Liguria Express

Lorsque je débarque une quinzaine de minutes plus tard à Vernazza, je prends plaisir à découvrir seule ce village coloré en descendant la grande avenue (piétonne, bien sûr) jusqu'au bord de mer, le petit port, la jetée. Enfin, seule je ne le suis pas vraiment, ce village étant le plus touristique de ceux que nous visitons, et une grande partie de la meute haut-savoyarde déambulant de-ci de-là en groupettos plus ou moins discrets. De fait, il en manque, de nos fauves, dans ces ruelles : la plage étant ici condamnée pour des raisons de sécurité en cette période (au grand dam de la collègue organisatrice), autorisation a été faite de pousser jusqu'au village suivant, Monterosso del Mare, pour celles et ceux qui voulaient à tout prix goûter de la Méditerranée. Deux profs les accompagnent, sécurité oblige.

Après avoir fait le tour des quelques ruelles visitables, fureté très peu dans quelques boutiques de souvenirs et produits du terroir à portée de chaussures, pris quelques clichés, j'abandonne l'idée de grimper aux vestiges du château et sa tour Belforte aux rudes escaliers dans lesquels il faut accepter de vivre dans la file d'attente peuplée de touristes et d'élèves, et décide de rejoindre ma collègue en terrasse d'un café sur la place de l'église au clocher octogonal, entre ville et port.
Les pieds apprécient d'être libérés des godillots, le soleil accepte de nous réchauffer et hâler, le temps se ralentit un peu, le panorama villageois et portuaire est des plus agréables. Les pêcheurs qui travaillent à leurs embarcations, les papis qui tiennent salon sous un des arbres de la grande place, les échos de quelques bavardages féminins dans les appartements des immeubles voisins, la douceur printanière, quelques effluves maritimes ou sucrées... Définitivement, cette pause me donne des envies de reviens-y en Cinque Terre.

La pause n'est bien sûr que de courte durée, l'après-midi se termine et il nous faut récupérer les troupes et rentrer sur La Spezia.
Je suis la première à grimper dans le premier train de retour, avec la dizaine de sérieuses et fatigués, légèrement en avance sur le rendez-vous en gare. Nous serons donc le premier "wagon" à profiter une dernière fois du paysage escarpé méditerranéen qui défile entre les tunnels et les gares, et à attendre sur la placette sans charme face à la gare.
Le mot d'ordre : personne ne s'éloigne !
Autour, il n'y a rien d'intéressant à visiter, voir, faire, boire... L'attente est longue. Les trains sont cadencés de 5 minutes en 10 minutes et déversent des grappes plus ou moins importantes d'élèves en provenance de Vernazza et Monterosso. A chaque arrivage je compte, je recompte, les nouveaux, les anciens... Il en manque encore, toujours... Les deux collègues de Monterosso arrivent enfin avec leurs retardataires... Nous n'attendons que la collègue restée à Vernazza, qui a fini par capituler et rentrer seule, persuadée qu'il en manquait encore.
Plus d'une heure les premiers auront attendu sagement ; définitivement quasi-irréprochables dans leur comportement, ces élèves de cette promo là.

Une dernière épreuve nous attend, avant l'épreuve ultime du retour, celle de cumuler encore quelques kilomètres supplémentaires pour traverser la ville et rejoindre la pizzeria réservée pour ce soir, à côté de laquelle devrait nous attendre notre bus. Avec le retard pris et malgré les ampoules et les muscles fatigués, la marche se doit d'être rapide ; ça commence à râler un peu dans les rangs, à médire sur le chauffeur qui a refusé de nous épargner cette marche... La frustration grandit chez les amatrices, surtout, et amateurs, aussi, de shopping : même pas le temps de lécher les vitrines ! Les doudous-électroniques-à-tout-faire des élèves jouent les guides,pas forcément toujours raccords sur le point de destination et le circuit idéal à emprunter, et comptent les pas. Record battu : jusqu'à 18 kilomètres certains afficheront lorsque, épuisés, nous nous affalerons autour de l'immense table de la pizzeria qui ressemble plus à une cantine.

Soixante quatre couverts, c'est long à servir, même s'il s'agit juste de grosses parts de pizzas. Les carafes d'eau à peine remplies sont séchées ; certains élèves se proposent même à participer au service, après tout, c'est leur futur métier... Tous n'auront pas le temps d'avaler le petit pot de glace sans relief prévu en guise de dessert. Nombreux sont ceux qui rêvent d'une crudité, fruit ou salade.

La nuit tombe quand la troupe grimpe dans le car pour une longue nuit de route. Toutes et tous ont bien compris qu'il n'y aurait qu'une seule "pause technique", celle imposée par les disques de contrôle du chauffeur. Toutes et tous ont pris leurs précautions, en terme de stock de boisson (l'air italien ? la journée de marche ? la pizza ? Nous sommes tous victimes d'une soif semble-t-il sans fin) et de vidange.
J'enfile une dernière fois mon costume d'hôtesse de l'air allemande alors que le chauffeur éteint déjà les plafonniers pour vérifier que chacun est bien présent et attaché à son siège.
En me retournant depuis mon siège, j'ai la sensation bizarre de ne pas être dans un car scolaire terrestre mais plutôt à l'entrée d'une navette intersidérale aux passagers plongés dans un sommeil salvateur ou dans un dortoir d'hôpital ultramoderne : dans un silence frémissant à peine de quelques chuchotements et bruissements vestimentaires résiduels, à chaque place les lumières bleutées des mini-écrans font échos aux veilleuses bleues du plafond, plafond duquel pendent les fils d'alimentation tels des goutte-à-goutte vitaux pour les corps pelotonnés sur leurs sièges.

La nuit sera longue pour ceux qui, comme moi, ne trouvent pas le sommeil.
La pression est sur les épaules du chauffeur qui sait que certains élèves ont un train à attraper vers 5h du matin, et qui ne veut (ou ne peut) prendre la route la moins longue et la plus rapide passant sous le Mont-Blanc. Cela le conduira, après des heures d'autoroutes et routes sous la pluie italienne, à une descente folle du Col du St Bernard, à faire frémir ceux qui gardent les yeux ouverts et ressentent les accélérations et freinages à répétitions, les virages pris à la limite de la rupture d'adhérence... Ceux qui ont dormi se rappelleront juste de ce dos d'âne sur lequel le car, roulant probablement à 80 ou 90 km/h en plein centre de ce village en rive lémanique, a littéralement décollé, faisant valdinguer bagages et élèves mal arrimés et prendre conscience à tous de l'utilité de la ceinture de sécurité.

Vers 9h30, au bout de près de 4 heures d'attente frileuse sur le trottoir devant les portes closes du lycée, les derniers élèves sont récupérés par les parents les moins attentionnés et nous pouvons enfin rentrer dans nos pénates respectives.
Mission réussie pour tous.