Lycéenne, j’avais moi aussi craqué sur cette photo. Un grand format panoramique que j’avais fait encadrer, un gros budget pour ma petite bourse de lycéenne. Dans ma chambre d’abord, elle m’avait plus tard suivi à Dublin. Cette photo me faisait rêver, et l’effet perdure encore aujourd’hui, maintenant sagement posée sur mon bureau. Je rêvais de cet espace sauvage, battu par les vents, l’image d’une Bretagne soumise aux caprices de la mer et du ciel ! A l’époque, les Poulains, je ne savais même pas où c’était, j’imaginais juste une île bretonne, abandonnée et loin de tout. Cette photo c’était l’évasion, la liberté, la beauté et la grandeur de la Nature. Je rêvais de la voir un jour, avec la mer qui gronde et le vent qui hurle !
Peut-être pour ça que j’étais si heureuse à l’idée de venir sur Belle-Ile pour la première fois et à cette période de l’année ! C’est en espérant de la flotte, et du sale temps que je venais ici. C’est comme ça que j’aime ces endroits, ces paysages. Après tout, je n’ai pas passé 10 ans en Irlande pour rien !
Ce matin, le vent soufflait fort et le ciel était chargé, même s’il ne pleuvait pas encore (il avait plu dans la nuit). Je me suis rendue à l’office de tourisme, en demandant par quel moyen motorisé je pouvais me rendre aux Poulains, à une 20aine de kms du Palais où j’étais.
- En voiture de location, scooter ou moto, en taxi, ou en stop, ça marche bien ici !
Scooter ou moto, le loueur d’hier avait refusé de m’en louer, même un vélo, trop dangereux avec ce vent, et il en serait de même aujourd’hui m’avait-il dit.
Voiture, pas envie, je voulais pouvoir marcher le long de la côte.
Stop, pourquoi pas au retour, mais pas à l’aller : je ne voulais pas prendre le risque de ne pas y a arriver, du moins dans trop longtemps au risque de voir le gros temps céder sa place au ciel bleu, pis surtout, j’étais comme une gamine au matin de Noel : trépignant d’impatience à l’idée de découvrir mon cadeau ! Ca faisait 15 ans que j’en rêvais, aujourd’hui j’étais là, et le temps semblait me sourire… Une urgence d’être à cette pointe mythique !
J’ai donc appelé un taxi.
Le chauffeur, une femme d’une 50aine d’années, est pressée.
- Ne vous en faites pas pour moi, j’ai tout mon temps !
- Ce n’est pas pour vous, j’ai d’autres clients qui attendent derrière, et les gamins que je viens de déposer avaient 10 minutes de retard ! Du coup, ça décale tout !
- Vous devez avoir beaucoup de touristes en ce moment, comme il n’y a pas de bus…
- Non, les touristes, ils louent des voitures. C’est plutôt calme en ce moment, mais là comme il y a eu des bateaux d’annuler à cause du vent, aujourd’hui, y a du boulot !
- Vous êtes native de l’ile ?
- Non, non, je viens de Vannes. Je suis venue ici pour le travail. Mais je n’y resterai pas pour la retraite !
- Oui, j’imagine que l’isolement ce n’est pas facile.
- Oh non, ce n’est pas ça. C’est juste que je ne peux pas voir mes enfants quand je veux. Sur une île, on est dépendant du bateau. Pour aller à vannes, il me faut 4 heures et demi, 5 heures ! Vous vous rendez-compte ! Le 24 décembre, mon mari est tombé malade. Il a été emmené à l’hôpital de Quiberon en hélicoptère. Moi, pas question que je reste toute seule ici pour Noel ! J’ai prs le bateau, je suis arrivée vers 19h à Quiberon, je suis allée voir mon mari à l’hôpital, et après j’ai filé sur Vannes. Il fallait que je revienne le 25 pour prendre le bateau, alors que j’étais en vacances, et après j’ai été 3 jours sans voir mon mari qui était à l’hôpital !
Je comprend ces contraintes que je lui dis, ayant moi-même vécu sur une île pendant quelques années, plus grande certes, mais avec les mêmes problématiques qu’on n’a pas sur un continent. Un 24 décembre avec un vol risquant d’être annulé pour cause de tempête, un imprévu comme un décès, et tout de suite, on se rappelle qu’on vit sur une île entourée d’eau et qu’on n’en sort pas comme et quand on veut.
Elle me dépose sur le parking des Poulains. Seules 2 voitures l’occupent. Il se met soudainement à pleuvoir à torrent quand elle m’annonce le prix de la course.
- C’est génial ! Je suis trop contente ! C’est exactement le temps dont je rêvais !
- Oui, c’est avec un temps comme ça que c’est le plus joli ici ! Vous allez vous régaler !
L’euphorie me gagne en enfilant ma veste et mon pantalon de pluie. Si le vent me le permettait, je courrais tellement je suis heureuse ! Mais le vent me ramène à ma petite taille de terrienne, et je dois le combattre pour avancer sur le chemin d’où, faute d’apercevoir le phare, je vois déjà les éclats de vague s’éclater contre la fin de la terre ! Encore un bout du monde, une fin de terre, dans toute sa grandeur, sa dramaturgie ! C’est un théâtre à ciel ouvert qui s’offre à moi lorsque j’atteint le bout du chemin, ou plutôt un opéra : le ballet des vagues qui s’éclatent contre tout ce qui se met sur leur passage, les instruments à vent soufflent dans mes oreilles, et en chef d’orchestre, planté sur son perchoir, dominant le tout, là-bas, le phare des Poulains.
Je n’arrivais pas à tenir debout, et les photos, je les prenais toutes à l’aveugle, toutes, tellement le vent me fouettait le visage !
Je n’ai pas l’impression qu’il ait plus beaucoup, à vrai dire, je prenais de la flotte sans arrête, mais elle était plutôt salée ! J’ai pensé à ma glande thyroïde, qu’à besoin d’iode paraït-il, pour se remettre en marche. Elle a du tourner à plein régime aujourd’hui ! Putain, j’ai bu la tasse pendant 2 heures sur cette pointe des poulains !
J’ai pleuré, bien sûr, pleinement consciente que j’étais en train de réaliser un autre rêve, encore un. Du vent dans mes rêves, pour faire écho au bouquin d’Ellen McArthur, bouquin que j’avais lu après qu’elle ait terminé 2e à son premier Vendée Globe.
Je n’arrivais pas à quitter le lieu tellement j’étais hâpée par la magie du moment. Et ce sourire permanent sur le visage. J’ai tenté le sentier côtier par la côte sauvage. Tenté est un bien grand mot, je ne voulais rien faire de risquer, d’autant que je savais que le terrain était super glissant après la pluie qui était tombée. J’ai juste fait 50 mètres après le parking, et me suis retrouvée face à la mer. J’ai tendu les bras, et suis restée là un moment. Pas immobile, car le challenge était de rester en place ! Je me suis d’ailleurs prêté à un petit jeu, et je n’ai pas réussi à tenir plus d’une quinzaine de secondes les deux pieds au même endroit. J’ai marché un peu plus loin, 50 mètres, mais c’était trop dangereux, je ne tenais pas debout. Marcher pendant des kilomètres sous la flotte, je peux prendre du plaisir, mais pas avec un vent contre lequel je dois lutter pour tenir debout et réussir à avancer.
J’ai donc sagement quitté la pointe des Poulains par la route. Je ne savais pas où j’allais, mais j’avais envie de marcher. Au bout de 2 kilomètres sous le tarmac, et une averse venue de l’Atlantique, j’ai suivi un petit panneau qui indiquait « Sauzon » pour les cyclistes. Là, j’ai vu une cammionnette quitter une maison dans un cul de sac. J’ai fait signe au monsieur :
- Vous allez à Sauzon ?
- Oui, je peux monter ?
- Ok, mais je vous dépose juste à l’entrée du bourg.
Là, je prend conscience de ma chance :
- Ca fait longtemps qu’on n’a pas eu une tempête comme ça ! me dit l’homme. Le 31 dans l’après – midi, on a eu un soleil magnifique, il faisait super beau ! Les Poulains avec le temps qu’on a là, c’est chouette !
Il m’a déposé comme prévu à l’entrée de Sauzon, et en regardant la petite carte prise à l’office de tourisme ce matin, je décide sans même me poser de question de suivre le sentier côtier, sachant que de ce côté-là de l’île, je serais sans doute plus à l’abri que sur la côte sauvage. 12km de sentier sur le GR34, une variante du GR qui fait le tour de Bretagne par la côte, depuis le mont St Michel jusqu’à la Loire.
Le soleil est apparu alors que je quittais Sauzon, et m’a suivi une grande partie du trajet jusqu’au Palais. Bien sûr, j’ai eu 3 ou 4 averses, et surtout du vent, qui se levait parfois d’un seul coup sans crier gare ! Ca montait, ça descendait sans arrête, et pendant une heure, je n’en pouvais plus de ces montagnes russes ! Tout juste arrivée en haut des falaises, le sentier redescendait vers une crique, pour remonter ensuite ! Je ne parle pas de la sente qui était une vraie patinoire, j’ai d’ailleurs fait une petite glissade sur une descente à travers les pins. J’ai passé une grande partie de la balade avec une énergie de gamine, je courrais même par moment ! J’avais l’impression que quand le vent accélerait et que la mer grondait plus fort, mon corps et mon esprit eux aussi devenaient plus vifs.
Dès Sauzon, je rêvais d’une pint, que j’espèrais prendre aux Matelots, bar sur le port de plaisance du Palais qu’un pote marin m’avait conseillé. Il était fermé quand je suis arrivée en milieu d’après-midi. Alors je me suis dirigée vers la gare maritime, et j’ai été surprise de voir cette foule envahir l’embarcadaire. Oui, des bateaux avaient été annulés et ces gens trappés espéraient un dernier bateau pour rejoindre le continent. A la gare maritime, là aussi il y avait foule, et mon corps à eu le temps de se refroidir et de laisser place à la douleur au niveau des jambes (j’avais bien crapahuté, et mon corps avait dû redoubler d’efforts toute la journée pour se mouvoir dans ce désert de vent). Au guichet, on m’a dit qu’il n’y avait rien de sûr encore pour demain, que pour l’instant il n’y avait aucun bateau d’annuler, de téléphoner vers 17h30.
Je n’avais plus envie de bière en sortant de la gare maritime, mais juste d’une douche bien chaude. Je suis remontée à l’hôtel. Là, les deux nanas de l’hôtel m’ont dit que les 2 premiers bateaux du matin étaient très certainement annulés, mais que la gare maritime ne voulait sans doute pas le dire pour ne pas faire paniquer les gens.
- Quand j’étais à la gare maritime, j’ai entendu des gens dire que le dernier bateau qui était parti n’avait toujours pas accosté à Quiberon, trop de houle…
- Oh non ! Si ça se trouve il va faire demi-tour ! C’est le pire scénario qui puisse arriver pour nous… C’est déjà arrivé !
J’imagine que trop bien les établissements hôteliers pris d’assaut dans ce cas là (en basse saison, la plupart son fermés), sans parler de tous les touristes déjà coincés sur l’île et qui n’avaient pas prévus une nuit supplémentaire sur place…
Elles me disent que ça ne sert à rien d’appeler, que rien ne sera sûr avant demain matin, et que ça peut changer à tout moment. J’ai de la chance me dit elle, le billet que j’avais pris était celui du bateau de 14h.
- Au moins, c’est déjà ça, si vous aviez pris un billet pour les bateaux de 6 ou 7h, vous sauriez déjà que votre bateau est annulé, et vous auriez du prendre le suivant.
Mouai… sachant que les passagers des bateaux annulés sont prioritaires sur les passages suivants, je ne suis pas sur que d’avoir un billet pour le bateau de 14h soit une chance…
Et l’une des 2 femmes de conclure le sujet météo par :
- Et ils annoncent ce vent pour jusqu’au 10 janvier !
Mmm… Belle—Ile fait sa belle !
Dernière édition par Lilie le Sam 2 Jan - 21:03, édité 1 fois (Raison : Pfff... J'ai pas relu, y a plein de fautes!... Je les laisse :p)