Un mécréant (1)
Ce fut une bien triste fête de la musique : il faisait frais, il n'y avait pas beaucoup de musiciens dans la rue, et la morosité battait la mesure. Un petit attroupement sur le boulevard Edgard Quinet attira son attention, enfin surtout le son très rock - ses goûts sont très éclectiques. Quatre musiciens et une chanteuse réussissaient à capter l'intérêt des badaux ; des enfants excités dansaient comme des pantins désarticulés sur le "Gloria" des Rollings Stones. Oui, c'était pas mal, se dit-il. Il fit même quelques photos, comme ça, au débotté.
Il écouta un autre morceau, qui avait réenclenché aussitôt le déchaînement saccadé des enfants sous les yeux énamourés de leurs parents ; il décida de rentrer chez en passant par le quai n°24 de la gare Montparnasse. Entre la gare et la tour du même nom, les sectateurs de l’Église du septième jour avaient sans doute fini leur installation pour leur concert à but prosélyte. Il était déjà passé devant eux, il y avait une heure à peine, mais ils n'étaient pas prêts, ce qui n'avaient pas empêché de jeunes noirs, africains ou antillais, de distribuer des petites feuilles de couleur où était annoncée "la parole libératrice de Jésus".
Ils étaient plus que prêt. Une chanteuse s'efforçait de chanter une ode à Dieu, fort pénible pour les oreilles, devant un homme qui la filmait avec son caméscope, quasiment sous son nez. Sa voix manquait de tessiture, elle se prenait pour Sarah Vaughan alors qu'elle ressemblait à une concierge qui balayait les escaliers en martyrisant ses cordes vocales.
Il s'approcha, mais ne sortit pas son appareil photographique. Il regardait, amusé, le SDF du quartier qui dansait entre la chanteuse et les nombreuses personnes, en majorité noires, assisses sur les marches du talus très apprécié par les pigeons - volatiles qu'il abhorrait par ailleurs. Allait-il photographier ce homme en guenilles, au visage cuit et recuit par le soleil, l'alcool, la crasse, le dénuement ? Oui, c'est vrai, photographier la misère, des gens avachis, épuisés, ça fait toujours des clichés à fort impact, surtout si elle est esthétisante, mais cela ne le motivait pas outre mesure, et ce n'était pas original. Tout à coup, on l'interpella :
- Avez vous entendu la parole libératrice de Jésus ?
Un grand type, un chabin, lui proposait un prospectus jaune. Je l'ai, je l'ai, dit-il en souriant. Alors le gars le remit sur son paquet. Il avait un visage sympathique, rond, tacheté, il semblait heureux, habité par ses convictions religieuses dont il tenait, bien sûr, à les faire partager au monde entier. Malheureusement pour lui, il était plutôt comme un mouton qui veut convaincre un loup d'abandonner sa nature de carnivore pour devenir végétarien.
- Je ne crois pas en dieu, dit-il gentiment, rien que pour l'encourager dans son entreprise œcuménique...
Ce fut une bien triste fête de la musique : il faisait frais, il n'y avait pas beaucoup de musiciens dans la rue, et la morosité battait la mesure. Un petit attroupement sur le boulevard Edgard Quinet attira son attention, enfin surtout le son très rock - ses goûts sont très éclectiques. Quatre musiciens et une chanteuse réussissaient à capter l'intérêt des badaux ; des enfants excités dansaient comme des pantins désarticulés sur le "Gloria" des Rollings Stones. Oui, c'était pas mal, se dit-il. Il fit même quelques photos, comme ça, au débotté.
Il écouta un autre morceau, qui avait réenclenché aussitôt le déchaînement saccadé des enfants sous les yeux énamourés de leurs parents ; il décida de rentrer chez en passant par le quai n°24 de la gare Montparnasse. Entre la gare et la tour du même nom, les sectateurs de l’Église du septième jour avaient sans doute fini leur installation pour leur concert à but prosélyte. Il était déjà passé devant eux, il y avait une heure à peine, mais ils n'étaient pas prêts, ce qui n'avaient pas empêché de jeunes noirs, africains ou antillais, de distribuer des petites feuilles de couleur où était annoncée "la parole libératrice de Jésus".
Ils étaient plus que prêt. Une chanteuse s'efforçait de chanter une ode à Dieu, fort pénible pour les oreilles, devant un homme qui la filmait avec son caméscope, quasiment sous son nez. Sa voix manquait de tessiture, elle se prenait pour Sarah Vaughan alors qu'elle ressemblait à une concierge qui balayait les escaliers en martyrisant ses cordes vocales.
Il s'approcha, mais ne sortit pas son appareil photographique. Il regardait, amusé, le SDF du quartier qui dansait entre la chanteuse et les nombreuses personnes, en majorité noires, assisses sur les marches du talus très apprécié par les pigeons - volatiles qu'il abhorrait par ailleurs. Allait-il photographier ce homme en guenilles, au visage cuit et recuit par le soleil, l'alcool, la crasse, le dénuement ? Oui, c'est vrai, photographier la misère, des gens avachis, épuisés, ça fait toujours des clichés à fort impact, surtout si elle est esthétisante, mais cela ne le motivait pas outre mesure, et ce n'était pas original. Tout à coup, on l'interpella :
- Avez vous entendu la parole libératrice de Jésus ?
Un grand type, un chabin, lui proposait un prospectus jaune. Je l'ai, je l'ai, dit-il en souriant. Alors le gars le remit sur son paquet. Il avait un visage sympathique, rond, tacheté, il semblait heureux, habité par ses convictions religieuses dont il tenait, bien sûr, à les faire partager au monde entier. Malheureusement pour lui, il était plutôt comme un mouton qui veut convaincre un loup d'abandonner sa nature de carnivore pour devenir végétarien.
- Je ne crois pas en dieu, dit-il gentiment, rien que pour l'encourager dans son entreprise œcuménique...