par Invité Mar 14 Jan - 11:02
Oh Dieu, les gens ont des bouzous si douloureux parfois. Il y a tant de scories que je sais maintenant que la hauteur ne suffit jamais si l'on n'ajoute pas la profondeur.
Je retranscris le feuillet de Thierry. Je me suis sentie tellement bouleversée.
Quand j'eus 10 ans, j'atteignis l'âge de raison.
Ma mère eut la très mauvaise idée, quant à elle, d'atteindre sa date de péremption. C'est un camion qui décida pour elle. Mon père sécha ses larmes qui n'avaient coulé que devant ses amis et se remaria trois mois plus tard. Ma belle-mère nantie de trois enfants en bas âge lui fit comprendre que je représentais la trace du passé et le pensionnat m'ouvrit grand ses portes.
Petites vacances à l'ombre des murs et grandes vacances en camp et colonie, je perdis très vite l'odeur de ma maison et appris au pensionnat avec mes professeurs, très vite aussi, l'art de sucer et de chier sans douleur.
Quand j'eus 20 ans, je m'aperçus que les petits enfants étaient séduisants. Le matin où, pour la première fois je regardais le garçonnet, avec concupiscence, qui venait acheter les cigarettes de son père au magasin de presse-tabac où j'avais un job, je sortis sur le trottoir et vomis entre mes jambes, dans le caniveau sous le regard dégoûté des passants.
J'entrepris dès lors une analyse qui extirpa les comédons profonds de ma désolation et de mon désespoir. Durant dix ans, je me rendis deux fois par semaine chez Allison ma psychanalyste. Une ruine financière accompagnée du bonheur parfait de me laver et me sentir propre.
Maintenant, à 40 ans, je suis célibataire et gardien de refuge. La pureté de l'air, la montagne aux couleurs mouvantes sont le décor dans lequel les jours ont, aube après aube, la saveur de la renaissance.
Une fillette, presque adolescente est installée ici pour quelques jours. Elle me suit comme une ombre soyeuse et pose mille questions.
Quand on m'a affecté Pénélope, mon aide, je fus contrarié de voir cette jeune femme qui prenait plus de temps à vernir ses ongles d'orteils qu'à faire son travail. Puis, tellement rieuse et pleine d'entrain, nous avons tissé les petites ficelles de la confiance.
Qu'elle soit lesbienne est pour moi une satisfaction. Nos rapports sont beaucoup plus libres ainsi. Et quand elle demanda l'autorisation de faire venir sa copine et la nièce de celle-ci, j'ai accepté même si le manque de place était évident.
L'enfant, Cristina regarde les gens d'une étrange manière. On dirait qu'elle voit au fond de l'âme. Elle m'a joué la partition du renard, apprivoise-moi et ça a marché. Chaque après-midi, à l'heure où le refuge est en ordre, où, depuis longtemps les randonneurs sont partis chercher leur oubli, nous partons marcher et observer les edelweiss qui ouvrent leur corolles délicates, les jonquilles qui éclaboussent de jaune l'herbe nouvelle.
Elles s'en vont dans deux jours et cette fillette sera le première enfant que j'aurais laissé m'approcher. Je suis bel et bien un homme neuf et l'ivresse qui m'agite m'a conduit à écrire dans ce carnet de notes que j'avais délaissé depuis si longtemps.
Puis, pris d'un sursaut de franchise, j'ai déchiré le feuillet que j'ai donné à Pénélope.
Maintenant, elle sait.