MA PREMIERE FOIS, histoire édifiante à l'usage des louveteaux et de ceux qui les accompagnent.
Monsieur le curé aimait beaucoup Louise mais il préférait, au-delà de tout, Marie-Françoise, la cheftaine du clan du Castor Enjoué, parce qu'elle s'occupait de ses louveteaux avec une patience infinie, une tendresse, un don de soi digne d'éloges, bref, pas comme Louise qui, parfois, filait des taloches aux gamins qui l'énervaient. Lorsque monsieur le curé parlait de Marie-Françoise, il invoquait la Vierge Marie pour lui dresser une couronne fleurie de ses louanges benoîtes.
Dans le clan du Castor Enjoué, Marie-Françoise aimait beaucoup Joseph mais elle préférait, au-delà de tout, Donnadieu, son louveteau si mignon, si chétif, qui s'imposait aux autres grâce à son intelligence et à son charisme étonnant pour un garçon de son âge. D'ailleurs, monsieur le curé trouvait Donnadieu bizarre, et il se surprenait parfois à se signer discrètement quand il l'observait au retour d'une virée dans la campagne.
Moi, je m'appelle Paul. Avec Joseph, nous étions comme qui dirait les âmes damnées de Donnadieu. Bon, il faut dire qu'il nous fournissait beaucoup de livres d'où nous tirions des informations sur les filles, quelquefois c'était agrémenté de dessins croquignolets, de ceux qui nous auraient voués aux gémonies si monsieur le curé nous avait surpris avec.
Je ne sais si l'imagination de Donnadieu résultait d'une réaction contre son milieu familial très strict, très riche et très puritain, en tout cas il nous en fit une démonstration sidérante lors de la première sortie du clan du Castor Enjoué. En effet, il prit à part Marie Françoise et il lui raconta une histoire un peu tirée par les cheveux : ses parents, catholiques fanatiques, le tançaient toutes les fois qu'il éprouvait le besoin impérieux d'uriner car, d'après eux, c'était juste un prétexte pour se toucher ! Bien entendu, Marie Françoise ne le crût pas d'emblée, elle le ramena au milieu des copains en le tirant par l'oreille. Il semblait penaud. Puis des larmes coulèrent de ses yeux, et... oh non ! trop fort ! Il se mit à faire pipi dans ses frocs ! Quel vicieux, ce Donnadieu ! Il n'hésitait pas à s'humilier devant nous pour atteindre son but ! Après ce spectacle, notre cheftaine pensa avoir compris son douloureux, comment qu'elle disait déjà, ah oui, complexe. Complexe ? Donnadieu n'en faisait aucun quand elle l'amenait au petit coin, ce qui nous rendait fort jaloux vu qu'on imaginait beaucoup de choses. Et quand elle allait à son tour se soulager, avec Joseph et Donnadieu nous établissions un barrage que seuls pouvaient franchir ceux qui avaient de quoi nous offrir quelques friandises, des illustrés, et aussi un peu de monnaie. Pas plus de deux louveteaux à la fois, disions nous, affaire de discrétion ! Et personne ne mouftait !
Quelques jours avant les grandes vacances, nous partîmes pour une dernière balade. Le car nous laissa devant un champ de blé dont les blonds épis ondoyaient sous une brise légère. Nous nous élançâmes sur un chemin de terre qui le contournait et qui conduisait vers la forêt que nous apercevions au loin. Marie-Françoise, pleine d'entrain, imposa tout de suite un rythme sévère en chantant "Ave Maria". Le soleil cognait dur, alors au bout de cinq minutes elle remit le cantique dans sa besace, et Donnadieu commença à sortir sa bouteille d'eau minérale choisie avec soin, il en but une gorgée plus pour activer ses fonctions rénales que pour étancher sa soif. Et il ne cessa de répéter cette action durant tout le trajet. Quant à notre cheftaine, elle se retournait souvent pour nous encourager : " Allons,courage, pressons Pierre, Paul, Luc...et toi, Judas, toujours à la traîne !". Judas, c'est à dire Marcel, un cafardeur de première, s'efforçait de recoller au peloton.
Nous arrivâmes enfin devant l'orée du bois où nous devions nous reposer. Marie-Françoise nous conseilla de saisir cette occasion pour nous restaurer, boire, souffler un peu, mais elle, elle partit derrière les premiers arbres dans l'indifférence générale tant notre besoin de récupérer était énorme. Assis entre Joseph et moi, Donnadieu nous demanda si quelqu'un pouvait lui offrir de l'eau. Dingue ! Il avait fini son litre d'eau en moins d'une demie-heure ! Hé hé ! fit Donnadieu, j'attends son retour.
Marie-Françoise nous signala son retour par une rengaine digne d'un feu de camp la nuit sous les étoiles : "Mickael est de retour, alleluia...". Donnadieu se leva et débuta sa gesticulation habituelle dont nous connaissions tous la finalité. Déjà des commentaires fusaient ça et là, du genre "le salaud, il en a de la chance", ou "Y'en a que pour lui". Comme j'étais le plus grand et le plus costaud, sur un signe de ma main les louveteaux devinrent rapidement des agnelets.
Avertissement pour les parents.
Je vous conseille d'éloigner vos enfants avant de lire les lignes qui vont suivre incessamment sous peu...