les lieux en touristes lambdas que nous savons souvent être. Les indices (des interdictions de stationner, des gens en attente) nous avons su lire, notre intuition qui nous a imposé d’attendre, plus d’une heure quand-même, et de nous positionner justement là, nous avons su écouter.
Nous avions décliné l’invitation à vivre une procession dans un petit village des hauteurs, nous avons assisté à la fabuleuse procession de San Francesco di Paola de Milazzo, en étant aux premières loges, parmi les mieux placés.
Première procession à laquelle j’assistais, impressionnée j’étais devant cette vingtaine de porteurs au profil de rugbymen en grande forme et plein effort, promenant dans les escaliers, sous les porches et à travers les ruelles cette immense statue colorée sur son lit de bois et fleurs pesant je ne sais combien de centaines de kilos.
Les mouvements d’une foule endimanchée et la ferveur populaire de ce qui devait réunir la grande majorité des habitants de la ville étaient tout autant intéressants à observer, il faut bien l’avouer. Comment sinon aurions-nous pu tenir ainsi debout et statiques autant de temps ?

Sitôt le Saint statufié reparti vers de nouvelles aventures - quelques autres ruelles à descendre, bénédictions à recevoir et même bateau-mouche à fréquenter nous sommes nous laissés dire -, la foule s’est rapidement dispersée - pour rejoindre le point d’attraction suprême suivant de la procession supposons-nous - et notre planning de touristes nous avons repris : la visite de la colline-citadelle qui compte les vestiges d’une acropole grecque, des fortifications arabes, des remparts espagnols et aragonais, une vieille cathédrale (Duomo Antico) et un Castello édifié par Frédéric II… Pas de quoi s’ennuyer à arpenter les pentes gazonnées, les remparts et portions de château restaurés, les fouilles et donjons partiellement excavés, sans compter les panoramas superbes dans le tiède soleil de fin d’après-midi sur les baies voisines, la plage de sable fin et le port pétrolier, le Capo Milazzo lui-même et au loin les îles éoliennes.
Si ce n’est le soleil qui déclinait, l’heure de fermeture qui approchait, certains dos qui hurlaient au repos et les estomacs qui n’allaient pas tarder à réclamer à nouveau, l’invitation à flâner longtemps encore sur ces hauteurs était forte.

Une fois redescendus en ville, le constat d’une cité touristique éveillée en pleines festivités tendance fête foraine nous a quelque peu incités à remettre à plus tard l’éventuelle pizza évoquée et à fuir aussi rapidement que possible les lieux… sauf que circuler dans une ville sicilienne en pleine fiesta n’est pas une sinécure ! Mais nous en sommes finalement sortis pour rentrer tranquillement par les voies côtières sinueuses et face au soleil couchant et à la prochaine perturbation pointant ses rebords cotonneux, pour un tardif dîner dans notre résidence.

Tindari, Barcellona, San Francesco, Milazzo, que voilà une bien belle journée !
Peu étonnant en fait que le lendemain, aujourd’hui, relâche s’imposait… même si, même que…

Ce matin de quatrième jour a donc été occupé à quelques déambulations au « centre-ville » de Gioiosa Marea, petite cité sicilienne aux rues étroites colorées, au linge qui pend des balcons et fenêtres, aux places ombragées de pins et feuillus méditerranéens et bordées de cactus, aux fangios se moquant bien de toute règle, des vieux qui semblent sortir leur auto pour la première et seule fois de l’année, et des piétons. Ce fut l’occasion également de marcher sur la plage de graviers et tremper les pieds dans les rouleaux blancs d’eau fraiche en lesquels se meurent le turquoise du jour de Mare Nostrum.
Un verre en terrasse urbaine, une séance cartes postales, quelques courses dont l’achat de poissons frais pour la ventrée du midi…

Et que sera la suite de l’après-midi après cette sieste et ce bout de carnet ?
Scrabble, Trivial Pursuit, copies à corriger, lectures diverses… il y a toujours de quoi s’occuper, même une journée off dans une résidence presque vide, sans panorama ou animation particulière…