Et voilà, maintenant je comprends mieux ma difficulté à terminer, euh, à vrai dire à commencer mon bouquin.
Chaque fois, j'ai mon intrigue bien ficelée au bout des doigts et tout s'échappe et s'arrête en cale sèche à la troisième page. Deux mille mots les beaux jours fructueux, deux lignes les autres et le reste du temps, mon écran fait la pucelle. Vierge.
C'est compréhensible, j'invente une histoire, mes personnages n'ont aucune crédibilité parce que je ne connais rien d'eux. Alors, je m'essouffle tout de suite.
La semaine dernière par exemple j'avais commencé l'histoire d'un éboueur. Simplement parce que les camions des ordures, celui des cochonneries usuelles, suivi de celui du plastique puis de celui du verre, m'horripile à l'aube tous les jours. Je n'avais qu'à pas habiter une rue pleine de restaurants, mais j'avais pas trop le choix.
Donc je parlais d'un éboueur qui se lève avant l'aube. Ca va pas loin et ce qui aurait été bien c'est que je rencontre un éboueur, que je connaisse vraiment son job. Pour ça, il faudrait que je sorte de dessous ma couette et que je descende de mon quatrième étage sans ascenseur par l'escalier qui pue l'oignon froid et la pisse de chat et que j'interpelle un des deux éboueurs.
C'est pas mon genre. Et d'un, je suis timide et de deux je suis flemmarde et de trois, frileuse. Non, c'est mieux de râler chaque matin contre les camions et contre ma page d'écran vide avec sa barre clignotante qui attend stupidement que je la fasse avancer.
Mais là, avec la petite phrase choc que j'ai lu sur internet, c'est simplissime. Je vais faire mon roman en deux temps trois mouvements.
Je vais parler de mon nombril.
Ca va marcher, j'en suis certaine et les éditeurs vont se battre. Un truc à la Annie Ernaux, pas plus de cent pages, elle se fatigue pas celle-là et je vois pas pourquoi je m'échinerais plus.
Le bouquin pile comme les gens ont besoin, style Delerm et sa gorgée de bière avec l'épaisseur d'Ernaux. L'épaisseur du bouquin s'entend. Pas de pathos à gerber, il y en a assez, pas de réflexions métaphysicopoliticoéconomicoreligicoalgecosonacotra, rien de tout ça.
Du nombril léger et tout rond.
Un petit bouzou comme on disait dans ma famille.
Si je fais un cent pages et que je ne glande pas tous les jours, que j'écris deux pages jours et que je considère qu'une page sur mon libreOffice fait deux pages papier alors ça me fait, voyons voir, je vais prendre la calculette, ça ira plus vite.
Mais où l'ai-je fichu cette calculette, bon, laisse tomber, à la louche en un mois, c'est plié.
Et encore je suis large, ça me laisse le temps de dormir, de voir les copines, de tapoter sur femmecherchefemme , d'en ferrer une pour boire un pot et pas plus sans affinités, de traîner sur mon petit forum et tiens, mais oui, bien sûr, j'ai une idée, je vais leur mettre mes pages. Si je lis des commentaires, ca roule et s'il n'y en a aucun, ça ne veut rien dire.
Il y a deux tondus trois pelés ça fait pas référence sur mes milliers de lecteurs potentiels.
J'aime bien perdre mon temps à lire toutes les fadaises par toujours fadaises d'ailleurs ; il y en a un qui s'appelle Lahaut, qui ne lit jamais les textes longs, il fait exprès d'irriter les gens avec son machisme et moi, ça me fait rire. Une autre c'est Wapiti, elle habite en Savoie ou en Haute-Savoie je ne sais plus mais quoiqu'il en soit, elle habite là-haut et c'est elle qui se chamaille souvent avec Lahaut. On voit aussi une qui est écrivaine, une vraie parce qu'elle a publié un livre que j'ai pas acheté parce qu'il est trop cher et qui raconte super bien la Bretagne sur le forum et une, c'est Lilie qui a vécu en Irlande et qui est une randonneuse et aussi une qui grimpe sur les murs et qui est copine avec Wapiti et un, qui a un pseudonyme d'oiseau et qui écrit toujours avec des polices taille maxi et en couleur et une qui adore l'Islande et une que j'aime beaucoup mais qui ne se connecte plus du tout et je regrette, c'est une grand-mère et elle est pleine de douceur et elle vit dans les Pyrénées. Ca fait pas grand monde mais ça ronronne gentiment. Ah mais c'est vrai, j'ai oublié un intellectuel, un vieux, qui s'appelle Géob et le frère de la modératrice qui fait de la plongée.
En tout cas, je le constate, ma nature, c'est l'optimisme comme Pangloss mais pas candide du moins pas complètement.
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