Et puis, nous étions à Paris. Ca faisait presque sept ans que je n’y avais pas mis les pieds autrement que pour un aéroport. Et Paris me surprenait. J’avais mis du temps à apprécier la capitale française ; il y a quinze ans, elle subissait de plein fouet ma non-appréciation de la France. Paris l’arrogante, Paris la stressée, Paris la râleuse, Paris la grise. Au fil des années, passées à vivre à l’étranger et à voyager à travers le monde, elle était progressivement remontée dans mon estime, tout comme la France d’ailleurs. Et depuis une dizaine d’années maintenant, je la considère comme une des plus belles villes que j’ai visitées, avec Rome. Mais plus ça va, et plus j’aurais envie de la trouver encore plus bluffante et splendide que Rome, même si j’ai encore du mal à me l’autoriser. Côté esthétique, c’est indéniable, elle envoie du lourd ! Par tous les côtés, la moindre place, la moindre façade d’immeuble, le moindre balcon :tout est grandiose, tout a été pensé avec un soucis d’esthétique évident, en mettre plein la vue, que ce soit beau. Je n’ai encore pas vu de ville au monde aussi « dans ta face » que Paris côté beauté. Paris s’affiche, sans modestie aucune; elle se veut belle, elle se sait belle.
Mais outre la carte postale, ce sont bien ses gens, son atmosphère, souvent gris et austères, qui jusqu’à présent me rebutaient. De mes expériences parisiennes, toujours comme touriste certes, je n’ai jamais eu de bonnes expériences. Moi aussi je m’y suis faite arnaquée par un taxi parisien, chose qui ne m’est jamais arrivée ailleurs, moi aussi j’ai subit le métro et les gens qui tirent une tronche de trois mètres de long en sous-sol, moi aussi j’ai souvent eu affaire dans leur majorité à des serveurs plus que désagréables ou à des gens qui vous bousculaient sans même s’en apercevoir. Paris. Mais cette fois-ci, c’était différent. Etait-ce parce que notre bonne humeur affichée était contagieuse ? Je crois en ça, effectivement. Mais pas seulement. Dans la rue, dans le RER, partout : nous n’avions pas besoin de demandé notre chemin, les gens venaient vers nous !
- « Vous voulez aller où ? ».
Ce sont deux chauffeurs de bus à l’arrêt qui nous interrompent en nous voyant regarder la carte du réseau. Et qui très gentiment nous indiquèrent le chemin à suivre, à pied.
- « Vous cherchez quelques chose, les filles ? ».
Ce sont deux passants qui nous interpellent cinq minutes plus tard, sur un trottoir, à un carrefour, voyant nos pas hésitants, et de nous indiquer le chemin sans même s’arrêter, en poursuivant leur route... que nous emboitons donc. Quelques centaines de mètres plus loin, ils se sont retournés, pour nous pointer du doigt la direction de l’hôtel à prendre, à l’intersection. Dans le RER, dans le bus, aux arrêts de bus, les inconnus se parlaient entre eux, souvent. Nous avons assistés à des conversations croquantes, comme j’aime, du théâtre de vie.
Notre hôtel était dans le 20eme, un quartier apparemment très populaire, très vivant, et surtout, très hétéroclite et cosmopolite. J’ai adoré ce quartier, je me disait que le monde entier était là sous mes yeux, les mélanges et la diversité des gens, et les terrasses de café, qui elles aussi mélangent tout le monde ! Du cliché, mais dans ce quartier du vingtième, je percevais une âme qui me séduisait, des personnages romanesques, des histoires et des destins croisés. J’avais envie de me mêler à eux, et moi aussi d’aller me poser sur ces petites tables, et de les écouter. Comme j’aime faire, souvent, partout, en vadrouille. Me poser, observer, écouter. J’adore ! Et là, de ma fenêtre de bus 57 coincé dans la circulation, je rêvassais, je regardais la vie grouiller, et j’avais envie d’en être. L’envie de venir découvrir Paris une nouvelle fois, exclusivement, d’aller explorer ce nouveau visage qui s’offrait à moi est devenue évidente. Et merde ! Encore une destination qui vient allonger ma liste ! Mais celle-ci est somme toute relativement facile à venir chercher, 3 heures de TGV depuis chez moi, il suffit juste de poser une date sur le calendrier. D’autant plus que j’ai quelques potes dans la Ville Lumière et que ce serait aussi l’occasion de leur rendre visite ! Pour la première fois, j’avais envie d’aller découvrir ceux qui font Paris. Parce que vraiment, pendant ces deux jours, je n’en ai perçu et reçu que de bonnes ondes, de belles choses, de jolies anecdotes de vie. Et j’en suis encore la première surprise !
Marie, quant à elle, a vécu la journée de Mardi, pleinement, entièrement. Rien ne pouvait entraver son enthousiasme et sa bonne humeur. C’était chouette de la voir ainsi, en mode ado, légère et impatiente. Je trouve qu’elle a d’ailleurs très bien géré son impatience, mais il faut dire qu’on n’a pas vu la journée passée, et qu’entre les transports, il était aux environs de 16h lorsque nous nous sommes posées pour déjeuner. Je serais bien laisser tenter par un bouiboui algérien, turques, des Balkans ou d’autres horizons orientaux, mais ce n’était pas du goût de Marie, et les brasseries ne servant plus à une heure si tardive, c’est donc un McDo qui a eu reçu nos faveurs. Je laissais Marie entièrement libre des décisions, du temps, de tout : c’était son rêve, et moi, je n’étais là que pour l’accompagner et faire en sorte que ces deux jours restent pour elle, à jamais, un moment de vie exceptionnel.
Vers 18h nous sommes arrivées devant le Palais des sports. Des fans étaient déjà là, les portes n’étaient pas ouvertes. Marie était déjà émerveillée et je pense qu’à partir de ce moment-là, elle a vraiment réalisé ce qu'on faisait là et l’impatiensomètre était à son maximum. J’ai proposé une bière, évidemment.
- Oui mais juste-là ! Je veux garder Bercy dans mon champ de vision !
Nous nous sommes donc posées en terrasse, et j’ai laissé Marie apprécier, face à elle, la salle de spectacle qui nous attendait et dans laquelle Céline Dion était déjà certainement. Le serveur, cinquantenaire, à lui aussi contribué à mon appréciation de ce séjour parisien. Avec son arrogance propre à la ville, et sans sourire, il était tout de même sympathique, d’autant plus qu’il a accepté sans broncher la photo collector qu’on lui a demandé : sur sa tenue traditionnelle de serveur parisien, à côté du mouchoir blanc en pochette, et de l’autre côté du veston noir, il arborait deux badges Céline Dion.
- Je suis sûr qu’ils ne le font que pour Céline ! Me lance Marie
- Bah non, ils doivent le faire à tous les concerts... répond-je, blasée et pleine d’aplomb.
- Bah non ! Y a que pour Céline qu’ils font ça ! m’assure Marie.
Je me marre. Sauf qu’elle avait raison. Du moins, c’est ce que le sympathique serveur lui a assuré.
- Prenez le mouchoir en photo, fait-il de son air détaché en attendant que la photo soit prise.
Les bières finies, il était tant de rentrer dans l’antre, sans foule aucune, j’en suis surprise. Une première fouille à l’extérieur. Puis scan des billets à nouveau à l’extérieur et nous entrons, chacune dans notre file pour la fouille au corps.
- La pancarte, non.
- Hein ?
- La pancarte. Donnez-la moi, ça ne rentre pas.
Je n’ai pas eu le temps de comprendre, je l’ai juste vue partir, s’éloigner dans les mains du mec de la sécurité. On n’a pas protesté, c’est le jeu, c’est comme ça. Marie a demandé pourquoi.
- C’est la prod. Ils veulent pas. Ca peut être pris pour cible.
- Mais vous allez en faire quoi ? s’enquiert Marie.
- Ca part en consigne et après poubelle.
Le charmant jeune homme que je ne sortirais pas de mon lit même pour un paquet de chips est non seulement charmant mais en plus très sympa.
- Vous avez mis combien de temps à la faire ?
- Deux heures...
- Ha ! C’est dommage !
Pour moi ce n’était pas grave. Je l’avais faite pour Marie et c’était déjà bien qu’elle était arrivée jusqu’ici. C’était marrant de l’avoir trimbalée toute la journée depuis 8h30 ce matin entre tramtrain, TGV, RER, bus et métro ! Mais pour Marie, il n'était pas question d'abandonner Jean-Jacques! Alors après le concert, elle s'est chargé de retrouvé notre charmant confisquateur de pancarte, qui nous a emmené jusqu'à la consigne, où une dame, curieuse du message, s'était défendue de la jeter, pensant bien que ses propriétaires viendraient la récupérer... C'est ainsi que Jean-Jacques est revenu jusqu'à Nantes (Marie y tenait), sans même avoir vu Céline!
Et puis, enfin, nous sommes entrées dans l’arène, l’attente, la première partie et à nouveau l’attente. Vingt petites minutes, trop longues pour Marie qui ne s’y attendait pas. Elle n’en pouvait plus d’attendre, c’était un supplice ! Puis les lumières ce sont éteintes, et Céline est entrée sur scène, et Marie a fondu en larmes, des larmes qui ont coulé non stop pendant toute la première chanson.
Elle a rit, elle a pleuré, elle a chanté à gorges déployée, elle a applaudit à s’en faire péter les phalanges. Elle a pleuré avec Céline à chaque fois que celle-ci craquait, submergée par l’émotion d’un deuil encore douloureux. Elle l’a aimée fort pendant deux heures. Je n’imagine même pas ce que c’est que de recevoir en pleine face, simultanément, l’amour de 20 000 Maries.
Quant à moi, j’ai eu la gorge serrée à plusieurs reprises et je pensais à Jean-Jacques à chacune de ses chansons, et à chaque fois je me disais « ca aussi, c’est Jean-Jacques »... Elle l’a mentionné, remercié à trois reprises pendant le concert. Marie est d’ailleurs persuadée qu’il était en coulisses, parce qu’elle trouve suspicieux que Céline l’ait remercié autant de fois sur ce concert... Pour moi, depuis le courrier de Jean-Jacques, c’était un peu comme s’il était avec nous, depuis le début de ce voyage, et pendant tout le concert. Je n’aurai jamais l’occasion de le voir sur scène, alors ce concert de Céline Dion auquel Marie m’avait invitée, c’était un peu un concert de substitution pour moi.
Et puis Céline est partie en courant, rejoindre sa voiture qui l’attendait sur une porte de sortie de secours sans doute. Et Marie avait encore des étoiles plein les yeux, qu’elle aura pendant longtemps encore.
Ce matin, 36 heures après le concert, elle avait reçu le montage que je lui ai fait : des prises de sons du concert, des photos du périple, quelques vidéos. En réponse, par mail :
« (...) merci pour tout ça et pour avoir partagé ce moment avec moi, c'était que du bonheur, un moment suspendu, un de plus dans notre grande aventure de "soeurs".
Pensée pour Kinderette et sa "grande aventure", dis lui que vivre intensément c'est une grande aventure ».
Fin.
Lilie