Carnet de maison
Il est vrai que je dois revenir sur cette non-organisation particulière liée à ce voyage.
Paradoxalement, c’est la première fois que je cadre aussi bien un parcours, c’est-à-dire que c’est la première fois que je réserve absolument toutes les nuits sur un voyage (davantage vacances, la nuance entre les deux étant pour moi souvent liée à cette liberté ou absence de cadre en voyage, mais aussi à la durée, plus longue, qui le permet), et tous mes transports à l’avance. Mais, mis à part ces nuits, le contenu des journées étaient totalement inconnu, n’ayant pris le temps de ne rechercher absolument rien sur notre destination ! J’ai dû prendre les vols en août ou septembre dernier. Quant au parcours, arrêté début janvier avec les réservations de logements et véhicule, il était organisé autour de l’essence même de ces vacances : Etna, Vulcano, Stromboli. A partir de là, Google Maps et Booking pour organiser la logistique. A chaque fois, succincte vérification Google si hésitation pour les points de chute nocturnes, par exemple pour Riposto ou nous passions les 3 nuits suivantes après Bronte, je me souviens l’avoir choisi à la faveur de Taormina sur base de critères simples : plus proche du refuge des guides pour notre ascension de l’Etna, bien moins populaire des touristes selon les premières lignes des premiers liens qui ressortaient en recherche Google et donc plus à mon goût, et bien moins cher pour mon budget non extensible.
En réservant tout début janvier, je m’étais dit que j’aurais le temps d’ici juin de me pencher sur le contenu, ou du moins les centres d’intérêts, options possibles pour occuper ces 10 jours entre les volcans de Sicile et des Eoliennes. Et puis, prise dans le tourbillon professionnel, je n’ai pas eu l’énergie ni la tête pour m’y mettre, et me suis retrouvée à la veille du départ à partir avec mon itinéraire contenant uniquement nos réservations de logements, voiture, trains, bateaux et excursion au sommet de l’Etna détaillé sur pdf comme unique guide de ce voyage. Pas de carte, ni guide papier, aucune documentation ou recherche sur le net, que ce soit sur le climat, l’économie, l’histoire, les lieux touristiques, les volcans pourtant… Rien ! Je suis arrivée en Sicile totalement vierge d’attentes, d’images, de connaissances, d’anticipations, de recommandations ou de programme. Pas que ça m’ait dérangé en fait, bien au contraire ! Moi qui aime être surprise, être émerveillée, apprendre, ne pas prévoir, ne rien anticiper en vadrouille, au final, ces vacances s’inscrivaient dans cette veine, même si on suivrait un parcours logistique tout tracé.
Alors, je me retrouvais souvent le soir, au moment du couché, à aller fureter sur mon smartphone, un peu (une 15aine de minutes tout au plus), pour étudier « vite fait » ce qu’on pourrait faire le lendemain, ou du moins me donner un cap. Outils de prédilection : Google Maps avec comme critère temps de trajet dans un rayon d’une heure de route de notre hébergement et en complément, un site où je furetais sans vraiment vouloir creuser (toujours avec cet esprit de me laisser porter, de ne pas savoir, de « on verra bien »), peut-être le site officiel du tourisme en Sicile d’ailleurs, je ne sais toujours pas : visitsicily.info
C’est comme ça que, lors de notre première soirée en Sicile, après avoir constaté qu’il n’y avait pas grand-chose à voir / faire dans les alentours proches de Bronte, le nom de Troina a attiré mon attention sur la carte (Google Maps sur écran de smartphone), puisque ç’avait l’air de se situer un peu en altitude, dans « les montagnes », et à moins d’une heure de route de notre hébergement. Et en tapant son nom ensuite sur Google ou Visit Sicily, j’ai vu une photo d’une ville perchée sur un promontoire naturel, et ça m’a suffit à me décider sur le programme du lendemain, si on peut appeler ça un programme.
Alors… Troina… Il faut d’abord, vraiment, que je revienne sur le trajet ! Epique ! Je crois que je m’en souviendrai toute ma vie, malgré ma mémoire ultra sélective qui balaye très facilement les évènements passés, même proches (j’ai théorisé avoir un petit cerveau qui a comme technique, pour laisser de la place sur le disque dur à espace limité, de virer tout ce qui lui semble superflu, le superflu tel que défini par mon cerveau étant tout de même la majorité des informations passées).
Comme je l’ai écrit dans mon carnet de voyage le soir-même, il est vrai que j’ai suivi aveuglément et sans le remettre en question l’itinéraire proposé par Google Maps lorsque j’ai démarré la voiture en partant de Bronte, sans même étudier la nature des « routes » à emprunter. En fait, je n’avais tout simplement pas imaginé qu’on puisse se trouver sur ce genre de trajet en Sicile.
Google avait annoncé 50 minutes de route jusqu’à Troina, on a mis 1h30, avec quelques arrêts photos certes, mais tout de même.
Très vite après être parties, on a emprunté une petite route qui ne cessait de monter et de serpenter dans la montagne, nous laissant apercevoir sur la gauche, vallées et sierras et plus loin, toujours dominant le reste du paysage, l’Etna au sommet dégagé. Cactus, route défoncée (nids de poules de partout), et même un serpent mort écrasé sur la route (mon dieu ! Il y a des serpents sur cette île ? me souviens-je avoir lancé à Kinderette), les panoramas arides et désolés que nous traversions nous émerveillaient tant nous évoluions dans un dépaysement perpétuel. On roulait sans jamais croisé personne, ça me surprenait, mais en même temps, à part quelques rares fermes isolées, nous ne voyons aucune habitation, et c’est dès ces premières 15 minutes de route que j’ai dit à Kinderette, qu’il ne faudrait pas qu’une roue crève, parce qu’on pourrait attendre longtemps qu’on vienne nous aider ! On a découvert aussi sur cette première partie du trajet ce qu’étaient des arbres à pistache (merci l’appli du smartphone qui identifie les espèces végétales sur base de photo !).
Et puis, on aperçoit un premier troupeau de moutons dans un pré bordant la route, près d’une ferme. On s’arrête, Kinderette descend prendre quelques photos. Un chien type fox terrier apparaît soudainement dans mon rétroviseur, j’ai brièvement une idée de risque de morsure qui me traverse l’esprit comme un éclaire, avant que ma fille ne remonte dans la voiture toute enjouée :
- Il est arrivé sans faire de bruit, là, tout de suite, quand je revenais à la voiture, me lance-t-elle en parlant du chien. Je ne l’avais pas vu, il m’a surpris, mais il n’avait pas l’air méchant, je l’ai même pris en photo !
Et on repart, pour s’arrêter un kilomètre plus loin peut-être au panorama avec le patou dans son troupeau, qui ne cessait d’aboyer en notre direction. C’est parce que ça faisait deux arrêts coup sur coup avec chiens de ferme/de berger qui m’avaient surpris, que j’ai pris conscience qu’il fallait faire attention avant de descendre pour des arrêts photos par la suite, et surtout, que nous étions dans une région agricole plutôt isolée, de montagnes. Et en terme d’isolement, ce n’était que le début en réalité !
Peu de temps après, Google m’a fait bifurqué sur la gauche comme je le mentionne dans mon carnet de voyage. La route principale continuait dans un virage à 90 degrés vers la droite effectivement, mais ce n’était absolument pas notre itinéraire puisqu’elle rejoignait, il me semble, la côte Est de la Sicile, alors que Troina se situait à l’Ouest de la où nous étions. Je n'avais donc pas le choix et sans hésitation aucune, j’ai pris cette bifurquation vers la gauche, je savais que c’était le bon chemin, en direction de l’Ouest où se trouvait notre destination.
Sauf que tout de suite, en tournant à gauche, j’ai compris qu’on changeait de nature de route, de terrain. Là, la largeur a d’abord rétréci, et puis le goudron était partiellement effrité sur les côtés. Et 100 mètres plus loin, alors qu’on continuait à monter, le troupeau de chèvres sur la route ! Chèvres avec cloches ! L’une d’entre elles reste en plein milieu de la route, en nous fixant, face à nous, les autres montent sur le muret sur notre gauche et avancent dans notre direction, . Je dis à Kinderette de ne pas descendre, parce que la chèvre qui est en plein milieu de la route, franchement, elle n’a pas l’air de vouloir me laisser passer.
- Les chèvres, c’est pas comme des moutons, Kinderette. Si elle a envie de charger la tête la première avec ses cornes, elle peut !
Et vue la longueur de cornes de cette espèce, je n’avais pas envie de l’énerver !
Alors, j’ai attendu, on a tout de même ouvert les fenêtres pour photos et vidéos, mais quand j’ai vu que Madame au gros caractère commençait à avancer vers la voiture tout en me fixant d’un air chèvre, j’ai remonté ma vitre et me suis mise à avancer, en me disant qu’elle me laisserait ainsi forcément passer. Ce qu’elle fit. Plus tard sur le trajet, des vaches avec cloches, puis des chevaux avec cloches également sur les bords du chemin, autant de rencontres animales qui enchanteront Kinderette.
Et puis, très vite, l’était de la route s’est déterioré. Des bosses, ça montait, ça descendait (enfin, là, on avait plutôt amorcer une tendance à la redescente en altitude, avant de remonter plus tard vers Troina la percheé). Et du goudron qui se faisait de plus en plus rares, des crevasses de plus en plus fréquentes et longues. A cet endroit, la route trahissait clairement les éclats d’humeur du ciel, je n’avais aucun mal à imaginer des orages avec pluies torentielles emportant la route sur laquelle nous étions. De route, nous étions peu à peu passé sur une piste en réalité, faite de terre, de cailloux, de pierres, pratiquable en deuxième uniquement.
Jusqu’à atteindre, après plusieurs kilomètres de piste, cette ficelle blanche qui bloquait le passage.
- Tiens… Peut-être un fermier qui la bloque ce matin pour ses troupeaux… Ils font vraiment ce qu’ils veulent sur les routes, par ici !
Une piste parallèle à la route commence sur la droite au niveau de la ficelle et monte sur une butte ensablée, sans que je ne puisse en voir l’issue. Il semble évident que ce soit l’itinéraire bis, que j’emprunte donc. Sauf que je m’arrête rapidement en haut de cette butte, puisque pour poursuivre le trajet, il faudrait que je m’engage sur une piste ensablée qui descend à pic pendant plusieurs dizaines de mètres ! Impraticable avec une Fiat Panda, il faut un 4x4 pour passer ça !
- Tant pis, fais-je à Kinderette, je ne peux pas passer, je dois faire marche arrière jusqu’à la route, puis on repartira d’où on est venue… Au moins, on sera venue jusqu’ici, c’était quand même chouette !
Je rejoins la route en marche arrière, puis fait demi-tour pour repartir en sens inverse. C’est à ce moment là qu’un 4X4 blanc est arrivé par là où je m’apprêtais à repartir et que vitre baissé, j’ai demandé à son conducteur « Troina ? »
Il m’a répondu « Troina ! Si ! » en se désignant et en m’indiquant droit devant lui, enfin, plutôt, la piste que j’avais essayé de suivre. Ce à quoi je lui ai répondu en inclinant la main à la quasi verticale et en pointant mon véhicule en disant « no pasa ! »
Et lui, sur de lui « Si, si ! Piano ! Piano ! » et en me faisait signe de le suivre.
Devant son assurance, je faisais donc à nouveau demi-tour et lui emboîtais. le pas sur la piste. Avec son 4X4, c’est forcément plus simple de la descendre, cette piste en sable complètement abrupte ! Moi, j’ai mis le frein à main au sommet, je disais à Kinderette que je ne passais pas, pas possible, que j’avais peur de glisser. Et ce monsieur, en bas de la piste, qui me faisais signe avec son bras d’avancer, moi qui lui faisait signe, avec mon bras aussi que non, et lui qui répondait de son bras d’avancer ! Bon.. et bien je m’engageais… Pédale d’embrayage et pédale de frein, en première, par petits à-coups. Je n’ai jamais autant craint que les freins lâchent sur un véhicule !
- Franchement, Kinderette, je ne repasse pas par là au retour ! lançai-je à ma copilote qui filmait la scène depuis son siège passager.
Après avoir produit un litre d’huile de sueur en rejoignant la route qui reprenait au bas de la piste pour continuer vers notre droite, je constatais que la ficelle qui bloquait la route, et cette piste, c’était en fait tout simplement parce que la route en question s’était fait emporter avec un glissement de terrain qui laissait un trou béant dans le sol !
Une fois la descente avalée, notre bon samaritain, toujours au volant de son 4X4 repris la route, à faible allure, s’assurant que nous le suivions bien, et puis, quand la route fut meilleur, il disparu. Mais 2 kilomètres plus loin, je le vis à nouveau à l’arrêt. Il nous avait attendu pour nous ouvrir la voie sur une autre portion où la route avait disparu du côté droit de la chaussée et s’assurer que nous passions cette portion potentiellement dangereuse pour un conducteur non averti en toute sécurité ! Incroyable ce monsieur !
- Ils sont vraiment super gentils les Siciliens !
Il nous attendit aussi pour tourner à gauche au stop lorsqu’enfin (enfin !) cette piste reprenait la route régionale qui remontait jusqu’au perchoir rocheux sur lequel se trouvait Troina. Et quand il fut assuré que nous le suivions dans la bonne direction, il reprit son allure de croisière dans les virages de montagne et bientôt, je ne le vis plus pendant plusieurs kilomètres de montée… Jusqu’à ce que nous arrivions à l’entrée de Troina et que je le vis encore une fois garé sur le bas-côté… A nous attendre, une fois de plus ! Quand il nous aperçu dans son rétroviseur, suffisamment proche de lui, il reprit la route, en éclaireur, pour nous engager sur la rue qui nous mènerait vers un parking central. Et là, j’ai bifurqué à droite pensant trouver un parking pour me repérer dans la ville, sur mon téléphone… Au lieu de le suivre et d’avoir une chance de le remercier de vive voix ! Je le perdis donc évidemment de vue et n’eut aucune chance de le revoir par la suite, même si en fait, je repris la route sur laquelle il m’avait engagée et que 500 mètres plus loin se trouvait le parking au pied du centre-ville historique sur lequel je laissais la voiture pour la journée. Mais pour moi, pour nous, cet épisode de notre voyage représente toute la gentillesse et la générosité que nous avons perçue de la part des Siciliens pendant toute la durée de notre séjour, du premier au dernier jour, constamment.
(...)
Lilie