Le grand potager qui a toujours été là; c’était d’abord mon grand-père qui l’entretenait, et dont on se moquait, pour y faire pousser radis, choux, tomates, haricots, artichauts, asperges, oignons, salade, citrouilles, patates, pour toute la commune. C’est maintenant mon père qui a pris le relais, depuis que mon Pépé passe son temps à saluer les étoiles, et mon père, ben dans ce potager, il y met sa sueur de retraité, et lui aussi il pourrait nourrir les environs.
Le vieux cerisier est toujours là, dernier survivant des trois mousquetaires qui bordaient le jardin. Cette année, il a donné comme ça faisait longtemps, lui qu’on pensait tronçonner l’année dernière. Comme tous les ans, à l’arrivée des cerises, la guerre commençait. Qui de nous ou des ennemis volants ramasseraient le plus gros du Trésor Rouge ? Cette année, ce fut nous, plus de 20 kilos de confitures, et 4 bocaux de cerises à l’eau de vie, sans compter les centaines de cerises cueillies et dégustées sur les branches, depuis la grande échelle pour les hommes ou l’escabeau pour les femmes. Ca faisait longtemps qu’on n’avait pas vu les branches du vieux cerisier pencher sous le poids des perles à noyaux.
Cette année, encore une fois, je ne serai pas là pour les vendanges. Je ne sentirai pas le raisin pressé qui embaume toute la campagne, et je ne verrai pas non plus les tracteurs et machines s’affairer sur les routes cabossées, et sur lesquelles on doit raser le fossé quand on y croise une machine à vendanger. Avant, c’était les vendangeurs à l’arrière des 4Ls ou dans le cul des remorques de tracteurs que l’on voyait encombrer les routes à cette époque du calendrier. Ils ont été remplacés par les batteurs des gros Transformers, qui abiment la vigne, mais tellement plus économiques.
Cette année, il va encore y avoir trop de vin. Et les cuves de l’année dernière sont encore pleines. Avant, c’était toujours la peur des gelées, des grêles, des pluies, des sécheresses qui inquiétait les hommes du pays. Maintenant, il semble que les caprices de Mère Nature ne les tracassent que tout juste. De toute manière, Ça ne se vend plus, alors on laissera du raisin dans les vignes quoi qu’il en soit, comme toutes ces dernieres années.
Face à moi, les vignes, sur l’autre versant et la rivière en contrebas que je devine, pour y avoir si souvent construit des barrages, observé les anguilles quand il y en avait encore, ou attrapé les têtards que je m’entêtais à vouloir élever derrière chez nous, dans un vieil abreuvoir. Tous les jours après l’école, je passais des heures à le re-remplir, à compter mes têtards en mutation, et à me désespérer d’en voir disparaitre toujours plus jour après jour, jusqu’à ce que je finisse par ramener les survivants dans la marre du village. Au milieu des vignes, de l’autre côté, le château, droit et fort et dans le donjon duquel je m’imaginais, petite, en princesse prisonnière qu’un chevalier viendrait secourir.
Ma mère m’appelle. Il est temps d’aller à l’aéroport. Pour la première fois depuis six ans, j’ai la gorge serrée. Je ne veux pas la quitter. Je ne veux pas partir. Je regarde une dernière fois ces vignes, cette terre.
C’est un bout de Terre sans prétention, que j’aime.
Dernière édition par Lilie le Lun 13 Juil - 20:08, édité 2 fois