Cher ami, puisque nous sommes entre deux voyages, il est temps pour nous de s'interroger sur l'état du monde. Tenez, hier, j'ai rencontré notre connaissance commune qui vitupère contre la Suisse, à propos de l'arrestation de Roman Polanski.- Allons donc !
- Oui, lui qui avait applaudi à l'arrestation de Pinochet à Londres, il renâcle parce que, dit-il, mettre en taule un type de 76 ans parce qu'il a eu des relations sexuelles avec une mineure, il y a 30 ans de cela, et que cette victime abandonne les poursuites et demande à ce que l'on n'en parle plus, à ce que l'on la laisse tranquille, sans compter qu'il avait fait 45 jours de prison et indemniser la dite victime de plus de 500 000 dollards. Ah c'est trop facile ! Ce n'est pas à la victime de décider ce que doit être la marche inexorable de la justice.
- Parfaitement ! Pour Battisti, soupçonné de crime de sang, il y a vingt ans, c'est exactement pareil ! Et puis, notre ami a aussi applaudi à l'arrestation de Klaus Barbie, même 50 ans plus tard ! Mais vous savez ce qu'il a osé me dire ?
- Non !
- Mettre sur le même plan ce qu'a fait Polanski avec Pinochet, Battisti, Barbie, c'est une monstruosité ahurissante ! Pour notre ami, une société qui ne sait plus discriminer, comprendre, réaliser le degré de gravité ou non d'un acte, et qui décide que tout est égal et que tout se vaut, est une société qui ne fabrique plus des citoyens capables de penser par eux mêmes, mais des citoyens qui ne se pensent que dans leurs fonctions de consommateurs occupés rien qu'à leur bien être.
- Effarant ! Le pire, à propos de cette jeune fille américaine, notre ami a eu le toupet de me demander pourquoi personne n'a évoqué sa mère qui a accepté de l'envoyer, toute seule, dans une villa hollywoodienne faire des photos avec ce cinéaste ! C'est pourquoi il a été satisfait de lire dans Libération, l'article d'une écrivaine, Simone...machin chose, j'ai oublié son nom, qui écrit carrément que l'on doit protéger les jeunes filles de leurs mères et non de Roman Polanski. Parce que cette mère, mannequin raté, a voulu réussir par procuration ! En plus, cette adolescente avait déjà eu des relations sexuelles avec son petit ami, apprend-on autre part. Et alors ? La loi est la loi, elle dit qu'elle est mineure, donc c'est un délit ! Nous vivons dans un monde parfait, où nous n'avons plus à réfléchir sur un acte répréhensible, la loi réfléchit pour nous !
- Bravo ! Le comble, notre ami commun m'a demandé pourquoi je ne suis pas scandalisé par le fait qu'en Inde, au Pakistan, et d'autres pays, on oblige des petites filles de dix ans à se marier avec des hommes de 30, 40 ans, voir plus !
- Mais c'est leurs traditions, leurs lois à eux ! Décidément, il ne veut rien respecter, notre ami ! Heureusement que nous, nous avons compris que nous vivons dans un monde parfait ! Vivement que je prenne l'avion pour ne plus rencontrer notre ami commun qui ne comprendra jamais que ce qu'a commis Polanski est aussi grave que la dictature de Pinochet !
- Et j'ajouterai aussi grave que la Shoah ! Polanski est un monstre qui doit payer !
- Bravo ! les Etatsuniens ont raison de ne pas rendre cet acte imprescriptible, pas comme chez nous, en France, où nous avons besoin d'une restauration morale !
- Nous sommes d'accord : dura lex sed lex !
Petit commentaire
En écrivant ce dialogue, je voyais deux personnages autour d'un guéridon, sur lequel reposaient deux ballons de rouges, en train de discourir sur l'actualité, comme on le voyait dans "Charlie Hebdo" avant Philippe Val. Les deux personnes représentent la vox populi, donc ils ne reflètent pas ce que je pense, en revanche on peut me trouver un petit peu dans "notre connaissance commune", qui intègre aussi les propos de Alain Finkelkraut auxquels je souscris à 100 %. Quand un personnage dit que l'affaire Battisti, poursuivi par la justice italienne pour un crime de sang depuis plus de vingt ans, est "du pareil au même" avec celle du cinéaste, je ne fais que reprendre les propos de Yves Michaud, philosophe (!) - aussi pour la comparaison avec Pinochet ! On trouvera peut être exagéré que, puisque l'amalgame semble être le socle de la pensée d'aujourd'hui, je fais évoquer la Shoa. Exagéré ? En tous les cas, ce n'est pas de mon fait ; souvenez-vous des propos de la mère de ce fils massacré par ce qu'on a surnommé "le gang des barbares", qu'a-t-elle crié après l'énoncé du verdict qu'elle trouvait honteux ? Textuellement : "c'est la Shoa qui recommence !" Bien sûr, une mère qui perd son enfant dans des conditions aussi atroces exprime sa douleur, mais en tant que juive elle se devait de ne pas participer à la banalisation de ce crime à l'échelle industrielle, cette monstruosité qu'on ne doit pas oublier, jamais. Comment a réagi Julos Beaucarne quand sa femme a été sauvagement assasinée ? En écrivant une lettre bouleversante, que Claude Nougaro dit dans un enregistrement, tant la grandeur d'âme de cet homme avait ému, frappé l'opinion à cette époque. Voici donc les effets de l'amalgame : on réduit tout au même niveau, ce qui permet de banaliser l'effroyable ! En parlant de Julos Beaucarne, je ne fais que montrer que devant un drame les gens ne réagissent pas de la même façon, que la grandeur d'âme n'est pas donnée à tout le monde, ni à moi, et que toutes les douleurs sont respectables.
En ce qui concerne le manque d'intérêt du rôle de la mère de cette jeune fille américaine, cela m'a toujours frappé. C'est pourquoi j'ai été agréablement surpris de lire cet article...écrit par une femme !
http://www.liberation.fr/cinema/0101595269-le-desir-la-jeune-fille-et-la-mere
- Oui, lui qui avait applaudi à l'arrestation de Pinochet à Londres, il renâcle parce que, dit-il, mettre en taule un type de 76 ans parce qu'il a eu des relations sexuelles avec une mineure, il y a 30 ans de cela, et que cette victime abandonne les poursuites et demande à ce que l'on n'en parle plus, à ce que l'on la laisse tranquille, sans compter qu'il avait fait 45 jours de prison et indemniser la dite victime de plus de 500 000 dollards. Ah c'est trop facile ! Ce n'est pas à la victime de décider ce que doit être la marche inexorable de la justice.
- Parfaitement ! Pour Battisti, soupçonné de crime de sang, il y a vingt ans, c'est exactement pareil ! Et puis, notre ami a aussi applaudi à l'arrestation de Klaus Barbie, même 50 ans plus tard ! Mais vous savez ce qu'il a osé me dire ?
- Non !
- Mettre sur le même plan ce qu'a fait Polanski avec Pinochet, Battisti, Barbie, c'est une monstruosité ahurissante ! Pour notre ami, une société qui ne sait plus discriminer, comprendre, réaliser le degré de gravité ou non d'un acte, et qui décide que tout est égal et que tout se vaut, est une société qui ne fabrique plus des citoyens capables de penser par eux mêmes, mais des citoyens qui ne se pensent que dans leurs fonctions de consommateurs occupés rien qu'à leur bien être.
- Effarant ! Le pire, à propos de cette jeune fille américaine, notre ami a eu le toupet de me demander pourquoi personne n'a évoqué sa mère qui a accepté de l'envoyer, toute seule, dans une villa hollywoodienne faire des photos avec ce cinéaste ! C'est pourquoi il a été satisfait de lire dans Libération, l'article d'une écrivaine, Simone...machin chose, j'ai oublié son nom, qui écrit carrément que l'on doit protéger les jeunes filles de leurs mères et non de Roman Polanski. Parce que cette mère, mannequin raté, a voulu réussir par procuration ! En plus, cette adolescente avait déjà eu des relations sexuelles avec son petit ami, apprend-on autre part. Et alors ? La loi est la loi, elle dit qu'elle est mineure, donc c'est un délit ! Nous vivons dans un monde parfait, où nous n'avons plus à réfléchir sur un acte répréhensible, la loi réfléchit pour nous !
- Bravo ! Le comble, notre ami commun m'a demandé pourquoi je ne suis pas scandalisé par le fait qu'en Inde, au Pakistan, et d'autres pays, on oblige des petites filles de dix ans à se marier avec des hommes de 30, 40 ans, voir plus !
- Mais c'est leurs traditions, leurs lois à eux ! Décidément, il ne veut rien respecter, notre ami ! Heureusement que nous, nous avons compris que nous vivons dans un monde parfait ! Vivement que je prenne l'avion pour ne plus rencontrer notre ami commun qui ne comprendra jamais que ce qu'a commis Polanski est aussi grave que la dictature de Pinochet !
- Et j'ajouterai aussi grave que la Shoah ! Polanski est un monstre qui doit payer !
- Bravo ! les Etatsuniens ont raison de ne pas rendre cet acte imprescriptible, pas comme chez nous, en France, où nous avons besoin d'une restauration morale !
- Nous sommes d'accord : dura lex sed lex !
Petit commentaire
En écrivant ce dialogue, je voyais deux personnages autour d'un guéridon, sur lequel reposaient deux ballons de rouges, en train de discourir sur l'actualité, comme on le voyait dans "Charlie Hebdo" avant Philippe Val. Les deux personnes représentent la vox populi, donc ils ne reflètent pas ce que je pense, en revanche on peut me trouver un petit peu dans "notre connaissance commune", qui intègre aussi les propos de Alain Finkelkraut auxquels je souscris à 100 %. Quand un personnage dit que l'affaire Battisti, poursuivi par la justice italienne pour un crime de sang depuis plus de vingt ans, est "du pareil au même" avec celle du cinéaste, je ne fais que reprendre les propos de Yves Michaud, philosophe (!) - aussi pour la comparaison avec Pinochet ! On trouvera peut être exagéré que, puisque l'amalgame semble être le socle de la pensée d'aujourd'hui, je fais évoquer la Shoa. Exagéré ? En tous les cas, ce n'est pas de mon fait ; souvenez-vous des propos de la mère de ce fils massacré par ce qu'on a surnommé "le gang des barbares", qu'a-t-elle crié après l'énoncé du verdict qu'elle trouvait honteux ? Textuellement : "c'est la Shoa qui recommence !" Bien sûr, une mère qui perd son enfant dans des conditions aussi atroces exprime sa douleur, mais en tant que juive elle se devait de ne pas participer à la banalisation de ce crime à l'échelle industrielle, cette monstruosité qu'on ne doit pas oublier, jamais. Comment a réagi Julos Beaucarne quand sa femme a été sauvagement assasinée ? En écrivant une lettre bouleversante, que Claude Nougaro dit dans un enregistrement, tant la grandeur d'âme de cet homme avait ému, frappé l'opinion à cette époque. Voici donc les effets de l'amalgame : on réduit tout au même niveau, ce qui permet de banaliser l'effroyable ! En parlant de Julos Beaucarne, je ne fais que montrer que devant un drame les gens ne réagissent pas de la même façon, que la grandeur d'âme n'est pas donnée à tout le monde, ni à moi, et que toutes les douleurs sont respectables.
En ce qui concerne le manque d'intérêt du rôle de la mère de cette jeune fille américaine, cela m'a toujours frappé. C'est pourquoi j'ai été agréablement surpris de lire cet article...écrit par une femme !
http://www.liberation.fr/cinema/0101595269-le-desir-la-jeune-fille-et-la-mere