Mis bout à bout, mes bouts de terre…
Ca fait une vie, toute une vie !
On les connaît déjà, on les découvre et ils nous plaisent, ou alors on tombe carrément – patatras ! – en amour avec. On y a des racines extensibles, des racines extractibles, des racines extras, vraiment extras, on y passe sa vie par habitude ou ses vacances, par habitude aussi.
Ou alors, comme Parvat-Toubidou, Lilie et d’autres, on lâche tout pour un bout de terre d’ailleurs et on se débrouille là-bas, et au retour, on se débrouille avec et on se débrouille sans.
A 11 ans, je suis tombée sous le charme d’un pays, par le talent évocateur d’un vieux monsieur que j’aimais beaucoup. Il en parlait si bien ! Qu’en disait-il ? Oh, très peu ; en fait, il n’en disait rien. Mais quand il nous dictait un texte tiré des « Lettres de mon moulin » il se laissait aller à reprendre son accent, scandait des phrases qu’il connaissait par cœur, il se tenait devant une des grandes fenêtres de la salle de classe, nous tournant le dos. Moi, j’écrivais vite, alors je passais le plus gros du temps des dictées hypnotisée par ce crâne tanné, couronné de cheveux blancs coupés très courts, et je savais qu’au-delà de la cour du collège et des rues ce vieux monsieur voyait son pays et que ce pays recelait d’indicibles secrets de bonheur.
Lorsque 18 coups sonnèrent au beffroi de ma jeune vie, je remplis une valise, sautai dans un train, on l’appelait « le Vintimille », c’était un train qui filait dans la nuit, toute la nuit, depuis le soir jusqu’au matin, et quand je débarquai sur le quai de la gare, je m’en souviens comme si c’était là, là maintenant, là tout de suite, je me suis pris tous les secrets soudain dévoilés devant les yeux, dans les oreilles, dans le nez, et ce n’était que le début !
J’y ai vécu quinze ans. Quinze ans d’amour et de haine, quinze ans de tendresse pour ce pays. L’amour s’y transformait en haine quand la cohue estivale remplaçait les trente six mille saveurs précieuses, des villages à la colline. Quoique la colline, j’y trouvais à m’y retrancher même au plus fort de l’invasion.
Et puis, d’année en année, un autre bout de terre m’appela. Se rappela à moi, pour être exacte. Comme les champs de muscadet de Lilie, ma région natale devint source de nostalgie.
Alors j’y déménageai, emmenant avec moi mon pote, le meilleur pote au monde, irremplaçable, irremplacé. Pendant dix ans nous y avons écumé tous les sentiers possibles, découvert les coins à cèpes et les coins à girolles, les chemins ombragés, les sols moussus, les ruisseaux bondissants, les randonnées parfaites selon la période de l’année, selon le temps, la température, la luminosité, les parfums promis par le vent, le petit rien que nous flairions dans l’air du temps et qui nous ravissait tous deux, lui la truffe au sol et moi le regard plein de gourmandise, le cœur plein à ras bord d’un bonheur trente six mille fois renouvelé. Et puis… ma foi, il est parti gambader dans les vastes prairies de ses ancêtres et, seule, je me suis mise à errer dans nos forêts, nos montagnes et le long des rives du fleuve, ne trouvant que des empreintes désolées sous mes pas neufs. J’ai essayé pendant longtemps mais ce ne furent que de bien tristes années.
Puis un voyage décidé presque par défaut, et un nouvel amour pour un bout de terre, ou quelques bouts de terre, au milieu d’un sol immense, au bout du monde, où – enfin – je renouais avec le bonheur de vivre dans une nature sauvage dont l’errance était absente. Là encore, j’y ai déménagé. On peut en dire que le temps s’était concentré comme l’essence constitutive d’un parfum précieux, on peut aussi en dire qu’il s’était rétréci comme une peau de chagrin. Je m’en suis arrachée à deux reprises, en lambeaux. A mon troisième départ, je savais que je ne reviendrais pas et j’ai fait de très courts adieux, silencieux et sobres, à mes deux indispensables bouts de terre du bout du monde. Je savais aussi que je ne voulais pas aller là où l’avion atterrirait. Mais j’étais déterminée à en faire une simple escale technique, une halte sur la route du prochain chez-moi.
Une année a passé.
Je suis allée bien au-delà de mes objectifs pour le projet le plus difficile à mener, j’ai en revanche repoussé à une date non encore définie le voyage vers le bout de terre amazonien. Cherchant un habitat bon marché, et retranché, un morceau de terre tranquille, j’ai trouvé la Bretagne hivernale à la place de la Guyane. Et je suis tombée en amour. Je parle de la Bretagne des mois d’hiver, pas celle des mois d’été, hein ! Alors, l’hiver prochain, ce sera une nouvelle cahute bretonne, tout au bord de la ligne des algues, à portée d’embruns, entre feux dans l’âtre et variations du temps, avec des balades rythmées par le calendrier des marées avant le long et heureux travail quotidien et solitaire. Les balades le long des côtes bretonnes, c’est quand il fait un temps de chien qu’elles sont époustouflantes de beauté et de vigueur.
Et au printemps…
Bah, au printemps, comment voulez-vous que je sache ? C’est que je suis devenue nomade, d’un bout de terre à l’autre, aux autres, à tous les autres, ceux que j’irai saluer avec tendresse et ceux qu’il me reste à aimer…
Ca fait une vie, toute une vie !
On les connaît déjà, on les découvre et ils nous plaisent, ou alors on tombe carrément – patatras ! – en amour avec. On y a des racines extensibles, des racines extractibles, des racines extras, vraiment extras, on y passe sa vie par habitude ou ses vacances, par habitude aussi.
Ou alors, comme Parvat-Toubidou, Lilie et d’autres, on lâche tout pour un bout de terre d’ailleurs et on se débrouille là-bas, et au retour, on se débrouille avec et on se débrouille sans.
A 11 ans, je suis tombée sous le charme d’un pays, par le talent évocateur d’un vieux monsieur que j’aimais beaucoup. Il en parlait si bien ! Qu’en disait-il ? Oh, très peu ; en fait, il n’en disait rien. Mais quand il nous dictait un texte tiré des « Lettres de mon moulin » il se laissait aller à reprendre son accent, scandait des phrases qu’il connaissait par cœur, il se tenait devant une des grandes fenêtres de la salle de classe, nous tournant le dos. Moi, j’écrivais vite, alors je passais le plus gros du temps des dictées hypnotisée par ce crâne tanné, couronné de cheveux blancs coupés très courts, et je savais qu’au-delà de la cour du collège et des rues ce vieux monsieur voyait son pays et que ce pays recelait d’indicibles secrets de bonheur.
Lorsque 18 coups sonnèrent au beffroi de ma jeune vie, je remplis une valise, sautai dans un train, on l’appelait « le Vintimille », c’était un train qui filait dans la nuit, toute la nuit, depuis le soir jusqu’au matin, et quand je débarquai sur le quai de la gare, je m’en souviens comme si c’était là, là maintenant, là tout de suite, je me suis pris tous les secrets soudain dévoilés devant les yeux, dans les oreilles, dans le nez, et ce n’était que le début !
J’y ai vécu quinze ans. Quinze ans d’amour et de haine, quinze ans de tendresse pour ce pays. L’amour s’y transformait en haine quand la cohue estivale remplaçait les trente six mille saveurs précieuses, des villages à la colline. Quoique la colline, j’y trouvais à m’y retrancher même au plus fort de l’invasion.
Et puis, d’année en année, un autre bout de terre m’appela. Se rappela à moi, pour être exacte. Comme les champs de muscadet de Lilie, ma région natale devint source de nostalgie.
Alors j’y déménageai, emmenant avec moi mon pote, le meilleur pote au monde, irremplaçable, irremplacé. Pendant dix ans nous y avons écumé tous les sentiers possibles, découvert les coins à cèpes et les coins à girolles, les chemins ombragés, les sols moussus, les ruisseaux bondissants, les randonnées parfaites selon la période de l’année, selon le temps, la température, la luminosité, les parfums promis par le vent, le petit rien que nous flairions dans l’air du temps et qui nous ravissait tous deux, lui la truffe au sol et moi le regard plein de gourmandise, le cœur plein à ras bord d’un bonheur trente six mille fois renouvelé. Et puis… ma foi, il est parti gambader dans les vastes prairies de ses ancêtres et, seule, je me suis mise à errer dans nos forêts, nos montagnes et le long des rives du fleuve, ne trouvant que des empreintes désolées sous mes pas neufs. J’ai essayé pendant longtemps mais ce ne furent que de bien tristes années.
Puis un voyage décidé presque par défaut, et un nouvel amour pour un bout de terre, ou quelques bouts de terre, au milieu d’un sol immense, au bout du monde, où – enfin – je renouais avec le bonheur de vivre dans une nature sauvage dont l’errance était absente. Là encore, j’y ai déménagé. On peut en dire que le temps s’était concentré comme l’essence constitutive d’un parfum précieux, on peut aussi en dire qu’il s’était rétréci comme une peau de chagrin. Je m’en suis arrachée à deux reprises, en lambeaux. A mon troisième départ, je savais que je ne reviendrais pas et j’ai fait de très courts adieux, silencieux et sobres, à mes deux indispensables bouts de terre du bout du monde. Je savais aussi que je ne voulais pas aller là où l’avion atterrirait. Mais j’étais déterminée à en faire une simple escale technique, une halte sur la route du prochain chez-moi.
Une année a passé.
Je suis allée bien au-delà de mes objectifs pour le projet le plus difficile à mener, j’ai en revanche repoussé à une date non encore définie le voyage vers le bout de terre amazonien. Cherchant un habitat bon marché, et retranché, un morceau de terre tranquille, j’ai trouvé la Bretagne hivernale à la place de la Guyane. Et je suis tombée en amour. Je parle de la Bretagne des mois d’hiver, pas celle des mois d’été, hein ! Alors, l’hiver prochain, ce sera une nouvelle cahute bretonne, tout au bord de la ligne des algues, à portée d’embruns, entre feux dans l’âtre et variations du temps, avec des balades rythmées par le calendrier des marées avant le long et heureux travail quotidien et solitaire. Les balades le long des côtes bretonnes, c’est quand il fait un temps de chien qu’elles sont époustouflantes de beauté et de vigueur.
Et au printemps…
Bah, au printemps, comment voulez-vous que je sache ? C’est que je suis devenue nomade, d’un bout de terre à l’autre, aux autres, à tous les autres, ceux que j’irai saluer avec tendresse et ceux qu’il me reste à aimer…