Une envie terrible de hurler, de crier, de vociférer, de (tous les synonimes conviennent)... contre toutes ces conneries de bureaucratie.
J'avais pourtant envie de rêver. Je voulais juste fermer les yeux et imaginer que bientôt j'y serai de nouveau. Je voulais juste sentir l'odeur des sapins en m'endormant, toucher l'eau claire des rivières dans mes rêves, entendre le roulis enivrant du train au réveil... je voulais juste qu'on me laisse m'imprégner, me fondre, m'effondrer. Je voulais juste avoir le droit de devenir poète en pensée... je voulais juste que la philosophie m'envahisse tout à fait pour sentir ce qu'il y a de plus naturel en l'homme prendre le pas sur la culture... je voulais juste qu'on me laisse tranquille.
Et puis, je voulais préparer mon sac, choisir des cadeaux pour mes amis, faire le ménage chez moi... et partir... éteindre une dernière fois la lumière, en me demandant si j'ai bien tout vérifié, si la fenêtre est bien fermée, si aucun tuyau ne fuit, si rien ne va pourrir dans le frigo... et fermer la porte, en songeant que tout cela n'a aucune importance... parce que je pars...
Je voulais juste rêver à tout ce que j'allais faire, à tous ceux que j'allais revoir, à tout ce qu'on aurait à se dire, à ces bières partagées dans ces cafés qui furent un temps nos "QG du vague à l'âme" quand je vivais encore là-bas.... je voulais juste rêver au moment où je les quitterai à nouveau pour partir plus loin, pour prendre ce train qui ne s'arrête jamais.. rouler pendant dix jours, droit devant... pour atteindre le bout du monde... et revenir tranquillement, par le chemin des écoliers... ou plutôt par ceux de l'école buissonière... passer des rives de l'Amour aux cimes saillantes de l'Altaï, admirer les étendues de bouleau pour mieux me reposer ensuite à l'ombre des sapins, longer la Volga pour soudain bifurquer et m'enfoncer dans la steppe et les balbutiements de cette immense plaine qui traverse l'Europe...
Je voulais juste profiter... et je dois négocier...
Qu'il me paraît loin ce temps où d'autres s'occupaient de mon visa, qu'il était là et que je n'avais à me préoccuper de rien. Qu'il me paraît loin ce temps où je partais en Russie sans me poser de question... me voilà redevenue touriste dans ce pays que je considère pourtant comme ma seconde maison... Il me faut un visa d'affaires pour pouvoir rester plus d'un mois... et il me faut un boulot pour l'obtenir... ou tout du moins l'adresse d'un employeur. Triste ironie. J'ai quitté mon boulot pour retrouver la liberté... et j'ai besoin d'un boulot pour la retrouver soudain...
Je finirai par obtenir mon visa, quoiqu'il arrive...mais mes doux rêves se transforment en stress administratif, en un enchaînement de portes claquées, de courses et de cavalcades dans des couloirs uniformes, en fonctionnaires bornés et en réglements crétins, en mensonges et en inventions... et en fausses déclarations car, à ce qu'il semble, rêver n'est pas un motif suffisant pour entrer en Russie... je n'arrive pourtant pas à en trouver d'autres...
Voilà, c'était juste un p'tit coup de gueule inutile mais cela me fais du bien de le partager... c'était juste la petite histoire de quelqu'un qui a cru à la manière de Saint-Exupéry que si le rêve dévorait sa vie, sa vie ne pourrait dévorer son rêve... Saint-Exupéry avait du oublier que rien n'est plus ravageur que l'administration et que nul ne peut y résister...il faut de l'innocence pour rêver et on n'est plus innocent quand on doit se faire calculateur et menteur... triste réalité... moi, je voulais juste aller me ballader...