Le Village du Peuple Etrange Voyageur

pour nos pensées, nos petites histoires et nos joutes littéraires autour des voyages


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    Une préférence malencontreuse

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    Message par geob Ven 1 Mai - 16:18

    UNE PRÉFÉRENCE MALENCONTREUSE.


                                                                I

                                    Où il est question d'une cure thermale, l'année dernière




     A chaque fois qu'il nous annonce qu'il va nous raconter un souvenir où une femme tient le rôle principal,  nous ne pouvons pas nous empêcher d'esquisser un sourire coin. En effet, nous savons déjà que son histoire se terminera mal, qu'il y aura un évènement inattendu,  un comportement incongru plus ou moins volontaire de sa part, pourtant il nous jure que non, jamais, ou encore une terrible fatalité qu'il nous détaillera avec un air chafouin, en tout cas, oui,  quelque chose surviendra et dressera un mur entre elle et lui, ce qui par conséquent brisera son espoir de vivre une vie normale, d'être comme tout le monde, de n'être plus jamais seul. A d'autres ! A d'autres ! Personne ne le croit ! L'un d'entre nous, Benoit,  un professeur à la retraite féru de psychologie, diagnostique toujours un "acte manqué", un moyen commode bien qu'inconscient pour éviter de s'engager, quant à Jean Marc, lui, il dit carrément qu'il le fait exprès, qu'il veut se rendre imbuvable, odieux, rien que pour la tester - bon, là, il faut dire que ça fonctionne très bien, cela met donc en lumière la banalité et la superficialité de ses rencontres - ; pour ma part, je me souviens de ce jour où il nous a raconté son enfance avec un père alcoolique qui battait sa mère mais, une nouvelle fois, il faut prendre ce qu'il a osé nous dire avec circonspection ; pour notre amie Carole, il a peur de reproduire les actes de son père ; personnellement, je ne suis pas d'accord avec elle,  en plus, là encore, peut être nous invente-t-il le roman d'une enfance malheureuse pour faire pleurer dans les chaumières,  néanmoins une évidence s'impose pour moi : ses parents ne lui ont pas inculqué la joie de vivre, le goût du bonheur, ni appris qu'être deux pouvait être autre chose qu'un enfermement obsessionnel.  Au fond, je suis persuadé qu' il attend trop d'une femme,  il subodore toujours qu'il finira par être forcément déçu. En fuyant, car pour moi il fuit,  il tue donc la déception dans l’œuf avant qu'elle n'éclose dans toute sa cruauté.

    Néanmoins, entre nous, nous avons du mal à prendre pour argent comptant toutes ses histoires, ces calembredaines devrais-je écrire,  ses explications plus ou moins alambiquées qu'il nous sert sans vergogne comme s'il cherchait, dans nos réactions, notre véritable personnalité, comme s'il voulait savoir que nous pensons vraiment de lui. Lisez donc cette dernière histoire qu'il nous a raconté pas plus tard que hier après midi, au bout de la troisième cannette de bière.

    Tous les ans, il se rend en cure thermale, une station dans les Pyrénées où l'on traite les personnes qui ont une propension à faire de la surcharge pondérale. Il en revient à chaque fois ravi, en forme, quelques kilogrammes en moins. Mais l'autre jour  il a commencé par nous parler de sa cure précédente. Les soins se déroulaient le matin, les après midis il partait se balader sur des sentiers de randonnée pas trop exigeants. Un après midi, il n'alla pas bien loin, le ciel s'était tout à coup couvert de nuages noirs menaçants, inquiétants. On lui avait dit qu'il fallait se méfier des orages dans la montagne alors, dès les premières gouttes de pluie, il se réfugia dans un café du bourg qui ne vivait que par la présence des curistes. Involontairement, il prit place à une table voisine de celle d'une jeune femme, assise sur la banquette en moleskine rouge devant un Pérrier menthe. Il fut tout de suite frappé par sa coiffure style années 60, ce chignon que l'on qualifiait de "choucroute" à cette époque là.  Comme il nous a souvent dit que le moteur de sa vie c'est la curiosité, il chercha une phrase pour amorcer la conversation afin de savoir ce que cachait ce visage sérieux, voir austère,  et malgré cela bien charmant pour qui savait regarder au delà des apparences.  En fait  il ne chercha pas longtemps son entrée matière parce qu'il s'en foutait et qu'il ne voulait pas se fatiguer à trouver quelque chose d'original, la banalité ne lui ayant jamais poser un problème,  sa question souligna ainsi un manque d'imagination étonnant de sa part qu'elle eut la bonté de ne pas relever.
    - Vous êtes en cure thermale?
    - Oui. Et vous?
    - Aussi.

    Vous vous dites que de grandes histoires d'amour ont commencé d'une manière encore plus banale que celle que vous venez de lire, seulement moi je vous conseille d'attendre un peu avant de vous emballer, rappelez vous que notre ami se perd souvent dans des emballements intempestifs qui se terminent... se terminent comment? Je m'apprêtai à écrire "tristement" bien que nous sommes tous certains, peut être à tort,  qu'il ne l'est jamais au final. En effet, il faut le voir à table manger joyeusement tout ce qu'on lui présente, faire des commentaires pertinents sur la qualité des produits, leur cuisson, il faut l'entendre aussi raconter des histoires horribles qui ne font rire que lui - reconnaissons que nous sommes tous un peu coincé -,   et quand il nous parle de la peinture, des expositions qu'il visite, son enthousiasme est communicatif jusqu'à nous faire aimer ce qui nous laissait indifférent ou ce que nous rejetions par principe, à vrai dire par fainéantise intellectuelle  ou plutôt par un manque de curiosité sur tout ce qui en dehors de notre petite vie cloisonnée par l'écran de nos tablettes et smartphones - au fond, nous vivons par procuration.

    Ce qui est sûr, c'est que notre ami inspire d'emblée confiance. Son léger embonpoint, sa jovialité, concourt à le rendre tout de suite sympathique, je dirais même que sa présence est réconfortante, elle nous donne la pêche et nous fait oublier les contingences sociales qui nous irritent. C'est sans doute ce que a ressenti la curiste à son contact. D'ailleurs, au bout de vingt minutes, c'était comme s'ils se connaissaient depuis longtemps. Elle n'hésita pas à lui faire des confidences, à raconter qu'elle avait travaillé quelques semaines à côté Dominique Strauss Khan dans un organisme important de statistiques économiques - c'était l'époque où il avait été contraint de quitter son ministère et où les performances de sa prostate ne faisaient pas encore la une des journaux. Elle était célibataire, elle n'avait pas d'enfants, elle avait un emploi fort rémunérateur, bref, c'était la femme idéale pour notre ami.

    L'entretien se déroulait chaleureusement, une atmosphère de confiance s'était établie entre eux au point que, naturellement, ils s'étaient approchés l'un de l'autre sur la banquette, tandis qu'à l'extérieur des craquements sinistres dans le ciel annonçaient un violent orage. Vers 16h, ils eurent l'impression que la nuit était déjà tombée, la lumière fut allumée dans le Café, et les deux déflagrations qui firent trembler les vitres précédèrent une pluie diluvienne, une mitraillade de grêlons sur les vitres des fenêtres. Maintenant, il sentait la chaleur de son corps contre sa cuisse, l'apocalypse au dehors leur avait fait abandonner toutes leurs réserves, et aussi ce vague respect des convenances. Néanmoins, pour éviter toute confusion, leur conversation devint moins intime et beaucoup plus superficielle. Ce fut à ce moment là qu'il lui indiqua qu'il préférait les femmes aux cheveux courts. Il ne se rappelle plus pourquoi il lui fit cette réflexion, vraiment. Nous, nous lui suggérâmes qu'il l'avait fait pour meubler, comme on dit, comme il aurait pu dire qu'il préférait les femmes en robe ou en jupe plutôt qu'en pantalon, bref, rien d'important.

    Quand le soleil se repointa son museau entre deux nuages, ils se levèrent. Notre ami paya l'addition pour tous les deux, puis ils se baladèrent dans les rues étroites du village, épaule contre épaule. Elle avait fini sa cure, elle partait le lendemain, alors elle lui demanda s'il reviendrait l'année prochaine, à la même période. Il acquiesça, elle afficha un sourire lumineux. Elle lui sembla vraiment heureuse à la perspective de le revoir l'année prochaine mais, comment dire, notre ami ne partagea pas cet enthousiasme qu'il osa qualifier devant nous de... bizarre ! Pourquoi bizarre? Parce que si elle tenait tant que ça à le revoir, pourquoi attendre l'année prochaine? Avec moi, nous précisa-t-il, il faut battre le fer tant qu'il est chaud. Et donc tu lui as fait part de ton désir de la revoir sans attendre, de lui rendre visite chez elle, ou bien toi de l'inviter chez toi, enfin, quoi, tu lui as donné ton numéro de téléphone, n'est-ce pas? Benoit, qui ressemble à Nosferatu, avait parlé d'une voix forte, teintée d'ironie démonstrative, les mains croisées sur la table, la tête tendue vers notre ami qui le regarda droit dans les yeux pour lui répondre, un peu embêté toutefois : non ! Benoit éclata d'un rire diabolique, tonitruant. Ah je le savais ! Je le savais ! s'exclama-t-il en prenant tout le monde à témoin. Carole, Jean Marc et moi, nous fîmes semblant de nous offusquer devant l’impéritie de notre ami parce que, nous aussi, nous savions ce qu'il allait répondre, et ce n'était pas la peine d'en rajouter en surjouant la surprise. Merde, quand même, ça ne laissait pas de nous troubler cet entêtement à ne pas se comporter comme tout le monde.
    Carole prit enfin la parole.
    - Et alors? Cette année? Tu l'as revue?
    Notre ami regarda son verre vide, longuement, l'air hagard dirais-je tant il nous a paru sur le coup bien fatigué, comme si toute la misère du monde lui était tombé sur les épaules.
    - Alors? insistâmes nous en chœur.
    Il leva la tête. Il ne souriait pas, il avait l'air grave.
    - Oui, dit-il............



    Maadadayo !
    fabizan
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    Localisation : Sainte Enimie Lozère

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    Message par fabizan Ven 1 Mai - 18:04

    la suite, la suite, la suite !!!!!!! sourire


    _________________
    Fabienne
    geob
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    Message par geob Mar 2 Juin - 11:03


    II

    Où l'on découvre ce qui résulta de cette préférence malencontreuse.

    1

    A vrai dire, il ne pensait plus à elle quand il a entamé sa cure, ce qui l'intéressait le plus c'était de trouver des commensaux cultivés, et surtout capables de rire de tout. Enfin, juste pour le repas du soir puisqu'il avait choisi la demi-pension. Dès la première soirée, le chef de salle du restaurant l'installa à une table de quatre où trois hommes qui commençaient à manger. Après les présentations de chacun d'entre eux, ravis de recevoir enfin un quatrième convive parmi eux, notre ami s'étonna du placement des curistes : il n'y avait aucune table mixte, à part les petites pour les couples, autrement on ne pouvait que constater que les hommes étaient avec les hommes, et les femmes avec les femmes. C'est bien triste, dit notre ami. Ils acquiescèrent, en ajoutant que cela faisait penser à un pensionnat. Que dire alors de la première table ronde, sur la droite, juste après l'entrée du restaurant? Rien ! Il n'y avait personne ! Étrange tout de même ces places inoccupées ! Si le chef de salle ne l'avait tout de suite alpagué, il s'y serait installé derechef ; faut dire aussi qu'il a l'habitude de manger tout seul quand il est chez lui, en fait comme nous tous - sauf Carole, bien sûr-, oui, mais nous, nous avons la télévision pour nous tenir compagnie, alors que lui il a juste un poste de radio et plein de livres à lire. Je lui ai souvent demandé s'il ne s'ennuyait pas comme ça, il m'a toujours assuré que non, et qu'il ne voyait pas le temps passer quand il se plongeait dans un livre, jusqu'à en perdre la notion du temps et de l'espace, en fait il compare toujours un bon livre à un voyage dans un vaisseau spatial à la vitesse de la lumière car, m'a-t-il précisé, une fois qu'il a refermé son livre, il a l'impression d'avoir fait un long voyage, et il ressent alors une fatigue profonde, mais une bonne fatigue, une fatigue heureuse. Entre nous, il a de la chance : il ne lui faut pas grand chose pour être heureux.

    Parmi ses compagnons de table, le soir, il y avait un ancien militaire, un pilote d'hélicoptère durant la guerre d'Algérie. Quelquefois, ils pouvaient se rencontrer dans le village, surtout quand notre ami revenait d'une marche sur un sentier de GR, en fin d'après-midi. La première fois, le militaire lui avait demandé s'il partait avec un téléphone portable, et il fut étonné de sa réponse négative. Vous êtes fou ! S'il vous arrive quelque chose, vous vous tordez la cheville par exemple, hein? Non, non, prenez vos précautions ! On ne sait jamais ! C'est bien ce genre de conseils que nous nous abstenons de lui balancer, nous savons très bien que cela lui entrerait par une oreille et ressortirait par l'autre mais, nous, nous le connaissons mieux que le militaire.
    - Faut les fuir, ces mecs ! s'est exclamé Jean Marc.
    - Pourquoi donc? Je l'interrogeais tous les jours sur l'Algérie. Tiens, les camarades, essayez de deviner l'ordre le plus ahurissant qu'il n'ait jamais reçu... hum? personne? bon, je vous le dévoile : ce fut celui d'abattre les dromadaires dans le bled car sa hiérarchie estimait que les fellaghas pouvaient les utiliser ! Alors, dès qu'il voyait un troupeau, il armait les mitrailleuses de son hélico et il faisait un carnage. Cela le peinait beaucoup, mais les ordres sont un impératif auquel tout militaire doit se soumettre... enfin, d'après lui !
    - Ah les hommes ! dit Carole. Vous êtes tous des lâches ! Les ordres que vous accepter ne sont que les oripeaux qui servent à dissimuler votre irresponsabilité, votre couardise !
    Cette flèche acérée nous a bien fait ricaner comme des gamins dans une cour de récréation. Que vous êtes bêtes ! a-elle soupiré en levant les yeux au ciel. Carole, elle est notre Jeanne d'Arc, elle n'est pas du genre à s'en laisser compter, et nous tous nous savions très bien, ce jour là, que sa réaction n'avait été que le triste écho d'évènements dramatiques dont se repaissent les médias. Mais... chut, ne le répétez pas : elle n'a pas tort !

    Quant à notre ami, il obéissait surtout à sa routine. Ainsi, tous les soirs, il entrait dans le restaurant de l'hôtel à 19h piles. Et ce fut le quatrième ou cinquième soir - il a été incapable d'être plus précis - qu'il repéra cette femme assise à la première table ronde, tout de suite à droite de l'entrée.
    - Tout de suite, j'ai eu le sentiment que c'était elle car cette femme avait les cheveux coupés courts, elle portait des lunettes de vue, les mêmes que l'année dernière, et puis cette crispation que j'ai ressenti au niveau du ventre, pour ne pas dire cette angoisse de constater qu'elle m'avait écouté sur ma préférence pour les femmes aux cheveux courts, une connerie que j'avais lancée comme ça, au hasard, rien que pour meubler la conversation, ça m'a flingué pour toute la soirée, ainsi que pour les jours suivants parce que...
    - Parce que? ai-je repris pour l'encourager dans son récit.
    - Parce que tout à coup, ben, je me suis posé cette question : et si c'était pas elle?

    Oh le charivari ! Nous avons tous élevé la voix, certains avec une colère toute méditerranéenne : "tu nous fais marcher ! tu nous prends pour des cons ! escroc !" A vrai dire, on se marrait bien et on était bien contents de ce que nous avions pris alors pour un coup de théâtre, ça nous promettait encore plus de piquant pour la suite...
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    Message par geob Ven 26 Juin - 11:23

    II

    Où l'on découvre ce qui résulta de cette préférence malencontreuse

       suite et fin


    La terrasse du "Café des sports", située sur la place Jean Jaurès, n'a pas connu une telle ambiance depuis belle lurette. Devant notre tollé un brin exagéré, on poussait la note, quoi,  notre ami a esquissé un sourire en coin qui en disait long sur sa satisfaction d'avoir transformé notre réunion en concert d'invectives plus ou moins féroces, au gran dam des autres consommateurs qui, eux, tiraient une tronche pas possible : ils nous observaient sans aménité, sans pour autant nous faire la moindre remarque car tout le monde ici connait Sébastien, l'ami de Carole, un joueur de rugby au puissant gabarit, le genre de gabarit qui impose le respect sans bouger un petit doigt.


    Jérôme, le serveur, sortait du Café avec un plateau sous le bras quand Carole a mis un pouce et un index dans sa bouche pour balancer un sifflement à nous percer les tympans. Entre nous, nous sommes jamais arrivés à l'imiter !
    - Jérôme ! Remets nous ça, c'est pour moi ! cria-t-elle.
    - Ok Carole ! J'arrive !

    Nous nous sommes calmés. Nous avons échangé quelques vannes sur deux consommatrices, non loin de nous, qui buvaient du thé  à l'heure de l'apéritif. Ouh la honte !  On a parlé de Sébastien qui  s'entraînait au stade en vue du match de dimanche, il n'allait pas tarder à venir prendre Carole. C'était un vendredi agréable, sous un ciel  parsemé de petits  nuages d'été, bien cotonneux et inoffensifs, une de ces journées qu'on aimerait bien ne jamais en voir la fin.

    Jérôme a déposé nos consommations sur les deux guéridons que nous avons rapprochés pour être plus à l'aise. Après avoir une nouvelle fois trinqué, Benoit, très cauteleux ce jour là, a invité notre ami à poursuivre son récit chagrin.


    Nous avons tous ressenti son malaise : il mangeait et elle était à quelques mètres de lui, toute seule devant sa table ronde, et il ne savait que faire au fur et mesure que les minutes s'égrenaient irrémédiablement. Pourtant, il a eu conscience que plus il tardait à faire un geste, comme par exemple lui souhaiter la bienvenue,  plus il dressait mentalement un mur qui finirait par devenir infranchissable, entre son envie incertaine et cette réalité tangible qu'il observait à la dérobée. Quelque chose en lui le bloquait, peut être a-t-il pensé que c'était maintenant trop tard et qu'il aurait dû agir dès son entrée dans le restaurant, quitte à prendre un camouflet si ce n'avait pas été elle, mais il n'y avait rien à faire, il ne pouvait pas, et il savait pourquoi.
    - Tu sais, dans la vie il faut parfois se faire violence, dit gentiment Jean Marc.
    - Ah non ! s'exclama notre ami. La vie m'en a suffisamment dispensé pour que je m'en fasse à moi-même.
    - Je le note, a apprécié Benoit.
    - Écoutez les garçons, moi je le comprends, car en tant que femme je crois que cela m'aurait vexé qu'il vienne me voir une heure après et non pas dès son entrée dans le restaurant.
    - Je suis fasciné par cette propension qu'a l'être humain de compliquer une situation d'une simplicité biblique qui se résume en une simple et banale question : on baise ou pas? dis-je avant de boire une gorgée de bière.
    - Bonjour le romantisme ! a lancé Carole.
    - Continue, a insisté Jean Marc. Comment se sont passés les jours suivants? Tu as bien fini par lui parler quand même?

    Les jours suivants ont été un calvaire,  il a craint de se retrouver en face d'elle, seuls, et être ainsi dans l'obligation de lui parler. Par chance, il ne la voyait jamais au petit-déjeuner, faut dire qu'il aimait se lever tôt et que ses soins dans la station thermale débutait à 9 heures. Leurs habitudes  leurs horaires ne se croisaient donc jamais, et c'était tant mieux. Le deuxième soir, il l'a aperçue au restaurant : elle était attablée avec trois autres dames, elle semblait s'amuser, mais, vu de loin, elle paraissait ne pas trop s'impliquer dans leurs débats. Après tout, ce n'était pas le problème de notre ami, il était passé à autre chose. Ceci dit, tous les soirs il a vérifié si elle était encore là, plutôt par réflexe que par un sincère intérêt. Sauf que le septième soir, elle n'était plus là. Il a ressenti une vague inquiétude,  lui était-t-il arrivé quelque chose? Bizarrement, il  s'est senti responsable. Une cure thermale dure habituellement trois semaines, on ne pouvait l'interrompre ainsi par rapport aux organismes sociaux. Le huitième soir, idem. Les trois dames se marraient toujours entre elles, sans se soucier de la place vide à leurs côtés. C'est à ce moment là que notre ami a pris conscience qu'il n'aurait plus à craindre de se retrouver nez à nez avec elle :  fini ce tract permanent qui ne le quittait pas de la journée, fini cette angoisse qui torturait parfois son ventre lorsqu'il s'imaginait qu'il lui avait foutu en l'air son séjour.

    Le moteur d'une moto, son coup de klaxon impératif, a interrompu notre ami. C'était Sébastien qui revenait de son entraînement au rugby.
    - Ah voilà mon mec ! fit Carole. Bon, les garçons, n'oubliez pas : demain, barbecue chez nous, et toi Jean Marc bon week end chez ta belle doche ! (Jean Marc a fait la grimace)
    Elle a fait la bise à tout le monde, non sans laisser un petit commentaire à notre ami - j'ai été le seul à l'entendre :
    - Décidément, tu es impayable !


    Carole est montée sur la vieille Harley Davidson, derrière Sébastien. Quand il boit un coup avec nous, il l'a gare en face, près du jardin de L'Évêché.

    Une préférence malencontreuse Escrim17

    Avant de redémarrer, Sébastien a eu le temps de nous lancer :
    - Eh les gars ! J'ai invité trois nanas, on va se régaler !
    Carole lui a donné une grande claque sur son épais blouson de cuir.
    - Aïe ! Aïe ! Pas moi chérie ! Pas moi ! a dit Sébastien.
    Et ils sont partis tous les deux dans un grand éclat de rire, à peine couvert par le vrombissement de la Harley.

    Après cette intervention tonitruante et pétaradante, nous sommes restés quelques instants à reprendre nos esprits. Enfin, Benoit a pris sa pose favorite, doigts croisés, les mains posés sur la table, tel un abbé tentant de ramener la brebis égarée dans le troupeau.
    - Bon, Carole n'est plus là, nous sommes entre nous, tu peux nous dire la vérité. Tu l'as baisé ou quoi?
    Jean Marc et moi, inconsciemment, nous avons pris la même pose que Benoit. Notre ami nous a regardés tous les trois, avec son sourire en coin que je vais finir par détester.
    -  Écoutez les gars, je vais vous dire pourquoi je ne l'ai pas abordé...
    - Oui, dis-je les nerfs tendus.
    -... eh bien, parce que je ne l'ai pas abordé tout de suite !
    - Qu'est-ce que tu racontes?
    -  Je suis d'un orgueil maladif, je n'ai pas voulu perdre la face en l'abordant quelques minutes après l'avoir vu.
    -  Je ne comprends pas, dit Benoit. Comment ça perdre la face?
    - Je refuse de m'abaisser en quoi que se soit ! J'aurais dû m'excuser vis à vis d'elle, faire le dos rond, et c'est pas dit qu'elle aurait apprécier. Rappelle toi ce que nous a dit Carole !
    - Ouh la la ! T'es un grand malade, toi !
    - T'es pas humain, a souligné Jean Marc. Bon, demain chez Carole et Sébastien tu auras peut être l'occasion de faire une autre connaissance.
    Notre ami a haussé les épaules.
    - C'est plus fort que moi, dit-il. Consciemment ou inconsciemment, j'aurais toujours des préférences malencontreuses.





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