Regarde les hommes pitoyables.
Alors ? Va-t-il se marier ou pas ? Hier, il est venu chez Chian House, il s'est attablé devant une bière et il a raconté. Il a raconté que le mariage est compromis pour une histoire d'argent, sa future femme lui en demande trop, il y en a jamais assez ! Et puis il faut verser une dote à la mère, la mère qui sourit quand on lui donne un billet de banque, qui fait la gueule s'il faut en sortir un, mais ce n'est pas le genre de la maison ! Il avait prévu 50 000 baths pour toute la noce, ça suffit pas, on avance vers le double !
Il y aura huit cents personnes, donc il faut acheter plus de cochons, plus de bière, quand c'est la fête on ne mégote pas ! Du coup, comme tous les "farangs" confrontés à ce genre de problèmes avec leurs relations thaïlandaises, il renâcle, la colère le gagne et lui décille les yeux, enfin, pas complètement : il en a marre d'être pris pour une banque, il veut être aimer pour lui même, et c'est là, comme chez beaucoup d'autres, qu'il refuse de sauter le pas décisif qui conduit vers la lucidité totale, celle d'un homme adulte. En effet, il faut être un enfant pour s'imaginer qu'une femme d'une ethnie, ou une thaïlandaise, tombera amoureuse d'un occidental rien que pour ses beaux yeux, d'un individu si étrange qui ne pense pas pareil , forcément riche puisqu'il a pris un avion pour venir en Thaïlande. Mais pour lui, le choc culturel est bien plus profond : il s'est entiché d'une femme Lisu, une ethnie des montages, alors ce n'est pas qu'une femme et sa famille qu'il doit épouser, c'est tout le village ! Dans ce village, il passe comme un fantôme, il n'est pas des leurs, c'est juste un ami de cette femme, et il fait chambre à part dans la famille de celle-ci pour respecter les traditions. On attend du " farang" à boire et à manger, quant au reste, on ne lui demande rien, surtout qu'il ne se mêle pas des choses qui ne le regarde pas !
Sa future épouse a un garçon de 21 ans qui ne travaille pas, mais sait lever le coude et vider les bouteilles qui ne lui appartiennent pas. Dernièrement, la mère l'a engueulé à ce sujet, mais il s'est mis en colère et il a voulu tout casser, pour montrer ainsi qu'il n'avait que faire du "farang". Mais ce dernier a voulu faire preuve d'autorité, réagir en occidental, et, les poings fermés, en position de boxeur, il lui a dit "viens te battre !". Le garçon est parti, sans demander son reste. Il nous a raconté cette anecdote, virilement satisfait de lui avoir fait perdre la face, mais moi, pour ne pas ajouter à ses problèmes, je ne lui ai pas dit qu'il avait fait une grave erreur : le "bad boy"se vengera tôt ou tard, et il ne sera pas seul pour venir le tabasser, il y aura tous ses copains avec lui.
Le plus beau dans toute cette histoire que j'écris au débotté, sans trop entrer dans les détails, le plus beau, dis-je, c'est que les lisus ne sont pas si dépourvus que ça. Ils fonctionnent en coopérative et ils s'en sortent très bien. D'ailleurs la mère de sa future épouse est sans doute millionnaire. Quand elle a des problèmes de santé, il s'en occupe. Il nous a raconté qu'il l'avait emmené à l'hôpital, parce les membres de cette famille ont considéré que, puisqu'il y avait un blanc, c'était à lui de s'en occuper. Pendant l'auscultation, il a jeté un coup d’œil dans sa sacoche : il y avait 10 000 baths ! (environ 250 € ), mais elle n'a pas voulu payer, c'est lui qui a sorti la monnaie !
Si sa future avait été une thaïlandaise, il aurait eu les mêmes ennuis. Un suisse en a fait l'expérience. Il tenait une guest house avec sa femme thaïe, mais un jour, à six heures du matin, il s'est enfui avec sa voiture, emportant que ses vêtements, en lui laissant tout le reste. C'était une question de survie... s'il voulait garder sa peau sur ses os !
Que d'histoires, que de déconvenues pour avoir de l'amour, de la tendresse ! Ça ne s'achète pas, d'ailleurs c'est hors de prix ! Je l'ai entendu dire qu'il aimerait tant dormir avec sa femme et lui faire l'amour. Qu'est-ce que nous pouvons être pitoyables, nous les hommes , pour agir comme des enfants, toujours en quête d'une présence féminine qui nous transcende la vie. Pitoyables parce que nous refusons la réalité ! Combien d'histoires pourrais-je raconter, toutes identiques ! Toujours avec les mêmes épisodes, comme celui de la grand mère qui va se faire opérer, alors donne moi de l'argent "farang" ! Ou alors se sont des traites à payer, etc, enfin, passons.
Combien se sont retrouvés lessivés parce qu'ils ont rêvé en Thaïlande, le pays du sourire, le paradis des naïfs ?
Ce matinEn fin de compte, le mariage n'aura pas lieu, c'est décidé. Il est venu ce matin, il nous a dit qu'il a pris cette décision et qu'il est soulagé. Il ne subit plus, il agit, il a grandi.
Ce soirBig party ! Il a arrosé et fêté sa décision ! La table était bien garnie, la patronne de Chian House et son mari ont bien cuisiné. Les joints ont circulé, les bières ont défilé. Il a eu un coup de barre tout à l'heure, je n'ai jamais vu quelqu'un perdre ses couleurs aussi vite : il était d'une blancheur inquiétante ! Les gens qu'il a invité sont partis, et moi je n'ai eu que vingt mètres à faire pour regagner ma chambre, les paupières lourdes, et la syntaxe incertaine.
Et dire qu'il avait fait imprimer les cartons d'invitations !