La lumière venait timidement me caresser la joue à travers le vitrail qui était à ma hauteur. Et ce vent, qui n’avait cessé de souffler et m’avait tenue éveillée depuis la veille ! Il était un peu plus de sept heures et demi quand j’ai choppé mon sac à dos pour y récupérer mon petit dej’ rescapé d’une attaque terroriste qui s’était produite quelques heures plus tôt. Puis, je me suis habillée, le plus chaudement possible. J’imaginais une purée de pois dehors, un brouillard comme ce que j’avais trouvé la veille, en arrivant, à midi. J’imaginais ne rien voir, et un vent à décorner les cocus.
J’ai soulevé le loquet de la veille porte latérale, petite, et arrondie de la chapelle. Puis j’ai tiré cette même porte vers moi, tout doucement. Dans mon champ de vision, haut dans le ciel face à moi, j’ai vu un quartier de lune qui brillait encore, dans un ciel cristallin, presque transparent. Quelle surprise ! Je suis sortie, et le plus beau des spectacles s’est offert à moi ! Le jour s’était levé, et sur l’horizon derrière Brennilis, un rouge intense se dégradait en violet, puis en rose, dans le ciel. Autour, le tout était bleu avec ici ou là des cicatrices blanches. Les berges du lac de Brennilis étaient violacées, pourpres, sur tout son contour, et son coeur était d’un bleu intense, profond. Je m’étais donc trompée sur le visuel, car l’horizon en 360 degrés était complètement dégagé, comme la veille au soir. Et je m’étais trompée aussi sur le ressenti. Le vent que je pensais tempétueux était en fait tout à fait supportable, et bien moindre que ce que j’imaginais dans mon abri nocturne, qui du fait de sa non isolation, n’avait fait qu’intensifier dans mes oreilles la réalité qui soufflait dehors. Je découvrais que ce que j’avais cru être gros vent toute la nuit n’avait en fait pas du souffler plus que ce que je ressentais à l’instant-même.
Il faisait froid, à cause du vent, mais j’ai admiré le spectacle pendant un long moment, me baladant autour de la chapelle, et profitant de la magie du moment, et du privilège que seule la solitude peut offrir. Je prenais pleinement ce moment pour moi toute seule. Je saluais la Vie qui recommençait à nouveau, encore, ce matin. Et j’étais heureuse d’en faire partie.
Le froid m’a poussée à retourner à l’intérieur de la chapelle. J’ai caressé ses pierres, près de la porte, avant d’y pénétrer. Je l’ai remerciée. L’ai remerciée de m’avoir accueillie ici, de m’avoir offert son toit, ses murs, sa protection. La veille, je m’étais déjà adressée à l’esprit des lieux, pour lui demander son accord, et le remercier de me laisser passer la nuit ici. Je respectais ce lieu de culte comme tel, même si ce n’était pas le miens. Alors, ce matin, j’ai eu envie de laisser un mot, une trace écrite, dans la chapelle. Et puis je me suis ravisée. Je laisserai cet endroit comme je l’avais trouvé, en y laissant simplement l’une de mes bougies à peine utilisée, dans la niche à côté du chœur, qui pourrait servir peut-être à de prochains voyageurs cherchant un abri pour la nuit. Et puis j’y ai laissé une plume, magnifique, de faucon pèlerin, qui s’était trouvée sur mon chemin, la veille, en randonnant.
Je n’arrivais pas à partir. Ni de la chapelle, ni du dehors. L’instant était beau. La Nature était belle. Une parenthèse éphémère, suspendue dans une autre dimension.
La raison est venue me sortir de cet état de rêverie. J’avais trois heures de route pour rentrer, et un impératif familial en fin d’aprèm en Vendée. Brennilis ? Et bien pour la troisième et dernière fois sur cette vadrouille, je reporterai sa visite à une prochaine fois. Peut-être ne visiterai-je jamais ce village, en tout cas, ce n’était pas sur cette virée bretonne, pas cette fois-ci. J’avais en réalité deux nuits blanches dans la vue, et entre les deux, 25 kilomètres de marche. J’avais trois heures de concentration à fournir sur la route. Alors malgré l’heure matinale, je rentrerai directement chez moi, et j’aurai ainsi le temps de m’octroyer une petite sieste de transition avant de repartir festoyer en Vendée.
Quand je suis redescendue à ma voiture, les deux vans étaient toujours là, endormis sur le parking. Les traits tirés dans le rétro, qui me reflète les coups de soleil de la veille, j’installe mes lunettes noires sur le nez, et je laisse derrière moi la Montagne Saint-Michel et les Monts d’Arrée.
Sur la départementale qui me ramenait vers Lorient, j’ai tourné la tête vers la gauche, voir si je retrouvais la demi-route qui m’avait amenée chez Angèle. Je l’ai loupée. Tant pis, je n’irai pas la saluer. De toute manière, je suis trop fatiguée, et c’est comme si j’avais besoin de ces trois heures de transition sur la route pour digérer, en solitaire, cette escapade. Tout était parfait. Absolument tout.
Au moment où je tape ces mots, je me dis que peut-être, ce serait mieux de ne pas retourner dans les Monts d’Arrée. Et de ne plus jamais dormir dans une chapelle. Garder cette expérience unique, précieuse. Et en chérir son souvenir.
Lilie