Les promoteurs sont des salauds XIII
(Le camping)
Le père de Chantal ne ressemblait pas au commissaire Bourrel. Il était grand, blond, ses yeux bleus plongeaient dans les vôtres avec une acuité limite gênante, comme s'il voulait voir votre âme, et ses mains, bon sang, ses mains rugueuses, larges et épaisses, incitaient à se tenir à carreau pour ne pas en prendre une dans la figure. La mère, elle, une petite brune aux cheveux courts, lançait de grands sourires aux garçons. On avait apporté des chaises supplémentaires qui furent installées sous un auvent en toile, adossé à la camionnette aménagé en camping-car par le père de Chantal. Pierrot, comme les autres, avoua que c'était la première fois qu'il voyait un véhicule de ce genre. Chantal, avec la permission de ses parents, fit entrer Pierrot : ça alors ! une vraie maison, dit-il, visiblement ébahi. Elle lui annonça alors le projet de sa famille, à savoir partir en voyage autour du monde, comme les Mahuzier. Ah oui ! Je connais ! En effet, il avait vu un reportage sur ces gens, à la télévision.
Dehors, il y avait du monde sous l'auvent, trop, du coup des gens restaient sous le soleil. Des adultes venaient aux nouvelles avec leurs enfants, et il y avait encore quelques filles que la bande avait vu ce jour fatidique, près de la remise aux outils. François tirait une tronche pas possible, Monique, qui regrettait l'absence de Bernard, lui indiqua que la fille qu'il avait repéré n'était plus dans le camping, sa famille avait repris la route hier. Gilles, aux anges, se tenait près de celle qui lui plaisait. L'Endormi, lui, observait deux fourmis qui divaguaient sur la table qui venait d'être dressée quand, soudain, il entendit son prénom : Paul ! Viens voir ! C'était Chantal, alors il en conclut que Pierrot lui avait dit comment il s'appelait en vrai. Il s'aperçut que maintenant Pierrot et Chantal parlaient avec une fille qui n'était pas présente le jour du déclenchement fatidique de l'orage. Il s'approcha. Je te présente Lucienne, dit Chantal. Elle est arrivée le jour de l'orage, et c'est ma meilleure amie. L'Endormi fut ravi, elle était tout le contraire de la Garçonne : elle portait une jolie robe d'été avec de fines bretelles, et surtout elle arborait une longue natte de cheveux qui lui descendaient jusqu'aux reins. Lucienne voulut les inviter chez ses parents, qui avaient planté une grande tente quelques mètres plus loin, mais elle avait peur que ses deux petits frères qui voulaient tout le temps jouer à n'importe quoi. Alors, ils s'en retournèrent vers le camping-car du père de Chantal.
Jacques L..., le père de Chantal, n'évoqua en aucune manière sa profession, mais il raconta aux garçons la visite des deux gendarmes, et il précisa qu'il aurait bien aimé être chargé de l'enquête car, pour lui, les ravisseurs d'enfants méritaient la guillotine. Les adultes approuvèrent, tout en trinquant avec leurs verres remplis d'un rosé bien frais, tandis que les enfants buvaient du Pschitt orange à grandes gorgées - on ouvrit d'autres bouteilles rapidement.
- Bon, les enfants, dit Jacques, il faut vous amuser, prenez donc vos vélos, Chantal va vous montrer la rivière où l'on peut se baigner. Pas aujourd'hui, vous n'êtes pas équipés !
- Bonne idée papa ! fit Chantal, toute excitée.
Et les voilà partis vers cette rivière que les garçons ne connaissaient pas. François bifurqua afin de contourner le village et rejoindre la route bordée de platanes. Je retourne chez moi, dit-il en faisant la gueule. Bon, ils avaient tous compris qu'il se sentait de trop sans une copine. Bye ! Bye ! A demain ! La fille que Gilles baratinait, Anne, fit un ouf de soulagement, approuvé par les trois garçons toujours en course. (monsieur G... se souvient bien d'elle, surtout que, pour son âge, elle ne ressemblait plus tout à fait à une petite fille, ni Gilles à un petit garçon).
Gilles et Anne, les plus grands et les plus sportifs, ouvraient le chemin - qui, maintenant, se rapprochait presque d'un parcours de cyclo-cross -, suivis par L'Endormi et Lucienne, Pierrot et Chantal en serre-file. Chantal, bizarrement, se laissait distancer, obligeant ainsi Pierrot à ralentir, et lorsque un écart conséquent fut établi avec ceux qui précédaient, elle lui tint ce discours qui faillit le faire tomber par terre :
- Tu sais que le lendemain matin de notre première rencontre, je suis retournée avec Lucienne, entre deux averses, pour voir si tu étais revenu sur votre terrain de jeux, oui je sais, pour toi la distance est plus longue, mais je voulais te revoir. J'ai dit à Lucienne qu'elle verrait peut être ton ami, c'est drôle que vous l'appelez l'Endormi, moi je trouve que Paul c'est vachement élégant, enfin, bon, il y avait personne, mais je suis allé jeter un coup au trou que vous avez creusé. J'ai vu ce tuyau vert qui traînait dans la boue. J'ai tiré dessus, il était vachement bien enfoncé dans le trou. Lucienne et moi, on a trouvé ça pas normal. Regarde devant toi ! Fais gaffe ! (elle eut un rire bien mignon, puis elle continua alors que le pschitt orange remontait dans la gorge de Pierrot). Ben, ensuite on a bien vu qu'il y avait pas suffisamment de terre dessus, pour bien égaliser le sol, alors, avec Lucienne, on en a bavé pour remuer cette boue autour et bien aplanir pour qu'on ne s’aperçoive pas trop qu'il y avait un trou ici. On a trouvé tout ce qu'il faut dans la remise, et, le tuyau, on l'a jeté au milieu du fourbis !
- Pourquoi t'a fait ça ? demanda Pierrot, très inquiet.
- Mon père est un policier, parfois il me fait faire des jeux d'observation, alors j'ai l’œil ! Je pense aussi que le garçon de votre bande n'a pas disparu, il est sous terre, dans le trou que vous avez creusé. Je ne comprends pourquoi vous avez fait ça.
Pierrot mit pieds à terre, et il laissa tomber son vélo sur le sol. Chantal s'arrêta à son tour, puis elle posa délicatement son vélo sur l'herbe. Elle se tint tout près de Pierrot, Pierrot qui commençait à avoir mal au cou, il se voyait déjà sous la guillotine promise par le père de Chantal. Brusquement, des larmes coulèrent sur ses joues, mais il s’efforça de contenir ses sanglots parce que les garçons, on lui avait tellement seriné, ne pleurent pas, il n'y avait que les filles qui pleuraient. Alors il décida de raconter ce jeu idiot qui avait mal tourné, sans omettre un détail. Chantal ne fit aucune remarque, en tout cas elle semblait satisfaite de ne pas s'être trompée dans ses déductions.
- Tu ne vas le dire à ton père ? demanda Pierrot en reniflant.
La réponse de Chantal fut d'abord un geste qui le fit fondre comme un bonhomme de neige dans le désert : elle le prit dans ses bras, et le serra contre elle. Pierrot ne put faire le moindre geste, toutefois il ressentit une émotion intense, du genre à vous faire flageoler sur vos jambes ( monsieur G... a encore le souvenir de la douceur des bras qui l'enserraient). Et il eut des frisons quand les lèvres de Chantal effleurèrent son oreille pour lui murmurer :
- Ne t'en fais pas, c'est notre secret.
- C'est vrai ?
Chantal recula d'un pas, elle tendit la main, la paume tournée vers le bas.
- Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer !
Et elle cracha par terre !
- Allez, on rejoint les autres !
Pierrot ne s'était jamais senti aussi léger sur son vélo, et son sourire illuminait son visage : il était amoureux !
Maadadayo !