Mission spéciale !
Quiconque aurait pu le voir ainsi étrangement déambuler dans les rues et les ruelles du petit Village encore endormi, aurait pu croire que le pobrecito Albatros s’était subitement et sans raison apparente, tristement mis à errer comme une âme en peine. Et pourtant il n’en était strictement rien. Car s’il donnait effectivement à première vue l’assez nette impression de ne pas trop savoir où il allait, l’Oisix s’était bel et bien fixé un but extrêmement précis ! Le fait que le paisible petit village semblait complétement déserté de ses habitant(e)s à une heure aussi matinale de la journée, arrangeait à vrai dire parfaitement les affaires de l’Albatros. Car il allait pouvoir ainsi et à sa guise, très discrètement fureter dans les moindres petits recoins à la recherche du fameux endroit pour lequel il s’était levé de si bonne heure ! Bon sang de bonsoir... Mais où Diable avaient-elles bien pu la cacher se dit-il, après avoir déjà poussé de manière totalement infructueuse, un assez grand nombre de portes de garages et de granges ?! Sa formidable et positive énergie du départ, se mit alors à très sérieusement décliner ! Entraînant de fait, une assez conséquente baisse de son moral qui initialement se voulait pourtant être d’acier. Il en était malheureusement presque venu à l’idée de renoncer à son beau projet, quand soudain et presque arrivé à la sortie du village... le regard pour le moins vif et perçant de l’Oisix fut, tel sous l’effet d’un très puissant aimant, attiré par quelque chose qui dans son champ élargi de vision, avait tout l’air d’être une grange complètement abandonnée. Son cœur se mit alors à battre la chamade sous le coup de l’émotion, car ce genre d’endroit était à vrai dire pile poil ce qu’il recherchait depuis déjà un certain temps ! Instantanément revigoré par ce qu’il pressentait être comme étant le bon endroit, et comme fortement dopé par une énergie soudainement retrouvée qui lui fit très joyeusement battre des ailes, il se retrouva d’un bond propulsé devant l’assez tristounet bâtiment.
Il pouvait à présent beaucoup mieux se rendre compte du réel et bien lamentable état de délabrement des lieux : des herbes folles avaient poussé un petit peu partout autour du bâtiment y compris jusque devant l’immense porte d’entrée, quelques grosses pierres s’étaient désolidarisées des murs, la toiture présentait d’assez larges trous béants, et bien que paraissant être encore très solide, la grande double porte de bois avait par endroits une peinture largement écaillée. Une chose était donc sûre et absolument certaine : plus personne n’avait convenablement entretenu ces lieux depuis bien longtemps déjà, et l’état de l’accès largement envahi d’herbes folles qui s’élevaient sur presque un bon mètre de hauteur indiquait sans le moindre doute possible, que cette porte n’avait plus été ouverte depuis un très grand nombre de mois. En écartant vigoureusement les plus hautes herbes par de puissants battements d’ailes, avant de très précautionneusement les fouler de ses pattes palmées afin de les coucher sur le côté, tout en se méfiant des éventuelles vipères qui raffolant de ce genre d’endroits pouvaient très bien avoir décidé de se cacher au milieu des mauvaises herbes... c’est donc au prix d’un certain effort, que l’Oisix put enfin péniblement se frayer un chemin jusqu’à la lourde et immense porte d’entrée constituée de deux assez imposants battants en chêne massif. Bien qu'elle n’était strictement dotée d’aucune serrure, puisque aucun voleur n’avait encore jamais osé rôder en un aussi paisible petit village. L’Oisix s’attendait tout de même à une certaine résistance de la part de l’un de ses deux battants, qu’il entreprit alors d’ouvrir du côté droit en accompagnant son action sur la grosse et antique poignée, d’un assez vigoureux coup d’épaule ailée. A son assez vif étonnement, ce n’est qu’après seulement quelques petites secondes d’effort que celle-ci céda brusquement, en s’ouvrant largement dans un horrible et bien lugubre grincement de gonds digne des plus terrifiants films d’épouvante !
Bien qu’une assez large partie de l’intérieur fût encore pour le moment plongée dans une grande obscurité, l’œil extrêmement exercé de l’Oisix avait immédiatement repéré une masse un peu plus claire qui semblait majestueusement trôner au beau milieu de cette immense grange. Les ultimes doutes qu’il avait pu encore avoir à son approche, semblaient à présent très largement s’estomper dans son esprit de volatile. Et au fur et à mesure qu’il avançait à tâtons en direction l’imposante masse qu’il devinait plus qu’il ne voyait réellement dans la pénombre, son intime conviction ne faisait qu’exponentiellement se renforcer pour ne plus être devenue qu’une absolue certitude, une fois arrivé devant la "chose" qu’il ne put s’empêcher d’immédiatement effleurer du bout de ses ailes. Il s’aperçut alors que la "chose" en question était enveloppée dans une immense bâche de couleur claire qui semblait être recouverte d’une effroyable et bien épaisse couche de poussière. Prenant alors mille précautions afin de ne pas envahir la pièce d’un immense et bien désagréable nuage de poussière par un geste qui aurait été beaucoup trop brutal, il se saisit d’un recoin de la bâche pour très doucement la faire glisser sur l’un des deux côtés de l’encombrant objet. Au moment précis où elle fut entièrement débarrassée de son épais linceul, une chose assez extraordinaire pour ne pas dire presque surnaturelle se produisit alors : via sans doute l’un des nombreux trous de la toiture, l’inexorable course du soleil levant avait fait brusquement jaillir un très lumineux rayon de soleil au-dessus de l’objet, l’auréolant ainsi d’un puissant halo de lumière qui quelque part, rendait presque la scène biblique !
L’Oisix ne put retenir un immense cri de joie : BINGO, c’était bien elle !
La fameuse... "Machine à remonter le temps" !
Il avait non seulement pu enfin la retrouver, mais il n’allait également pas trop tarder à s’en servir ! A la différence près, que cette fois-ci... son voyage allait devoir s’effectuer uniquement en solo ! Car s’il s’était donné tant de mal pour la rechercher et la retrouver d’une manière aussi discrète, c’est bien parce qu’il avait une Ch’tite idée bien ancrée derrière la tête. Une idée qui après avoir germé dans l’esprit assez imaginatif du "Piaf des mers", avait commencé à prendre les allures d’une véritable mission à la portée hautement scientifique ! Il n’y avait pas/plus de temps à perdre... redoublant d’énergie et donc regonflé à bloc, l’hyper méga enthousiaste Oisix reprit bien vite les bons vieux réflexes d’antan, tout en se faisant mentalement la Ch’tite réflexion suivante :
"Bien que tout de même relativement complexe, la mise en œuvre et donc le pilotage de la "Machine à remonter le temps" ne pouvait tout comme la conduite d’une beaucoup plus simple bicyclette... strictement jamais s’oublier !"
Après avoir effectué les divers et nécessaires contrôles d’usage sous la forme d’une très minutieuse visite pré-vol, au cours de laquelle il se rendit compte avec tout de même un certain petit étonnement que les batteries de l’engin volant étaient pratiquement chargées à plus de 60% (et donc tout à fait opérationnelles) après une aussi longue période d’inaction... l’Oisix ouvrit la porte du cockpit et s’installa avec une joie non dissimulée au poste de pilotage. Comme s’il caressait la peau à la douceur de pêche de sa chère et tendre dulcinée, il effleura de ses deux bouts d’ailes, les divers et très nombreux boutons, manettes et cadrans en repensant joyeusement au lointain passé. Comme il s’y attendait, ses réflexes étaient demeurés parfaitement intacts et tout lui revint instantanément en mémoire, comme s’il avait tout juste quitté la veille au soir, cette fabuleuse "Machine à remonter le temps" ! Il engagea donc la procédure de mise en route des moteurs, en égrenant une à une les différentes actions d’une assez longue et très complète check-list. Seconde bien agréable surprise... les deux hyper puissants moteurs démarrèrent quasiment au quart de tour !
Waouh... tout cela est super méga chouette !!!
Ce nouveau projet de voyage ayant assez longuement mûri, il avait donc eu le temps de considérablement se perfectionner en améliorant non seulement grandement ses connaissances en matière de pilotage, mais également en matière de navigation spatio-temporelle. Et à l’inverse des nombreux voyages précédents, il put donc ainsi avoir la possibilité de non seulement programmer une date extrêmement précise sur l’indicateur de date, où il afficha sans la moindre hésitation celle du "15 juin 1795", mais également un lieu géographique extrêmement précis qu’il programma sur le GPS ultra méga perfectionné dédié tout spécialement aux voyages spatio-temporels. Il avait choisi cette date, afin d’être absolument sûr de son coup. Car sans en connaître précisément le mois, l’événement visé avait eu lieu il le savait, en 1794. Le choix du bien agréable mois de juin, n’était quant à lui qu’une simple question de pratique. Dans la mesure où il était tout simplement hors de question pour l’Albatros, d’affreusement se "geler les cacahuètes" durant un hiver hyper glacial. Tout comme il était également hors de question pour lui, de se mettre à très péniblement "suer sous le burnous", durant un été des plus torrides !
... / ...
Boum... Tchiii... Boum, boum ! Tchiii... Boum... badaboum, boum !
Dans un dernier sursaut la machine s’immobilise.
L’Oisix effectua une Ch’tite vérification de principe avant de descendre de l’engin, en portant un ultime regard vers l’indicateur de date où pour sa plus grande joie, était toujours indiquée la date du "15 juin 1795". Perfecto... tout s’était donc merveilleusement déroulé selon ses plans !
En descendant de l’engin après en avoir coupé les moteurs, il se rendit également compte que le GPS spatio-temporel semblait avoir correctement fonctionné, puisqu’il se trouvait exactement à l’endroit qui avait été programmé, c’est-à-dire à deux pas de l’entrée de l’université de Kiel en Allemagne.
- Guten Tag ! Pourriez-vous m’indiquer je vous prie, où je pourrais bien trouver le professeur "Johan Christian Fabricius" ?
Aussi surprenant que cela puisse paraître, le jeune homme qui devait certainement être l’un des étudiants de la prestigieuse université, ne semblait pas vraiment être étonné d’avoir été interpellé par un... oiseau ?! D’un bref hochement de la tête accompagné d’un signe de la main, il désigna alors l’entrée principale de l’édifice à l’Oisix, tout en lui indiquant l’endroit exact où enseignait Herr Fabricius !
Croyant avoir reconnu le professeur, dans l’un des très longs couloirs de l’université...
- Herr professor Johan Christian Fabricius ?
D’un air tout aussi grandement étonné, que largement intéressé :
- Ja !
Répondit dans un premier temps, tout simplement le professeur. Rapidement suivi d’un très enthousiaste :
- Waouh... Großen Götter... le bien merveilleux "Diomedea" que voilà !
Qu’il prononça d’une voix chargée d’émotion.
Puis s’approchant encore un petit peu plus de l’Oisix, afin de pouvoir l’observer dans les moindres petits détails. L’homme de science qui semblait soudainement être devenu quelque peu hésitant, rajouta pensif :
- Quoique vous sembliez faire partie d’une espèce si difficile à classer, que j’hésiterais bien volontiers entre un "Diomedea epomophora" et un "Diomedea exulans"?!
- Ah, ah, ah... très bien vu, Herr professor !
Car je suis effectivement un petit peu des deux à la fois : Epomophora (et donc Albatros royal) du côté de la grand-mère de mon père, et Exulans (et donc Albatros hurleur) du côté du grand-père de ma mère ! Une généalogie bien agréablement découverte, grâce au formidable travail accompli lors de la très célèbre "classification binominale" initialement mise en place par l’éminent naturaliste "Carl von Linné" de l’université d’Uppsala en Suède, dont vous fûtes (si ma mémoire est bonne) l’un de ses plus brillants élèves...
- Vous m’avez l’air d’être sacrément bien renseigné à mon sujet, dites-moi ?!
S’exclama le professeur, avec une petite lueur d’étonnement au fond des yeux.
L’Oisix se contenta tout simplement de sourire aux dernières paroles du professeur, avant de rajouter :
- Et selon la classification établie au cours des différents congrès ornithologiques internationaux, je pourrais même aller encore beaucoup plus loin ! En vous apportant les ultimes précisions suivantes, qui sont communes aux deux espèces dont je suis issu : règne : Animalia ; embranchement : Chordata ; sous-embranchement : Vertebrata ; classe : Aves ; ordre : Procellariiformes ; famille : Diomedeidae ; genre : Diomedea
Bien que le professeur Fabricius semblait quelque peu butter sur la notion de "congrès ornithologique international" pour la simple et bonne raison que ce type de congrès n’existait pas encore de son vivant, il ne put s’empêcher d’exulter de joie en répliquant :
- Großen Götter... tout cela est ma foi bigrement intéressant !
Dans une humilité non feinte, l’Oisix fini par dire :
- Mais dans la vie de tous les jours, on m’appelle tout simplement "monsieur Albatros" !
- Ja, mais beaucoup plus simplement, alors !
Répliqua le professeur, en s’esclaffant littéralement de rire !
Puis reprenant bien vite son sérieux :
- Mais qui donc vous a réellement envoyé, Herr Albatros ???
- Euh... croyez-moi sur parole, Herr professor... il s’agit d’une très, très longue histoire, dont il vaudrait beaucoup mieux limiter au maximum les explications !
- Bien, bien, bien... et que puis-je donc faire pour vous, Herr Albatros ?
- Eh bien... cela est aussi... assez compliqué à très facilement expliquer !
- Aimeriez-vous poursuivre cette discussion dans mon bureau ?
- Bien volontiers, Herr professor !
Une fois bien confortablement installés dans son bureau...
- Quelle est donc votre spécialité, Herr Albatros ?
- Le décorticage royal !
- Le décorticage... royal ?! Eh bien, nous aurions donc déjà un point en commun ! Car voyez-vous cher ami, un très minutieux décorticage m’est également bien souvent nécessaire au cours des diverses activités professionnelles que j’ai l’immense honneur de pouvoir exercer au cours de mes nombreux voyages, et au sein des différents royaumes qui me sont fort heureusement accessibles.
- Euh... je crains fort Herr professor, qu’il n’y ait comme qui dirait... un léger malentendu :
Le "décorticage" dont je vous parle, consiste à tout simplement permettre au grand gourmet que je suis, de très fréquemment décortiquer de biens magnifiques crevettes dont je suis... Miam... Miam... Miam... absolument friand !
- Ah bon ?! Répondit le professeur, d’un air assez dépité.
Mais dans ce cas-là... pourquoi Diable avoir rajouté le mot "royal" ?
- Ah, ah, ah... tout simplement parce que parmi toutes les crevettes existantes au monde, les "crevettes royales" sont celles que je préfère le plus !
- Je vois ! Puis il s’empressa de rajouter :
- Et quoi d’autre, à part le très minutieux décorticage des crevettes royales ?
- Le hurlement !
- Ah mais bien sûr ! Et suis-je donc si bête ?!
Car il va de soi que le "hurlement" est tout à fait naturel, chez... un "Albatros hurleur" !
- Ah mais, sauf votre respect... je crois bien que vous vous êtes à nouveau quelque peu fourvoyé, Herr professor !
Car mes hurlements sont presque exclusivement des hurlements de rire !
Voulant dignement sauver la mise, le professeur risqua un :
- Notre cher Rabelais ne disait-il pas, que « Le rire est le propre de l’homme » ?!
- De l’homme... oui, je peux aisément le concevoir. Mais d’un Albatros royal ou même hurleur...
Ah, ah, ah... est-ce bien raisonnable et/ou tout à fait naturel ?!
- Bien, bien, bien... cette discussion est réellement pour moi des plus intéressantes, et j’aimerais bien croyez-moi beaucoup plus longuement la poursuivre. Mais il se trouve, que... mes très impatients élèves m’attendent de pied ferme ! Vous devez très certainement avoir conscience de la totale abnégation envers laquelle doivent impérativement se plier la plupart des enseignants de ce monde, n’est-ce pas ?
Réalisant que le professeur devait commencer à sérieusement perdre patience devant un Oisix qui semblait tourner autour du pot avec une assez grande délectation (et oui que voulez-vous, tous les grands connaisseurs vous le diront : seul et uniquement seul... le "décorticage" auquel l’on s’intéresse soi-même, n’a de valeur à nos yeux !) l’Albatros fini par répondre :
- Bien sûr que oui, Herr professor ! Les enseignants enseignent, les décortiqueurs décortiquent, les pies jacassent, les bourdons bourdonnent, les poules caquettent, etc., etc., et ainsi va le monde !
A vrai dire assez peu sensible à l’humour devenu quelque peu ironique de l’Albatros, le professeur décida qu’il était grand temps de "sonner la fin de la récréation", et qu’il fallait donc à présent passer aux choses sérieuses. C’est-à-dire en quelque sorte, au plat de résistance ! Il prit ainsi un air plutôt sévère pour assez sèchement répliquer :
- Ceci étant parfaitement exact, pourrions-nous à présent je vous prie Herr Albatros, entreprendre le réel sujet pour lequel vous êtes venu me voir de si loin ?!
L’Oisix se mit alors à déballer le grand jeu...
- Voici de quoi il s’agit exactement, Herr professor : j’ai appris que vous étiez un entomologiste de renom et qu’en tant que tel, vous aviez l’an dernier c’est-à-dire en 1794, classifié l’un des innombrables diptères existant au monde, en lui donnant le nom pour le moins assez évocateur de "Merdaria". Pour tout simplement désigner sans aucunement avoir peur, ni honte des mots... la très populaire "Mouche à merde" !
Or, c’est avec un immense et bien légitime dégoût, que j’ai récemment lu quelque part, que certains volatiles (et donc après tout, pourquoi pas également l’Albatros) pouvaient parait-il être tout à fait capables d’avoir, disons... d’assez "intimes" et "non conventionnelles" relations avec des diptères ?! Et donc éventuellement et par voie de conséquence, avec la dénommée "Merdaria" ! Qui comme vous le savez certainement encore bien mieux que moi Herr professor, est un insecte qui a pour étrange habitude de s’accoupler directement sur les lieux de ponte. C’est-à-dire en clair, de... copuler sur une bouse ou sur un tas de fumier !
Je suis donc venu de très loin, afin d’espérer obtenir de votre part... un très éclairé avis d’expert à propos d’un aussi délicat sujet. En d’autres termes... j’aimerais beaucoup que vous puissiez me confirmer de manière claire et nette et absolument irréfutable, si une certaine compatibilité entre ces deux différentes espèces animales est tout à fait envisageable, ou bien ce que j’espère grandement... strictement impossible !
Le professeur Fabricius qui avait gardé les yeux mi-clos durant la longue explication Albatrostesque, les avait brusquement rouverts pour immédiatement répliquer :
- Avant de poursuivre beaucoup plus loin ce pour le moins assez étrange entretien, j’aimerais beaucoup cher ami, vous poser une très simple question : êtes-vous bien sûr de ne pas être actuellement sous l’emprise d’une quelconque boisson fortement alcoolisée, ou même celle d’une substance nocive ayant le pouvoir de considérablement réduire vos capacités intellectuelles ? Surtout en ce qui concernerait votre faculté de raisonnement et votre sens du discernement ??!!
- Sûr et absolument certain, Herr professor !
Répondit l’Oisix, tout en se grattant désespérément la cabeza. Car il commençait à réellement prendre conscience de l’incongruité de la situation, tout en se demandant dans quel énorme guêpier il avait bien pu se fourrer.
- Très bien ! Ce point extrêmement crucial ayant été soigneusement clarifié... j’aimerais beaucoup avant toutes choses, vous apporter l’indispensable précision suivante : même si cela n’a strictement aucune incidence sur la qualité de la réponse que je vais ensuite vous donner... il faut que vous sachiez que ce n’est pas réellement moi qui en tout premier lieu ai classifié le très intéressant diptère qui semble follement vous passionner. Mais le célèbre naturaliste "Carl von Linné" dont vous avez précédemment évoqué le nom, et auprès de qui j’ai durant deux ans eu la chance et l’immense honneur de suivre les enseignements à l’université d’Uppsala ! Si j’ai par la suite donné l’assez vulgaire nom de "Merdaria" à ce minuscule diptère... Carl von Linné lui avait dès 1758 officiellement donné, celui de "Scathophaga stercoraria". En vertu du code zoologique et de la loi d’antériorité, il me fallait donc impérativement... "Rendre à César, ce qui appartient à César" !
Ceci étant dit, voici donc ma réponse :
Vous me semblez avoir fait fausse rut... euh... je voulais dire fausse route, Herr Albatros !
Car tout ce que vous avez pu fort étrangement lire à ce sujet, ne sont que viles spéculations et pures balivernes !
En s’emportant quelque peu, l’homme de science rajouta presque en criant :
- De véritables sornettes sous la forme d’une péremptoire affirmation tout juste bonne à être considérée comme une véritable hérésie scientifique.
Devrais-je plutôt dire, avec la plus extrême des véhémences !
Puis se radoucissant aussi vite qu’il s’était empourpré :
- Non, n’ayez plus aucune crainte à ce sujet, Herr Albatros !
En tant qu’entomologiste, je peux vous affirmer avec la plus grande des convictions, qu’il n’existe strictement aucun cas connu au monde d’accouplement possible, qu’il soit conventionnel ou pas, entre... un très grand volatile de votre espèce, et... un aussi petit diptère, tel que le "Scathophaga stercoraria" !
Rendez-vous compte, Herr Albatros : à moins de n’être qu’un rachitique et donc bien maigrelet tout petit colibri (d’ailleurs appelé triste ironie du sort, "oiseau-mouche") qui aurait une taille infinitésimale... comment pourrait bien faire un aussi grand volatile ayant une magistrale envergure dépassant parfois allégrement les 3 mètres et pesant pas moins de 8 à 10 Kg, pour très familièrement si j’ose dire... "entreprendre" un minuscule diptère ne mesurant pour les plus gros spécimens, pas plus d’une douzaine de millimètres ?! Voyons, voyons... un petit peu de sérieux, tout de même !
- Voilà bien une admirable rigueur scientifique, assortie d’une implacable logique. Vous m’avez ainsi entièrement convaincu et définitivement rassuré, Herr professor !
Soyez-en donc infiniment remercié.
L'Oisix fut même si agréablement soulagé d’entendre une aussi bonne nouvelle, qu’il faillit presque entourer le professeur de ses longues et puissantes ailes, afin de carrément l’embrasser sur le front ! L’entretien à peine terminé, il s’empressa alors de prendre congé de l’honorable entomologiste avant que la fenêtre spatio-temporelle du retour vers le futur ne se referme. Une fois Herr Albatros parti, le professeur se fit la réflexion suivante :
"Voilà un bien étrange volatile d’un genre vraiment très particulier, que mon ami Carl von Linné aurait certainement bien aimé pouvoir très minutieusement étudier.
Tout en éprouvant fort probablement d’immenses difficultés, avant d’être capable de tout à fait réussir à convenablement le classer !"
En poussant la manette des gaz à fond vers l’avant, L’Oisix ne put alors s’empêcher d’avoir une petite pensée émue envers cet incroyable homme de sciences, qui fut sans doute l’un des meilleurs entomologistes de son époque !
La Machine : Roooooooo... Vroooooooum... Tchoooooou...
... / ...