Djamel rencontre le voyageur au quotidien
Djamel a attendu longtemps sur son aire d’autoroute.
Ses potes ne sont jamais arrivés là. Bien attachés, à jeun d’alcool et de fumette, ils respectaient parfaitement le code de la route… mais ils se sont fait prendre parce qu’ils avaient « emprunté » la voiture à un inconnu... Retour en fourgon bleu pour les « reubeus ». Souareba a juste eu le temps d’un texto : « Pécho par keuf. Bouj 100 nou. Tchô. »
Djamel est attablé devant une assiette vide.
A ses côté, un grand gaillard bien costaud engouffre sa pitance à grandes bouchées. Djamel l’a vu descendre de son grand camion rouge rutilant, venir prendre son déjeuner, s’asseoir à sa table. Pas très causant le gaillard pour l’instant, mais à l’aspect sympathique et il lui a dit bonjour en arrivant.
Au dessert, Djamel va oser engager la conversation.
Routier, la trentaine, cheveux ras, visage rougeaud, yeux bleus d’angelot rieur, tatouage au bras, revendiquant haut et fort ses origines savoyardes, bon vivant, il est sympa le gars. Il semble ravi d’avoir un peu de conversation entre les longues heures de route. Il s’appelle Pierre.
Djamel arrive à glisser dans la conversation qu’il est en rade et qu’il cherche à descendre sur Lyon.
Pierre lui répond : « Ça tombe bien, je dois décharger du côté de Lyon ! Normalement, j’ai pas le droit de prendre d'auto-stoppeur, mais là, vu que j’ai reçu ma lettre de licenciement pour la fin du mois, je vois pas trop ce que je risque à te prendre avec moi. Juste, t’es clean, pas de fumette, d’alcool, ni autres substances illégales ? Je risquerais trop sinon. »
Rien de tout cela, Djamel est « clean », heureux comme un gosse : il va voyager dans un 40 tonnes rouge chargé de palettes de céréales petit-déjeuner et de papier WC.
En chemin, Pierre raconte un peu sa vie, par bribe.
Je vous en offre un peu plus que ce que Djamel a pu apprendre.
Pierre, voyageur au quotidien
Sa vie, c’est la route. Sa vie, c’est un voyage au quotidien.
Cinq ou six jours sur sept sur la route, paysages qui défilent au rythme du disque, des chargements, déchargements, repas, repos.
L’Europe, du nord au sud, d’est en ouest, avec la France comme cœur de cible.
La nuit parfois, le jour de préférence.
Mais un voyage particulier : des nombreux pays traversés, il ne connaît que les grands axes autoroutiers ou routiers, les principaux itinéraires bis, les banlieues industrielles et commerciales, les zones économiques. Contraint à dormir sur les aires sécurisées, à rechercher les stationnements adéquats, à ne pas abandonner camion et chargement dans la nature, il n’a eu que trop peu l’occasion de faire du tourisme, entrer dans les villes, visiter.
Il connaît les rubans d’asphalte et les paysages qui les encadrent.
La nature grillée sous le soleil d’Italie ou d’Espagne, les vallées alpines verdoyantes aux sommets enneigés, les immenses forêts denses, les champs à perte de vue comme des damiers colorés, les régions vallonnées, la platitude du nord, l’odeur de l’océan qui vous accompagne sur certains tronçons sans que vous puissiez le voir vraiment, les grisailles métalliques, bétonnées et enfumées des régions industrielles, les grandes agglomérations et leur circulation infernale qu’il fuit au maximum…
Les journées caniculaires où l’on crame derrière le pare-brise, les grises et interminables heures derrière le ballet des essuie-glaces sous les torrents qui se déversent du ciel plombé, la beauté dangereuse de ces jours de neige qui peuvent vous bloquer des heures et des nuits durant, les ciels ventés avec la course folle des nuages qui semblent à portée de mains, ces couchers de soleil aveuglants mais qui feraient rêver plus d’un romantique…
Il connaît les panneaux et postes de péages qui défilent. Il a en tête un véritable atlas du continent. Incollable sur le sujet.
Il n’est capable de réellement converser qu’en son français natal, mais connaît les phrases types « bonjour, merci, au-revoir,… » dans une dizaine de langues.
Pas de tourisme, mais ce voyage au quotidien lui offre néanmoins parfois de bien beaux moments, comme ces nuits passées en solitaire vers 2500 mètres d’altitude, entre la France et l’Italie, garé en bord de route avec les marmottes et autres bouquetins curieux pour accompagner le réveil avant le soleil.
C’est une vie de solitaire.
Pas de compagnie en chair et en os autorisée dans la cabine ; radio, CB et téléphone portable pour les conversations. Rencontres éphémères sur les aires ou aux quais de déchargement, avec d’autres potes routiers.
Pas de femme. Il y en a peu dans ce métier, et de toute façon ce n’est qu’histoire de croisements, le temps d’un café, d’un repas, d’une veillée autour du poste TV du restaurateur… Pour trouver une compagne de vie il faudrait arriver à se poser, mais…
Sa maison, c’est son camion, quatre ou cinq nuits par semaine. Une mini-cabine : 8 mètres cube, siège et tableau de bord inclus, avec un lit, un beau poster, la place minimum pour poser ses affaires de la semaine et une glacière pour le minimum de provisions de route. Toilette et repas dans les haltes routières.
Ô certes, il a bien un « chez lui » dans la maison familiale, mais il y est si peu, le temps des courts week-ends et des rares vacances.
Encore qu’en vacances il préfère repartir en voyage. Plus loin, différemment. A bord d’un 4x4 par exemple, à la découverte des pistes africaines, des grands espaces sud-américains ou du bush australien...
Ce voyageur au quotidien a un grand rêve. Un rêve de voyage, d’asphalte, de camion, d’immensité.
Ce licenciement sera peut-être l’occasion de tout plaquer pour partir vers un autre continent.
Un rêve de camion encore plus grand, plus long, plus rutilant, plus rugissant. Un truck énorme, customisé d’une magnifique fresque, avec ses cheminées chromées crachant leurs gaz polluants, ses moteurs rugissant capables de tirer deux remorques à vive allure sur les highways sans fin du continent nord-américain. A lui les grands espaces étasuniens et canadiens !
Ses potes ne sont jamais arrivés là. Bien attachés, à jeun d’alcool et de fumette, ils respectaient parfaitement le code de la route… mais ils se sont fait prendre parce qu’ils avaient « emprunté » la voiture à un inconnu... Retour en fourgon bleu pour les « reubeus ». Souareba a juste eu le temps d’un texto : « Pécho par keuf. Bouj 100 nou. Tchô. »
Djamel est attablé devant une assiette vide.
A ses côté, un grand gaillard bien costaud engouffre sa pitance à grandes bouchées. Djamel l’a vu descendre de son grand camion rouge rutilant, venir prendre son déjeuner, s’asseoir à sa table. Pas très causant le gaillard pour l’instant, mais à l’aspect sympathique et il lui a dit bonjour en arrivant.
Au dessert, Djamel va oser engager la conversation.
Routier, la trentaine, cheveux ras, visage rougeaud, yeux bleus d’angelot rieur, tatouage au bras, revendiquant haut et fort ses origines savoyardes, bon vivant, il est sympa le gars. Il semble ravi d’avoir un peu de conversation entre les longues heures de route. Il s’appelle Pierre.
Djamel arrive à glisser dans la conversation qu’il est en rade et qu’il cherche à descendre sur Lyon.
Pierre lui répond : « Ça tombe bien, je dois décharger du côté de Lyon ! Normalement, j’ai pas le droit de prendre d'auto-stoppeur, mais là, vu que j’ai reçu ma lettre de licenciement pour la fin du mois, je vois pas trop ce que je risque à te prendre avec moi. Juste, t’es clean, pas de fumette, d’alcool, ni autres substances illégales ? Je risquerais trop sinon. »
Rien de tout cela, Djamel est « clean », heureux comme un gosse : il va voyager dans un 40 tonnes rouge chargé de palettes de céréales petit-déjeuner et de papier WC.
En chemin, Pierre raconte un peu sa vie, par bribe.
Je vous en offre un peu plus que ce que Djamel a pu apprendre.
Pierre, voyageur au quotidien
Sa vie, c’est la route. Sa vie, c’est un voyage au quotidien.
Cinq ou six jours sur sept sur la route, paysages qui défilent au rythme du disque, des chargements, déchargements, repas, repos.
L’Europe, du nord au sud, d’est en ouest, avec la France comme cœur de cible.
La nuit parfois, le jour de préférence.
Mais un voyage particulier : des nombreux pays traversés, il ne connaît que les grands axes autoroutiers ou routiers, les principaux itinéraires bis, les banlieues industrielles et commerciales, les zones économiques. Contraint à dormir sur les aires sécurisées, à rechercher les stationnements adéquats, à ne pas abandonner camion et chargement dans la nature, il n’a eu que trop peu l’occasion de faire du tourisme, entrer dans les villes, visiter.
Il connaît les rubans d’asphalte et les paysages qui les encadrent.
La nature grillée sous le soleil d’Italie ou d’Espagne, les vallées alpines verdoyantes aux sommets enneigés, les immenses forêts denses, les champs à perte de vue comme des damiers colorés, les régions vallonnées, la platitude du nord, l’odeur de l’océan qui vous accompagne sur certains tronçons sans que vous puissiez le voir vraiment, les grisailles métalliques, bétonnées et enfumées des régions industrielles, les grandes agglomérations et leur circulation infernale qu’il fuit au maximum…
Les journées caniculaires où l’on crame derrière le pare-brise, les grises et interminables heures derrière le ballet des essuie-glaces sous les torrents qui se déversent du ciel plombé, la beauté dangereuse de ces jours de neige qui peuvent vous bloquer des heures et des nuits durant, les ciels ventés avec la course folle des nuages qui semblent à portée de mains, ces couchers de soleil aveuglants mais qui feraient rêver plus d’un romantique…
Il connaît les panneaux et postes de péages qui défilent. Il a en tête un véritable atlas du continent. Incollable sur le sujet.
Il n’est capable de réellement converser qu’en son français natal, mais connaît les phrases types « bonjour, merci, au-revoir,… » dans une dizaine de langues.
Pas de tourisme, mais ce voyage au quotidien lui offre néanmoins parfois de bien beaux moments, comme ces nuits passées en solitaire vers 2500 mètres d’altitude, entre la France et l’Italie, garé en bord de route avec les marmottes et autres bouquetins curieux pour accompagner le réveil avant le soleil.
C’est une vie de solitaire.
Pas de compagnie en chair et en os autorisée dans la cabine ; radio, CB et téléphone portable pour les conversations. Rencontres éphémères sur les aires ou aux quais de déchargement, avec d’autres potes routiers.
Pas de femme. Il y en a peu dans ce métier, et de toute façon ce n’est qu’histoire de croisements, le temps d’un café, d’un repas, d’une veillée autour du poste TV du restaurateur… Pour trouver une compagne de vie il faudrait arriver à se poser, mais…
Sa maison, c’est son camion, quatre ou cinq nuits par semaine. Une mini-cabine : 8 mètres cube, siège et tableau de bord inclus, avec un lit, un beau poster, la place minimum pour poser ses affaires de la semaine et une glacière pour le minimum de provisions de route. Toilette et repas dans les haltes routières.
Ô certes, il a bien un « chez lui » dans la maison familiale, mais il y est si peu, le temps des courts week-ends et des rares vacances.
Encore qu’en vacances il préfère repartir en voyage. Plus loin, différemment. A bord d’un 4x4 par exemple, à la découverte des pistes africaines, des grands espaces sud-américains ou du bush australien...
Ce voyageur au quotidien a un grand rêve. Un rêve de voyage, d’asphalte, de camion, d’immensité.
Ce licenciement sera peut-être l’occasion de tout plaquer pour partir vers un autre continent.
Un rêve de camion encore plus grand, plus long, plus rutilant, plus rugissant. Un truck énorme, customisé d’une magnifique fresque, avec ses cheminées chromées crachant leurs gaz polluants, ses moteurs rugissant capables de tirer deux remorques à vive allure sur les highways sans fin du continent nord-américain. A lui les grands espaces étasuniens et canadiens !
Original posté par Wapiti au Livistan le 26 février 2008 : peuplevoyageur.spaces.live.com/blog/cns!D76DAB0F8562EBE1!805.entry
Le 26 Février 2008, Béatrice a écrit:Wapiti ... car je suppose que c'est toi même si tu as encore oublié de signer ....... grrrrrrrrr............ A chaque fois que je te lis je me dis que si tu étais un peintre, tu serais impressionniste. Tu me donnes plein d'images à chaque fois
Béa
Le 26 février 2008, Wapiti a écrit:Une variante du voyageur au quotidienJe vous ai concocté précédemment un voyageur au quotidien, grand gaillard solitaire dans son gros camion rouge...
Il en existe un autre, qui roule en couple dans son petit camion vert...
je vous laisse apprécier
Le P'tit Camion Vert par Les Squatters : https://www.youtube.com/watch?v=o3e8R_sG948