- J’ai perdu Mike il y a 2 ans.
La nouvelle raisonne comme le gong d’une cloche d’église. Trois heures après, toujours aussi intensément. J’ai l’impression que c’était hier, hier qu’elle m’avait annoncée s’être mariée. Un an tout au plus. Que s’est-il passé? Où sont passées ces années ?
Elle a une quinzaine d’années de plus que moi. On s’était rencontrées à mon arrivée à Dublin, elle arrivait du Royaume-Uni où elle avait vécu quelques années déjà. Avait quitté la France à trente ans, l’âge où la plupart se pose à vitam aeternam. Quelques temps après qu’un fichu cancer avait emporté papa, puis dans la foulée maman. J’avais vingt ans quand on s’était rencontrée, elle en avait l’âge que j’ai aujourd’hui. Des soirées à refaire le monde, j’adorais son non conformisme, et sa liberté de vivre. Elle disait merde à son boss dès qu’un job l’emmerdait, dès qu’elle ne recevait plus à hauteur de ce qu’elle était capable de donner. Pendant ses deux ans et demi à Dublin, je ne l’avais jamais connu avec un mec, et les aventures, ce n’était pas pour elle. Elle n’avait jamais vécu avec un homme et n’en éprouvait pas le besoin, encore moins celui d’avoir des enfants. J’avais récupéré sa piaule et ses collocs quand elle était repartie en UK. Elle n’avait jamais retrouvé à Dublin l’authenticité qu’elle avait laissé sur l’Ile d’à côté. Elle avait fait un saut en France entre les deux, mais n’avait pas réussi à se réadapter et était vite repartie dans sa vie britannique. Et puis, quelques années plus tard elle avait fait une deuxième tentative française. Elle était rentrée en France avant moi, et à mes débuts Français, tout aussi chaotiques que les siens, on se bigophonait régulièrement : elle était la seule à pouvoir me comprendre, et c’était réciproque. Elle a insisté deux ans, et puis à fini par repartir en UK. Brouillée avec amis et famille qui lui reprochaient son égoïsme. Mais pendant ce temps en France, elle retournait régulièrement en Grande Bretagne, où elle avait un petit cercle d’amis. Dont Mike, un homme dont elle m’avait déjà parlé à l’époque à Dublin et avec qui je savais qu’elle partageait de nombreuses randonnées. Depuis longtemps, en toute amitié. Il s’était déclaré une première fois des années auparavant, elle avait d’ailleurs bondi sur son siège tant elle n’avait pas vu la chose venir.
- Mais non, Mike ! Amis, on est amis !
Jamais l’idée d’une relation amoureuse avec lui n’avait traversée sa tête, encore moins son coeur. Il avait tout de même souhaité conserver leur relation amicale (et platonique depuis toujours). Et puis, il s’était déclaré une seconde fois. Et pareil, elle avait bondi, pensant que ses sentiments à lui étaient passés, et ne le percevant en aucun cas comme autre qu’un ami de randonnée. Et puis, au fur et à mesure de la difficile parenthèse française de mon amie, leur relation amicale était devenue amoureuse. Je l’avais compris au fil des conversations téléphoniques, sans que jamais elle ne me le dise ouvertement. Elle faisait régulièrement des allers-retours pour le rejoindre le week-end, sans pour autant envisager une quelconque vie commune, elle qui avait toujours vécue seule. Et puis la réadaptation à la France n’eut jamais lieu, et elle repartit au Royaume-Uni. Nos échanges s’étaient fait beaucoup plus rares, simplement parce que la distance, la vie... jusqu’à devenir inexistants.
Et puis un jour (hier, trois ans en réalité), pour son anniv, j’avais pris de ses nouvelles par mail. En retour, un long mail :
- J'y vis avec Mike... maritalement ... en tout bien tout honneur. Nous nous sommes mariés fin Avril après environ 2 ans de vie commune, un pack'son d'années de rando en commun, de parties de badminton (c'est moi qui gagne en général), de bourlingages, de popotes sympas, et tant d'autres choses ...
J’en étais tombée de ma chaise. Quoi ? Elle, l’éternelle indépendante, mariée pour la première fois à cinquante piges ? Mais depuis quand les poules avaient-elles des dents ?!
Cette semaine, j’ai eu envie de reprendre de ses news. Et ce soir, on avait convenu le téléphone. Je n’avais plus entendu le son de sa voix depuis des années. Sa voix toujours aussi jeune. Que c’était bon de l’entendre !
- Hey ! Hey ! Que deviens-tu ma belle ?
La nouvelle, la première, naturellement. J’étais assise. J’aurais pu tomber.
- Oh non... Mais... Maladie ?
- Oui, un cancer.
- Oh non ! Non ! T’as déjà perdu il me semble ton papa et ta maman par ce fichu crabe !...
- Oui.
- Il me semble que vous aviez un écart d’âge, mais quand même, il n’était pas vieux, Mike ?
- Oui, on avait un écart assez conséquent, mais non effectivement, il n’était pas vieux.
Je faisais le calcul dans ma tête sans pour autant réussir à aligner les chiffres, mais je comprenais une chose pour sur, c’est qu’elle n’aura pas été mariée longtemps. Quelle injustice !
- Tu sais, j’ai mis du temps à m’en remettre, je ne pensais pas, parce que j’avais toujours vécu seule avant lui, alors je pensais que j’allais vite retrouver mes habitudes et ma vie d’avant. Mais tu sais Lilie, je n’avais jamais connu ça avant lui. C’était mon soulmate. On a été amis pendant des années, puis un jour je suis partie en vacances en Thaïlande et je me suis aperçue qu’il me manquait. Ca s’est fait comme ça, naturellement. Et quand je suis revenue en UK, on ne s’est pas posé la question, je suis venue habiter chez lui. On s’est pris le chou un peu au début, parce que moi, tu me connais, des fois, je sortais avec mes collègues après le taf, et je ne le prévenais pas. Et lui il m’appelait et moi je ne regardais pas mon portable. Je n’avais jamais eu l’habitude que quelqu’un s’inquiète de moi...
Oh mon amie ! Où sont passées ces années que je n’ai pas vécu dans ta vie ? Je ne les ai pas vues passer et il s’est passé tellement de choses ! Deux heures au téléphone pour combler ce temps, et c’était comme si je t’avais laissée hier. De ces amitiés qu’on laisse sur la route et qu’on reprend des années après, là où on les avait laissées. Des naissances, des mariages, et des décès en plus.
Lilie
La nouvelle raisonne comme le gong d’une cloche d’église. Trois heures après, toujours aussi intensément. J’ai l’impression que c’était hier, hier qu’elle m’avait annoncée s’être mariée. Un an tout au plus. Que s’est-il passé? Où sont passées ces années ?
Elle a une quinzaine d’années de plus que moi. On s’était rencontrées à mon arrivée à Dublin, elle arrivait du Royaume-Uni où elle avait vécu quelques années déjà. Avait quitté la France à trente ans, l’âge où la plupart se pose à vitam aeternam. Quelques temps après qu’un fichu cancer avait emporté papa, puis dans la foulée maman. J’avais vingt ans quand on s’était rencontrée, elle en avait l’âge que j’ai aujourd’hui. Des soirées à refaire le monde, j’adorais son non conformisme, et sa liberté de vivre. Elle disait merde à son boss dès qu’un job l’emmerdait, dès qu’elle ne recevait plus à hauteur de ce qu’elle était capable de donner. Pendant ses deux ans et demi à Dublin, je ne l’avais jamais connu avec un mec, et les aventures, ce n’était pas pour elle. Elle n’avait jamais vécu avec un homme et n’en éprouvait pas le besoin, encore moins celui d’avoir des enfants. J’avais récupéré sa piaule et ses collocs quand elle était repartie en UK. Elle n’avait jamais retrouvé à Dublin l’authenticité qu’elle avait laissé sur l’Ile d’à côté. Elle avait fait un saut en France entre les deux, mais n’avait pas réussi à se réadapter et était vite repartie dans sa vie britannique. Et puis, quelques années plus tard elle avait fait une deuxième tentative française. Elle était rentrée en France avant moi, et à mes débuts Français, tout aussi chaotiques que les siens, on se bigophonait régulièrement : elle était la seule à pouvoir me comprendre, et c’était réciproque. Elle a insisté deux ans, et puis à fini par repartir en UK. Brouillée avec amis et famille qui lui reprochaient son égoïsme. Mais pendant ce temps en France, elle retournait régulièrement en Grande Bretagne, où elle avait un petit cercle d’amis. Dont Mike, un homme dont elle m’avait déjà parlé à l’époque à Dublin et avec qui je savais qu’elle partageait de nombreuses randonnées. Depuis longtemps, en toute amitié. Il s’était déclaré une première fois des années auparavant, elle avait d’ailleurs bondi sur son siège tant elle n’avait pas vu la chose venir.
- Mais non, Mike ! Amis, on est amis !
Jamais l’idée d’une relation amoureuse avec lui n’avait traversée sa tête, encore moins son coeur. Il avait tout de même souhaité conserver leur relation amicale (et platonique depuis toujours). Et puis, il s’était déclaré une seconde fois. Et pareil, elle avait bondi, pensant que ses sentiments à lui étaient passés, et ne le percevant en aucun cas comme autre qu’un ami de randonnée. Et puis, au fur et à mesure de la difficile parenthèse française de mon amie, leur relation amicale était devenue amoureuse. Je l’avais compris au fil des conversations téléphoniques, sans que jamais elle ne me le dise ouvertement. Elle faisait régulièrement des allers-retours pour le rejoindre le week-end, sans pour autant envisager une quelconque vie commune, elle qui avait toujours vécue seule. Et puis la réadaptation à la France n’eut jamais lieu, et elle repartit au Royaume-Uni. Nos échanges s’étaient fait beaucoup plus rares, simplement parce que la distance, la vie... jusqu’à devenir inexistants.
Et puis un jour (hier, trois ans en réalité), pour son anniv, j’avais pris de ses nouvelles par mail. En retour, un long mail :
- J'y vis avec Mike... maritalement ... en tout bien tout honneur. Nous nous sommes mariés fin Avril après environ 2 ans de vie commune, un pack'son d'années de rando en commun, de parties de badminton (c'est moi qui gagne en général), de bourlingages, de popotes sympas, et tant d'autres choses ...
J’en étais tombée de ma chaise. Quoi ? Elle, l’éternelle indépendante, mariée pour la première fois à cinquante piges ? Mais depuis quand les poules avaient-elles des dents ?!
Cette semaine, j’ai eu envie de reprendre de ses news. Et ce soir, on avait convenu le téléphone. Je n’avais plus entendu le son de sa voix depuis des années. Sa voix toujours aussi jeune. Que c’était bon de l’entendre !
- Hey ! Hey ! Que deviens-tu ma belle ?
La nouvelle, la première, naturellement. J’étais assise. J’aurais pu tomber.
- Oh non... Mais... Maladie ?
- Oui, un cancer.
- Oh non ! Non ! T’as déjà perdu il me semble ton papa et ta maman par ce fichu crabe !...
- Oui.
- Il me semble que vous aviez un écart d’âge, mais quand même, il n’était pas vieux, Mike ?
- Oui, on avait un écart assez conséquent, mais non effectivement, il n’était pas vieux.
Je faisais le calcul dans ma tête sans pour autant réussir à aligner les chiffres, mais je comprenais une chose pour sur, c’est qu’elle n’aura pas été mariée longtemps. Quelle injustice !
- Tu sais, j’ai mis du temps à m’en remettre, je ne pensais pas, parce que j’avais toujours vécu seule avant lui, alors je pensais que j’allais vite retrouver mes habitudes et ma vie d’avant. Mais tu sais Lilie, je n’avais jamais connu ça avant lui. C’était mon soulmate. On a été amis pendant des années, puis un jour je suis partie en vacances en Thaïlande et je me suis aperçue qu’il me manquait. Ca s’est fait comme ça, naturellement. Et quand je suis revenue en UK, on ne s’est pas posé la question, je suis venue habiter chez lui. On s’est pris le chou un peu au début, parce que moi, tu me connais, des fois, je sortais avec mes collègues après le taf, et je ne le prévenais pas. Et lui il m’appelait et moi je ne regardais pas mon portable. Je n’avais jamais eu l’habitude que quelqu’un s’inquiète de moi...
Oh mon amie ! Où sont passées ces années que je n’ai pas vécu dans ta vie ? Je ne les ai pas vues passer et il s’est passé tellement de choses ! Deux heures au téléphone pour combler ce temps, et c’était comme si je t’avais laissée hier. De ces amitiés qu’on laisse sur la route et qu’on reprend des années après, là où on les avait laissées. Des naissances, des mariages, et des décès en plus.
Lilie