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Scène de crime
Lundi matin, je remonte la rue Bonaparte pour me rendre au jardin du Luxembourg,. J'arrive aux abords de la place St Sulpice, et je remarque tout de suite le ruban jaune qui entoure la fontaine. A l'intérieur du périmètre, deux ou trois personnes, entièrement recouvertes d'une combinaison blanche, semblent s'affairer un genou posé sur le sol. Qu'est-ce qui se passe ? Il tourne un film, ou quoi ? Alors je vois, tout autour de la fontaine, une multitude de décalques de petites silhouettes, dont certaines sont marquées par un petit panneau avec un chiffre dessus, bref, ces gens là veulent évoquer une scène de crime avec un minimum de réalisme.
Je tourne autour de la fontaine, sans entrer dans le périmètre bien sûr, et je repère deux jeunes gens en train de discuter avec un couple. Ils portent un badgne de "Action contre la faim". Ah bon ! D'accord ! C'est donc une opération spectaculaire de cette O.N.G. qui effectue un travail digne d'éloges. A vrai dire, je ne comprends pas bien la finalité de tout ce cinéma. Je m'arrête pour regarder l'eau diaphane, irrisée par la lumière rasante de ce soleil pour moi déjà d'hiver, qui déborde d'un bassin pour tomber dans celui du bas, quand on m'interpelle soudainement. Je sursaute. Deux jeunes filles d'Action contre la faim - les Dupont et Dupont de la bonne conscience - m'attaque à peu près de cette manière :
- Bonjour monsieur, la faim dans le monde occasionne la mort de 10 000 personnes. Voulez-vous, comme nous, lutter contre ce crime, ne peut en être complice ?
Un peu interloqué, je réponds aussi sec :
- Ah oui ! Je sais ! Tout ça c'est la faute des méchants occidentaux !
- Mais non, mais non, disent-elles en souriant.
- La faim dans le monde est avant tout politique, dis-je. Ainsi, en Afrique, tous ces potentats qui détournent l'argent public à des fins d'enrichissement personnel, et viennent en France s'acheter du patrimoine. Vous êtes en courant ? Les comptes en Suisse, etc, etc.
- D'accord, d'accord, dit l'une d'entre elles, mais vous pouvez quand faire quelque chose pour marquer le coup.
Elle prend le carton blanc qu'elle gardait sous le bras, et avec ses deux mains elle le tient devant elle, au niveau de la poitrine. Dessus, il y a inscrit que la faim dans le monde, 10 000 morts, un crime, complicité...
- Voilà, dit-elle. Acceptez vous d'être prit en photo, avec ce carton devant vous, pour soutenir notre opération, pour montrer votre solidarité pour la lutte contre la faim. Cette photo paraîtra sur notre site internet.
Je suis vraiment décontenancé. On me propose de faire ce qui ressemble à une photo d'idendité judiciaire, vous savez, exactement comme on voit dans les films les bandits se faire tirer le portrait numéroté avant que d'être incarcéré ! Je trouve que cela frise la manipulation, la manipulation des consciences, encore une fois on veut nous enfoncer dans le crâne que nous sommes complices d'un crime. Pour ne pas sombrer dans un débat sur cette opération que je juge dans la forme malencontreuse, d'une pertinence fort douteuse, je leur sors l'adage suivant : pour vivre heureux, vivons caché.
Elles n'insistent pas, elles ont l'air de bonne éducation, à leurs figures on voit bien que leurs papas ont eu de la chance, comme le chanterait Jacques Brel, et aussi on devine bien qu'elles ne deviendront jamais caissières de supermarché.
Alors elles s'en allèrent de ce côté...
Et moi de l'autre...
vers le jardin du Luxembourg
